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«La démocratisation de l'université est l'enjeu principal de la mobilisation estudiantine» Farid Cherbal. Enseignant chercheur à l'USTHB et syndicaliste
- Loin de s'essouffler, le mouvement de protestation des étudiants s'élargit, la grève générale est reconduite dans une quinzaine d'établissements universitaires, et ce, malgré la décision du gouvernement d'abroger les modifications apportées au décret 10-315. Les comités estudiantins autonomes créés au niveau des écoles supérieures et universités ont donné naissance, vendredi dernier, à la Coordination nationale autonome des étudiants (CNAE). En plus des revendications socio-pédagogiques, les étudiants, qui placent très haut la barre, exigent désormais la «démocratisation» de la gestion de l'université algérienne. La mutation du mouvement des étudiants serait due à quoi, selon vous ? Ce mouvement étudiant autonome est sans conteste le plus large qu'a connu l'université algérienne depuis 1987. C'est un mouvement qui a une identité syndicale, démocratique et revendicative. Il articule les revendications sociopédagogiques avec les revendications sociétales. C'est-à-dire la démocratisation de la gestion de l'université. Le mouvement autonome étudiant qui fait de la démocratisation de l'université une de ses principales revendications est ainsi en phase avec les recommandations de l'Unesco faites en 2009 lors de la conférence mondiale relative à l'enseignement supérieur. L'Unesco dit expressément que «les étudiants ont leur mot à dire dans la gouvernance de l'enseignement supérieur». Toutefois, ce mouvement estudiantin n'est pas né du néant et n'a rien de spontané. Le vrai capteur de ce mouvement a été le Comité de liaison des étudiants de l'université de Tizi Ouzou qui, en 2007 déjà, avait soulevé tous les problèmes posés aujourd'hui : équivalence des diplômes anciens et nouveaux, déficit en moyens pour le LMD, débouchés, accès au mastère et gestion de l'université, etc. Nous constatons aujourd'hui que les méthodes de lutte et les revendications sociopédagogiques articulées avec les revendications sociétales adoptées par le Comité de liaison des étudiants de l'université de Tizi Ouzou sont devenues nationales. Les enjeux sont énormes. Indubitablement, l'actuel mouvement étudiant autonome, de par l'ampleur de la mobilisation suscitée et la nature des revendications exprimées, signe la fin d'une époque. Le choix tel qu'il est offert aujourd'hui est entre une université publique, performante, ouverte à tous les Algériens, au service d'une économie productive, créatrice de richesse et soucieuse du bien- tre de la société d'un côté, et de l'autre un enseignement supérieur qui obéit à la logique marchande, néolibérale, élitiste et antidémocratique.
- Une conférence nationale des chefs des établissements universitaires est annoncée pour le 27 mars prochain. Vu l'état de délabrement du système de l'enseignement supérieur, ne faudrait-il pas aller plutôt vers des états généraux de l'université algérienne ? L'université algérienne vit une crise multidimensionnelle qui dure depuis trois décennies. Plusieurs facteurs l'expliquent. Depuis les années 1980, nous n'avons plus une politique nationale de l'enseignement supérieur. A la politique des années 1970, dite de réforme de l'enseignement supérieur, porteuse, elle, d'un projet politique, économique, a succédé une politique de gestion des flux. Celle-ci est en train de montrer ses limites. C'est cette absence de politique de l'enseignement supérieur dans le court, le moyen et le long termes qui fait que nous avons atteint le summum de la crise. Le deuxième facteur de cette crise est lié au contexte sociologique de l'université algérienne marquée par une massification de l'enseignement supérieur. Nous sommes dans une université qui comptabilise plus de 1,5 million d'étudiants, 72 établissements universitaires, 12 écoles préparatoires et 44 000 enseignants du supérieur. En 2004, la mise en œuvre du système LMD n'a été précédée d'aucun débat démocratique et sans qu'aucune évaluation du système classique d'enseignement n'a été faite au préalable. Système classique d'enseignement qui, je me rappelle, délivrait des diplômes nationaux - licence, DES, ingéniorat, magistère - et dans lequel les étudiants suivaient les mêmes programmes conçus par des comités pédagogiques nationaux et sanctionnés à la fin du cursus par des diplômes à valeur nationale. En 2004, parce qu'on a voulu faire vite, on a introduit un système d'enseignement ultralibéral qui a détruit les diplômes nationaux. Au jour d'aujourd'hui, on dénombre 1583 licences/mastères qui ont été habilitées dans 44 établissements universitaires. Ce sont là les chiffres du ministère de l'Enseignement supérieur. A cette multitude de diplômes se greffe actuellement la question épineuse des équivalences entre les licences/mastères délivrés par les différents établissements universitaires. Une des solutions à la crise actuelle consiste justement à associer les étudiants et les enseignants aux travaux des conférences régionale et nationale des établissements universitaires. Bien qu'au niveau local et régional, les organes de gestion de l'université présentent des quotas d'élus supérieurs à celui des gestionnaires administratifs, il n'en demeure pas moins que le rôle de ces organes est strictement confiné au consultatif. Le vrai pouvoir est entre les mains de l'administrateur, des doyens, des recteurs, etc. qui, eux, sont désignés par le pouvoir. La gestion bureaucratique de l'université est un facteur essentiel, axial de la crise actuelle. L'Algérie détient en la matière un sinistre record : on est l'un des rares pays au monde où les responsables académiques : recteurs, doyens et chefs de département ne sont pas élus par la communauté universitaire alors qu'ils doivent l'être et sur la base d'un programme, comme le recommande l'Unesco. Bien qu'elle soit une revendication ancienne de la communauté universitaire, portée déjà par le syndicat des enseignants du supérieur, les étudiants se rendent compte aujourd'hui qu'une bonne partie des problèmes auxquels ils sont confrontés au quotidien vient de l'absence de transparence dans la gestion de l'université. On prend conscience également que les recteurs d'université ne portent ni la parole ni les revendications de la communauté universitaire, qu'ils ne sont en définitive que des gestionnaires administratifs cooptés par le pouvoir et qu'ils ne sont que les représentants du pouvoir au sein de l'université.