Il est faux de dire que les années Bouteflika ne sont qu'une succession de changements de cap économique. Une constante existe.Celle introduite par l'ajustement structurel de 1994-1998. L'Algérie est un pays «low cost». Sa monnaie est faible, ses salaires sont faibles, ses utilités énergétiques sont faibles. Cette donne différencie l'Algérie de la Tunisie et du Maroc. Elle est basée sur une maîtrise globale du niveau des prix non pas par une plus grande productivité des facteurs de production - Japon, Chine, Asie de l'Est- mais par une déflation importée. C'est la montée en puissance des importations chinoises et asiatiques sur le marché algérien qui a joué comme paramètre d'ajustement. Bloquant les salaires locaux toujours bas, grâce à des biens manufacturés importés au prix bas. L'Algérie des années Bouteflika, qui est aussi celle des années Ouyahia, bis et tri, n'est au fond pas sortie du paradigme de l'ajustement structurel des années 1990. Elle est restée dans la religion de faire coïncider la demande solvable avec l'offre de biens disponibles. Et elle l'a fait non pas en rendant la demande solvable plus grande (économie productive), mais en aidant l'accès à l'offre plus facile. Par une priorité prix, assurée par l'importation massive. Au détriment de l'emploi et des revenus. Tous les emplois détruits en Algérie par le recours aux produits chinois, le sont au nom de la modicité des prix des produits chinois. Economie low coast. Ce modèle n'est pas pire qu'un autre. Tout consiste à savoir vers quoi il mène. Les pays qui ont des configurations systémiques comme celle de l'Algérie se spécialisent dans l'exportation massive de biens et de service. Car justement, ils ont des prix internes compétitifs. Le grand drame de la décennie économique des années 2000 est que l'Algérie n'a rien fait de sa compétitivité prix internes. Un peu comme si les autorités avaient fait de ce choix, une option par défaut. Si les revenus sont bas, faisons tout pour que les prix internent restent abordables. Et puis c'est tout. Or, une politique de salaires domestiques les plus bas dans la région et de prix de l'énergie le plus sacrifié - hors Libye - de la Méditerranée aurait dû faire de l'Algérie une grande plateforme off shore de production à l'international. Sinon, cela n'a aucun sens économique. Or, c'est exactement l'inverse qu'a fait la gouvernance économique Bouteflika-Ouyahia. Economie aux coûts internes les plus faibles chassant l'investissement étranger et gênant au maximum l'investissement privé national. Le ticket président- Premier ministre a joué contre son camp. En particulier depuis l'été 2008 où il a pris le virage factice du «patriotisme économique». Aujourd'hui, les Algériens ont patienté dans le modèle low coast. Ils ont accepté d'être pauvres dès qu'ils franchissent la frontière. Et même s'ils vont à Dakar dans la zone CFA. Ils ont fait semblant d'adopter le placebo chinois qui permet de tenir les fins de mois. Ils se sont laissés attendrir par le plein en diesel si amical avec le portefeuille. Mais cela ne pouvait pas tenir sans l'arrivée de la très forte croissance vers lesquels tendent toujours les modèles low coast, la Chine des débuts, la Turquie d'il y a vingt ans, le Vietnam d'aujourd'hui, etc. Car la faiblesse des revenus n'est jamais protégée jusqu'au bout par la compression artificielle des prix – importations concurrentielles, subventions, abattements fiscaux. Il y a toujours un moment où l'on se rend compte que l'on est pauvre face à l'économie mondiale. Et dès lors, la démarche change. Les citoyens ne comptent plus sur l'Etat pour leur garantir des prix abordables, mais sur leur propre mobilisation pour accéder à des revenus plus décents, ou encore à ce que ces revenus ouvrent droits, le logement notamment. C'est le grand scénario de 2011. L'Etat veut encore agir sur les prix de l'huile et du sucre. Les Algériens veulent du travail pour ceux qui sont au chômage, et de meilleurs revenus pour ceux qui ont un emploi. Les années Bouteflika ont raté une immense opportunité. Celle de faire décoller l'Algérie grâce à ses faibles prix internes. Le sacrifice des revenus domestiques n'avait de sens que celui d'attirer des investissements et de créer de l'emploi. Aujourd'hui, les Algériens n'en veulent plus. Leur Etat se dit riche. Ils veulent l'être aussi. Et tant pis pour le low coast.