Saâd-Eddine El Andaloussi, âgé de 43 ans, c'est la douceur de la voix, la tendresse du regard et le talent avéré. Trois jours avant le concert promotionnel qu'il donnera à l'auditorium de la Radio, à l'occasion de la sortie de son album Maya w'mizen chez Belda Diffusion, l'artiste, avec toute l'humilité qu'on lui connaît, s'est prêté au jeu des questions-réponses. Saâd-Eddine El Andaloussi est connu sur la scène artistique algérienne depuis une vingtaine d'années. Peut-on dire que c'est la musique qui est venue tout bonnement à vous ? (Rires) Peut-être bien que c'es la musique qui est venue vers moi. J'ai découvert la musique très jeune, à l'âge de six ans. Mon père, que Dieu ait son âme, avait acheté dans les années 1960 un piano qui servait de décoration. J'ai ouvert les yeux sur ce piano. A l'époque, je voyais. J'ai, ainsi, commencé à « tripoter » les touches, par la suite, je produisais des mélodies qui me venaient à la tête ou tout simplement que j'écoutais à la radio. A l'âge de 9 ans, je jouais du piano tout en chantant. Une fois que j'ai commencé ma scolarité à l'école des jeunes aveugles d'El Achour, je dois avouer que j'ai cultivé ce don pour la musique. Comme mes professeurs avaient détecté en moi un certain talent, on me faisait toujours chanter en chorale ou en solo. A 11 ans, j'occupais le devant de la scène pour chanter. Mon premier passage à la télévision remonte à l'âge de 13 ans. J'avais participé à l'émission Elhan oua chabab, animée par la chanteuse Saloua. Je me souviens que j'avais interprété un Hawzi Ghrib et que mes pieds ne touchaient pas le sol. J'ai été sélectionné pour la télévision, c'était à l'époque de Nadia Benyoucef et Youcef Boukhentech. On voulait me faire enregistrer un disque mais mes parents ne voulaient pas. J'étais trop jeune. La priorité était accordée aux études. Mes parents avaient raison, avec du recul, je suis sûr que j'aurai délaissé mes études au profit de la musique. J'ai continué à faire de ma musique à la maison. Cela étant, j'ai obtenu quelques années plus tard, le prix à la finale de Elhan oua chabab. Une fois le bac en poche, j'ai rejoint l'association El Fakhardjia, sous la houlette de mon professeur Nourreddine Saoudi. J'ai appris les concepts de la musique andalouse. Avant d'intégrer cette formation, je chantais déjà du hawzi, el Inkilabbet et insirafette mais je ne chantais pas la nouba entière. Quels étaient vos maîtres de référence ? Abdelkrim Dali, Djamel Benaâchour, Saddek Bejaoui, Fadéla El Dziria, Meriem Fekkai... Votre souhait était d'entamer, après le bac, une licence en musicologie, mais votre inscription s'est faite difficilement ? J'ai eu un bac science en 1983. Après une année en économie suivie d'une autre en psychologie, je savais que je voulais me spécialiser dans la musique. Je ne savais pas que le département musicologie existait en Algérie depuis 1982. Ainsi, en 1988, je décide d'entamer la carrière de mes rêves. J'ai fait des pieds et des mains pour intégrer cette filière, car cette dernière était destinée à l'enseignement. Comme j'étais non-voyant, il fallait que j'obtienne une dérogation du ministère de l'Education. Ce dernier avait catégoriquement refusé de me remettre le document, sous prétexte que j'étais non-voyant. Je lui avait expliqué que si j'étais arrivé à décrocher mon bac, j'aurais eu aucun mal à enseigner. Cependant, au niveau du ministère de l'Enseignement supérieur, on m'a autorisé à faire ma licence mais en tant que candidat libre. J'ai étudié 4 années en musicologie sans percevoir aucune bourse. J'étais parmi les meilleurs éléments de ma promotion. Une fois la licence en poche, j'ai sollicité l'ambassade de France pour une bourse que j'ai obtenue. Le paradoxe, c'est que le ministère de l'Education