Comme seuls les grands maîtres savent le faire, Saâd Eddine El Andaloussi a prouvé, encore une fois, qu'il est un artiste hors pair. Son concert a drainé un monde impressionnant. A 19h30, le trottoir attenant à l'entrée de la Radio nationale était complet. Idem pour le parking. A l'intérieur de la salle, tous les sièges sont occupés. Les vigiles arrivent à placer les retardataires, au bas de la scène, où des chaises supplémentaires ont été disposées, au grand bonheur des mélomanes. « Peu importe où on me place, l'essentiel est de m'enivrer du concert », lance une sexagénaire. A 20h30, l'orchestre en compagnie du chanteur prennent place. Saâd Eddine El Andaloussi, vêtu d'un panaché noir, se concentre sur son clavier. Les instruments retentissent tout de suite après que le maître ait donné le la d'un simple signe de main. L'assistance est emporté par les envolées lyriques d'un joli poème intitulé Khamis El-Rijeh dha. Un morceau qu'il a appris du musicologue Ahmed Serri alors qu'il était son élève à l'Ecole supérieure de musique. Saâd Eddine se lance par la suite dans l'interprétation d'un aroubi djarka où tour à tour sont chantés entre autres Ana El Menhoune Bil Gharâam, Ya âachia, Ya Ramdha suivi de khlassete dans le mode ramla maya. La deuxième partie du concert dévoile certains titres de son dernier album intitulé Maya W'Mizen. Un album auquel il a donné un habillage contemporain et soutenu par une orchestration très rigoureuse. Dès l'entame de Ayaa ya Medemem (un poème hawzi de Ben Msayeh), des youyous et des applaudissements généreux se font entendre. Le public est subjugué devant cette voix à la tonalité unique et au talent avéré. Comme la tradition le veut, Saâd Eddine s'approche du micro annoncer que son concert dédié à la mémoire des chouyoukh vivants et disparus, aux regrettés artistes Mustapha Boutriche, Mustapha Skandrani, à Tarik Hammouche et à son défunt cousin reporter photographe Nabil. « Je rends hommage à tous les professeurs qui m'ont transmis cet amour pour la musique et ses dérivés aux musiciens et aux adeptes de cette discipline », confie l'artiste avec aisance. Après ce bref discours élogieux, le concert reprend sa vitesse de croisière avec des titres festifs tels que Malhoun thalath oua zahra, interprété dans le mode djarka et Balgh Salami lill roussel El-Bell. Le public bascule, ensuite, dans le répertoire marocain avec Chamess El Achiya. Dès la première chanson, l'artiste demande à ses invités de taper des mains et de reprendre avec lui le titre Ben el barrah ou el youm. Des voix plurielles s'élèvent pour chanter juste et en chœur. Autre moment fort recensé durant cette soirée : celui de l'interprétation de la chanson Selli Houmoumek Fi Haddik el âchia. L'ambiance est empreinte des senteurs des palais andalous. Par pudeur, la plupart des mélomanes se contentent de dodeliner et hocher de la tête. Alors que tout le monde pense que la soirée s'est achevée, le chanteur lance : « Avant de vous laisser pour une douce nuit, je vais vous chanter une dernière, et vous invite à une vente dédicace de mon album. » Le public le lui rend bien en applaudissant à ne plus s'arrêter. L'étreinte est totale. Sa voix reprend toute sa dimension en rechantant Salli houmoumek fi hadik el âchiya. A la fin du spectacle, Saâd Eddine se fera gratifier d'un bouquet de fleurs émanant de la ministre de la Culture... Une ministre bien entendue absente ce soir-là pour écouter un digne héritier de la musique andalouse.