On savait que les dignitaires arabes, leurs familles et les privilégiés du système, par-delà les régimes politiques : monarchique, république à papa, forme d'organisation prétendument populaire et pseudo-révolutionnaire à l'image de la Libye d'El Gueddafi, ont tous des comptes bien fournis et des biens à l'étranger. Mais on était loin d'imaginer que la rapine pouvait atteindre un tel seuil de boulimie. C'est à s'y perdre dans les informations distillées par des sources officielles européennes et américaines qui annoncent le gel de fortunes à faire perdre la tête et la raison détenues à l'étranger par des dirigeants arabes et leurs «smalas». C'est une règle du genre à laquelle n'échappe apparemment aucun dirigeant. Pas même l'inénarrable El Gueddafi, autoproclamé guide de la Révolution libyenne et dont le régime populaire qu'il ambitionnait de bâtir devrait faire théoriquement de lui un dirigeant en phase avec son peuple, nullement intéressé par l'argent et la vie de château, vacciné contre la tentation de puiser indûment dans les deniers de l'Etat et du peuple. Alors que leurs peuples croulent sous la misère, les dirigeants arabes ont mis en place d'immense pipelines financiers aspirant, sans limite, les richesses du pays recyclées à l'étranger dans des dépôts bancaires, prises de participation dans des groupes économiques et financiers cotés en Bourse, acquisition de patrimoines immobiliers de luxe… En guise de gage de leur bonne foi démocratique, les nouvelles autorités en charge de la période de transition en Tunisie, puis en Egypte, ne s'y sont pas trempées en appelant, dans le cadre des premières mesures d'urgence de reconstruction, les partenaires étrangers de ces pays à geler les avoirs de leurs dirigeants déchus. Les pays occidentaux et les Etats-Unis d'Amérique, qui se sont toujours montrés inflexibles pour lever le secret bancaire et le voile sur les fortunes des dirigeants arabes au nom de la raison d'Etat, deviennent subitement coopératifs et soucieux de la morale publique quand le pouvoir tombe et change de main. Ces pays qui étalent aujourd'hui froidement sur la place publique les comptes personnels et les richesses mal acquises des dirigeants arabes après les avoir honteusement couverts du manteau du secret bancaire – cette machine à recycler et à blanchir l'argent sale ou résultant de détournements de biens publics – ne pouvaient pas dire qu'ils ne savaient pas que ces fortunes proviennent du racket d'Etat. Même si ces richesses devaient être restituées à leurs propriétaires légitimes – les peuples –, il sera difficile de retrouver toutes les traces, tant les pratiques de prête-noms et autres sociétés écrans, niches privilégiées des transferts douteux, offrent un anonymat qui pourrait rendre une partie de ces fortunes irrécouvrable. En reconnaissant que les dignitaires arabes détiennent des fortunes mal acquises à l'étranger, les capitales occidentales qui ont décidé de geler les avoirs de ces dirigeants dans le sillage des révolutions populaires, avouent publiquement leur complicité aux côtés des pouvoirs corrompus. Car si la démarche procédait réellement d'une bonne intention, pourquoi n'a-t-on pas dénoncé et balancé ces détrousseurs de l'argent des peuples lorsqu'ils étaient au pouvoir ? Et pourquoi leur a-t-on permis de jouir en toute impunité de fortunes qui ne leur appartiennent pas ? En règle de droit, cela équivaut à la non-dénonciation d'association de malfaiteurs.