m'avait envoyé une affectation pour enseigner au lycée El Idrissi. J'ai décliné cette proposition en leur disant gentiment que je voulais poursuivre mes études. Je suis, donc, parti, en 1992 pour un DEA à la Sorbonne portant sur le thème « Etude analytique des formes musicales algéroises ». Depuis, je me suis installé à Paris. J'ai entamé une thèse que je n'ai pas encore soutenue. Il est clair que je me suis occupé de la musique et de la recherche. Je travaille sur le côté théorique de la musique andalouse. Par ailleurs, je donne beaucoup de conférences en France et ailleurs. Pourquoi avoir attendu six ans pour éditer un troisième album, et comment expliquez-vous le fait qu'on n'entend plus parler de vous depuis quelque temps ? J'ai enregistré en Algérie Bellagh sellami le Djazair en 1993 suivi d'un CD Rom interactif, édité en France. Mon dernier produit ne m'a pas demandé 6 ans de travail. En 2002, je devais sortir un CD en hommage à Reinette l'Oranaise. J'avais commencé le travail, malheureusement il y a eu des problèmes techniques. Le CD est toujours en chantier. J'avais l'intention de sortir mon troisième album Maya w'mizen pendant le mois de Ramadhan dernier, mais je ne suis rentré en studio qu'en septembre. Si on ne m'a pas revu sur la scène artistique, c'est qu'on ne fait pas appel à moi. J'ai sollicité plusieurs organismes, en vain. Je veux donner à mon pays, mais à condition qu'on m'ouvre les portes et qu'on me donne les moyens pour travailler. Je peux donner sur le plan artistique mais également j'aimerai mettre mon travail au service du conservatoire pour donner des stages d'éducation de la voix pour le son arabo-andalou. Je suis en train d'élaborer une technique vocale pour le chant arabo-andalou, chose qui n'a jamais été faite jusqu'à présent. Je dirige la chorale Es safina à la Cité des arts à Paris où je développe cette méthode d'apprentissage pour des choristes de tous les horizons culturels. Certains puristes semblent contester votre troisième album Maya W'mizen... Il est vrai que lors de ma conférence de presse, tenue la semaine dernière, certaines personnes ont mal interprété mon travail. Le débat a été enrichi puisqu'il a abouti sur une conférence universitaire. La chose qu'ils n'ont pas comprise, c'est qu'en aucun cas, je ne toucherai à la musique andalouse. J'ai touché à une forme d'expression libre. Je me suis permis de greffer des compositions sur certains textes contemporains. J'ai apporté une touche contemporaine afin de faire venir des gens qui n'ont pas l'habitude d'écouter cet art dans la pure tradition. Si j'ai utilisé ce travail de conception, c'est parce que le travail de base n'a pas été fait. Le ministère de l'Education se doit d'instaurer une matière intitulée Expression de la musique, dès l'âge de 6 ans. Avant l'initiation, il faut faire l'éducation de l'oreille de l'enfant ensuite faire l'enseignement de la musique. Selon vous, il ne faut pas se cantonner dans les anciens répertoires mais aller de l'avant... Tout à fait. Il faut innover et non pas moderniser. Si j'avais voulu moderniser, j'aurais introduit la boîte à rythme, les sons synthétiques alors que moi, je n'ai utilisé que les instruments traditionnels. Je n'ai touché ni au style ni aux instruments. La relève a-t-elle de beaux jours devant elle ? Bien sûr que la relève est assurée. Plusieurs noms ont émergé de l'anonymat et d'autres encore pointeront à l'horizon. Simplement, je dis qu'il faut que tout le monde s'implique, les associations musicales et le ministère de la Culture. Votre concert du 7 décembre prochain sera-t-il un condensé de votre nouvel album ? La première partie sera consacrée à un programme spécial aâroubi. La deuxième englobera l'intégralité des titres de mon dernier album.