Les opposants au régime ou à la politique actuelle du gouvernement ne se comptent pas uniquement parmi les membres de la Coordination pour le changement et la démocratie (CNCD). Il en existe également au sein de l'armée et de la famille révolutionnaire. Ceux-ci tiennent de plus en plus à exprimer ouvertement leur rejet du système. Après les généraux Benyelles et Taghit, c'était au tour, jeudi, de l'ancien secrétaire général du FLN et acteur de premier plan de la guerre de Libération nationale, Abdelhamid Mehri, de plaider en faveur d'un changement politique et d'attirer l'attention du pouvoir sur «le caractère particulièrement délicat et dangereux» du contexte dans lequel évolue actuellement le pays. Les signes, soutient-il, qui alertent sur le caractère impératif d'un tel changement sont «visibles depuis des années et se sont encore accumulés ces derniers mois d'une manière telle qu'il est impossible de les ignorer ou de reporter la réponse». Dans une longue tribune publiée dans la presse nationale, M. Mehri a en effet appelé le chef de l'Etat et «tous ceux qui participent à la prise de décision» à contribuer à la mise en place d'«un régime réellement démocratique et capable de résoudre les problèmes du pays et de le préparer à relever les défis de l'avenir». A l'instar du constat alarmant déjà fait par de nombreux acteurs politiques, cet ancien membre du Conseil de la Révolution considère que «le régime (…) est bien plus marqué par ses aspects négatifs que positifs» et qu'il est devenu «inapte à résoudre les épineux problèmes de notre pays qui sont multiples et complexes, et encore moins à le préparer efficacement aux défis de l'avenir qui sont encore plus ardus et plus graves». Pour de nombreux observateurs, M. Mehri n'exprime pas là une position minoritaire dans la mesure où il représente un courant encore assez influent au sein du «vieux front». Mieux, en se faisant l'écho des revendications de la «rue», il ne fait rien d'autre que battre en brèche la légitimité historique dont se prévalent à ce jour les tenants du système pour se maintenir au pouvoir. Sa missive a pour effet aussi de fragiliser davantage l'unanimisme sur lequel repose le pouvoir de Bouteflika. M. Mehri tient d'ailleurs Abdelaziz Bouteflika et les autres décideurs pour responsables de la prolongation du régime. Préférant ainsi se ranger du côté des «voix qui revendiquent le changement de ce régime et qui sont soucieuses qu'il advienne dans un climat de paix et de libre débat», il insiste particulièrement sur l'idée que «le système de gouvernement installé à l'indépendance s'est fondé (…) sur une analyse erronée des exigences de la phase de la construction de l'Etat national (…) et que l'exclusion est devenue, à la suite de ce choix, le trait dominant de la gestion politique et de la manière de traiter les divergences d'opinion». «Certains dirigeants de la Révolution avaient opté, dans le contexte de la crise que le pays a connue en 1962, pour une conception politique d'exclusion pour faire face à la phase de la construction plutôt qu'une stratégie de rassemblement énoncée par la déclaration du 1er Novembre 1954», écrit M. Mehri qui propose, en outre, un plan de sortie de crise conçu en trois phases. La première d'entre elles consiste d'abord à «accélérer la suppression et la levée des obstacles et des entraves qui inhibent la liberté d'expression ou la restreignent». Si dans sa lettre ouverte «au frère Abdelaziz Bouteflika, président de la République», M. Mehri soutient en outre l'idée que «le changement ne viendra pas d'une décision du sommet, isolée du mouvement de la société et de ses interactions», il se montre par ailleurs convaincu que le règlement de la crise algérienne doit inévitablement passer par l'évaluation critique et globale du système de gouvernance depuis l'indépendance et la prise de mesures nécessaires pour sortir le pays définitivement de la spirale de violence.