D'un côté, des Algériens de tout âge et de toute condition venus manifester pacifiquement avec un drapeau ou une pancarte. De l'autre, une machine de guerre extrêmement bien huilée. Le décor pour la bataille est planté, mais le rapport de force est véritablement disproportionné. Le dispositif policier déployé sur et autour de la place du 1er Mai, ce samedi, n'avait pas grand-chose à envier aux fameuses légions romaines. Ni en nombre ni en tactique. De plus, ce samedi 19, la police a pris sur elle de corriger toutes les «erreurs» commises lors de la marche du 12, en ce sens qu'aucun espace n'a été concédé aux marcheurs. A l'évidence, la stratégie mise en place par la police consistait à prendre possession du rond-point principal, des arrêts de bus, de la station de taxis et du moindre petit espace au point qu'aucun manifestant ne pouvait poser son pied nulle part. La place du 1er Mai a été bouclée par plusieurs cordons de policiers dès les premières lueurs du jour. Les quelques espaces disponibles ont été fermés par des barrières métalliques et des herses par des policiers casqués et harnachés comme Robocop. Le reste des troupes avait pour consigne de disperser fermement tout rassemblement de plus de deux personnes. Nul ne pouvait s'arrêter, ne serait-ce que pour renouer ses lacets, sans qu'aussitôt des policiers ne fondent sur lui en lui intimant l'ordre de circuler. La consigne était valable y compris pour les journalistes priés d'aller traîner stylos, caméras et micros ailleurs que dans cet espace défendu comme s'il s'agissait de la dernière forteresse d'un royaume assiégé. Talkie-walkie à la main, des officiers ordonnaient aux troupes de converger vers tout lieu où commençait à se former un noyau de rassemblement pour l'isoler et le disperser. D'autres troupes, stationnées un peu plus loin, prenaient le relais pour dissoudre les dernières poches de résistance. Au dispositif terrestre, il convient d'ajouter les moyens héliportés dont dispose aujourd'hui la police et qui lui permettent de disputer l'espace aux mouettes pour détecter les mouvements de foule et les circonscrire. C'est ainsi que petit à petit, les manifestants ont été repoussés vers le quartier populaire de Belouizdad où les attendaient des groupes de jeunes «sensibilisés» à l'impérieuse question de défendre «la quiétude de leur quartier». Submergés par les vagues bleues qui n'ont pas cessé de déferler sur eux, les manifestants ont fini par baisser les bras après avoir livré courageusement bataille pendant près de six heures, à mains nues, face aux matraques et aux boucliers. Il est vrai que le travail des dizaines de milliers de policiers a été largement facilité par l'obstination de la CNCD qui semblait faire une fixation sur la place du 1er Mai comme s'il s'agissait d'une place forte à prendre. Il aurait peut-être été plus rentable, tactiquement, de multiplier les lieux de rassemblement plutôt que de foncer tête baissée dans un mur formé de dizaines de milliers policiers.