Après le pouvoir visible, les révolutionnaires s'attaquent au pouvoir invisible. Ils frappent en plein cœur cet appareil répressif par lequel les dictateurs étendent leurs tentacules pour s'approprier un pays, des vies et leur devenir. Les initiateurs de la Révolution du jasmin ou les occupants de la place Tahrir ne se sont pas arrêtés à la fuite ou au départ de leurs présidents. Ils savent qu'un système ne s'effondre pas juste avec le départ d'un président. Ils ont compris ce que leurs aînés algériens de 1988 n'ont pas été, vu la conjoncture de l'époque, en mesure de réclamer, en l'occurrence que le changement s'accompagne de l'arrêt de la machine de répression, et ne point se suffire à une trituration de la Constitution et encore moins aux larmes et promesses d'un président. Les Tunisiens ont obtenu ce gage pour la construction d'une nouvelle République tournée vers un rapport de confiance entre le peuple et des institutions travaillant dans la clarté et dans un cadre de légalité. L'annonce de la dissolution de la police politique en Tunisie a sonné comme le pas le plus important à franchir après la fuite de Ben Ali. Qu'est-ce qu'un dictateur, d'ailleurs, sans ces outils qui servent de socle à son hégémonie ? Qu'est-ce qu'un despote, sans ce pouvoir de l'ombre qui agit en bras répressif pour semer la terreur et faire valoir l'invincibilité du régime ? Un appareil qui guette, étouffe et réprime toute aspiration au changement, toute tentative d'organisation sociale, tout risque d'union des forces vives de la société, tout désir d'expression libre et toute quête de justice. De leur côté, les Egyptiens et en défonçant les portes jadis impénétrables de la police politique, ont marqué d'un long souffle leur révolution. Ils ont accouru pour sauver des flammes toute la mémoire de répression sur laquelle le régime Moubarak avait assis son pouvoir. En découdre avec la police politique c'est aussi sauver toutes les preuves matérielles qui dévoilent davantage le vrai visage des dictatures arabes, pour permettre enfin que les suppliciés retrouvent leurs bourreaux non pas dans les geôles mais devant la justice. Tout comme la Stasi, et la Securitate, les polices politiques tunisienne et égyptienne n'ont plus droit de cité, elles qui, il n'y a pas si longtemps, avaient basé leur règne sur l'interdiction au peuple le droit de cité, d'exister et de vivre en liberté. Il est aujourd'hui une certitude que devant la volonté populaire, ces armées de l'ombre, tant redoutées, fondent comme neige au soleil. L'Algérie, qui a en partage avec tous ces pays le même régime, a aussi sa police politique, et attend son soleil libérateur.