Des artistes manifestent pour la culture et la démocratie depuis plus d'un mois à Batna. Un mouvement qui prend de l'ampleur, déborde les Aurès et promet une mobilisation nationale. Le phénix a pris feu mardi sur la place de la République à Batna. Les artistes protestataires ont choisi cette fois de marquer leur happening hebdomadaire par cette mise en scène symbolique qui représente le renouveau de l'art et de l'artiste. C'est la septième semaine consécutive que les habitués manifestent devant le théâtre, poursuivant ainsi leur mouvement de revendication qui se veut radical et en rupture avec tout ce qui se faisait avant. Petit rappel des motifs : des artistes, toutes disciplines confondues, sont entrés depuis deux mois en dissidence avec le système, appelant au changement à la tête des principaux établissements culturels et à des enquêtes présidentielles autour de la gestion des fonds destinés à la culture à Batna. L'intransigeance et la détermination du groupe, conjuguées à ses aspirations démocratiques, ont déstabilisé le statu quo et dérangé sérieusement la nomenklatura locale qui a eu recours à des manœuvres peu fair-play pour diviser le groupe et juguler le large mouvement de sympathie né autour de la dynamique. Les breackdancers sont les premiers à avoir quitté le mouvement. La direction de la maison de la culture a su les «désactiver» en leur offrant un local pour les répétitions après avoir refusé des années durant. Saïd Berkane, un jeune intermittent touche à tout, n'en veut pas à ces jeunes, au contraire : «Nous sommes contents pour eux, l'un de nos objectifs justement est de récupérer les espaces au profit des artistes. » Ceci dit, les manœuvres de récupération n'ont jamais cessé depuis le déclenchement du mouvement. Don Quichotte «Moi-même j'ai été approché par deux acteurs du Théâtre régional de Batna qui m'ont offert du travail, mais j'ai refusé», raconte-t-il, ajoutant : «Notre problème n'est pas l'argent, c'est la dignité, le travail sans la dignité n'a pas de sens.» Voici deux semaines, un député RND a tenté de réunir ces artistes avec des représentants de l'administration locale afin d'amorcer un dialogue et trouver une issue au bras de fer. L'initiative n'a eu aucune suite, affirment des manifestants, à cause du manque de sincérité de l'initiateur. De son côté, le président de l'APC, croyant bien faire, a suggéré aux artistes de s'inscrire au bureau de la main-d'œuvre ! Saïd, qui manifeste avec l'armure de Don Quichotte, rit de ces tentatives et philosophe en donnant la véritable dimension à son combat : «Nous aussi on veut donner à notre pays. Les vieux nous soûlent avec le discours sur la révolution. Laissez-nous faire notre révolution avec l'art et sans les armes.» A l'image des autres régions du pays, l'artiste de Batna est marginalisé, privé des espaces et des opportunités, quand il n'est pas inscrit au réseau de clientèle. «A Batna, l'infrastructure et les moyens existent, mais ils ne veulent pas investir dans l'humain», affirme encore le chorégraphe intermittent, Issam Djenane, dit Ferfara. D'où la revendication d'un statut pour l'artiste, inscrite en tête de la plateforme défendue par les protestataires. La dynamique enclenchée à Batna semble gagner beaucoup de sympathie partout ailleurs en Algérie. Les messages de soutien cèdent la place à des contacts multiples et à des initiatives de coordination, assure le dramaturge Khaled Bouali, en vue de donner un caractère national à ce mouvement d'Algériens pour la liberté et la culture. Chose qui n'est pas ardue, compte tenu des similitudes rapprochant les artistes qui partagent tout, s'agissant de marginalisation et de difficultés à trouver du travail. Sont exclus de cette longue liste bien entendu ceux qui profitent amplement de la rente de part leur proximité avec le pouvoir.