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Révoltes, révolutions colorées ou crises de successions.
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 02 - 02 - 2011

Personne n'échappe aux échecs. Aussi, mieux vaut-il perdre quelques combats en luttant pour ses rêves que d'être battu sans seulement savoir pour quoi on lutte. (Paulo Coelho)
Les choses semblent aller vite, même très vite, les peuples arabes n'ont pas fini d'applaudir la dite « révolution des jasmins », que voilà une autre et pas des moindres qui vient souffler son zéphyr au dessus de nos têtes baissées et caresser nos espoirs et nos cœurs blessés.
La Tunisie est en effet définitivement débarrassée de son Ben Ali et l'Egypte donne l'impression que Moubarak n'est plus qu'une momie.
Je ne sais pas d'où est sorti la dénomination de « révolution des jasmins », mais avouons que de la révolution orange en Ukraine à celle des roses en Géorgie, il y a tout lieu de penser que des pépinières entières semblent s'intéresser aux révoltes des peuples contre leurs « dictateurs » mais jamais contre ceux qui ont porté et soutenu les dictatures.
Sans vouloir gâcher l'immense joie de voir partir un Benali tel un rat en fuite, ou un Moubarak sommé de faire le ménage avant de quitter les lieux, je ne peux m'empêcher d'y sentir là tous les signes d'une crise de succession.
Les deux despotes en effet n'ayant au fond rien prévu de sérieux pour leur post-règne, l'un a éliminé tous ses concurrents et l'autre voulait imposer à tout prix son fils, un manque de stratégie vis-à-vis de leurs employeurs qui ne pouvaient plus laisser le hasard décider pour eux et qui de tous les points de vue ont décidé de changer de vitrine.
Certes, les peuples se sont soulevés courageusement et dignement et c'est l'odeur des corps calcinés et transpercés par les balles qui a fini par avoir raison des palaces de Carthage au parfum de jasmin.
Nous avons vu des mères, des grands-pères, des adolescents, des chômeurs, des avocats, des cadres, des pauvres et toutes les classes de la société crier tous chœur le départ de Benali et de Moubarak.
Non ! Ces révoltes ne sentent pas le jasmin, elles sentent l'odeur suffocante des bombes lacrymogènes, du sang versé, des larmes chaudes et du pain rassis, elles n'ont rien ni de coloré ni de pacifique, pour preuve, la centaine de morts en Egypte ne semble pas peser dans la balance et si en Tunisie, on a autorisé (ou ordonné) le départ de Ben Ali, au Caire, on voit bien que la pépinière, cette fois-ci est submergée de guêpes qui n'ont pas fini de planter leur dard.
Et même en Tunisie, nous ne saurons jamais si ce fameux Général Rachid Ammar mis aux arrêts, a au fond DESOBEI à Ben Ali ou OBEI à l'Africom, en refusant de tirer, pour-cette-fois-ci, sur la foule !
En Egypte, où il est avant tout question de garder les portes de RAFAH bien fermées, les amoureux de la révolution colorée et pacifique, et après avoir sacrifié au moins cent morts et quelques générations, tous de toutes façons anti-sionistes, se dévoilent un peu plus, car ce n'est plus la Tunisie où l'on n'a même pas jugé utile d'avertir l'UE du départ de Ben Ali, mais un tout autre contexte.
Moubarak n'est même pas autorisé à fuir, il doit auparavant creuser sa tombe de ses propres mains s'il veut garder une chance de sauver sa peau, ainsi il désigne, et pour la première depuis qu'il « dirige » le pays, comme par hasard, un vice-président, sachant que selon la constitution, en cas d'impossibilité d'exercer le pouvoir, c'est le vice-président qui prends les rênes.
Le fils-moubarak, sans doute déjà avec les rats en fuite est ainsi définitivement disqualifié.
Au même moment les généraux se désolidarisent de Moubarak, et appellent même au dialogue, QUELLE PANTALONADE !
Omar Suleimane, l'actuel vice-président, appelé aussi l'homme des Américains et de la torture[1] est un habitué des salons de Tel Aviv et un allié sur lequel l'axe du bien peut compter en tout lieu, cet homme lié au Mossad inspire la terreur et pas seulement auprès de son peuple, car il a aussi contribué à la liquidation de nombreux patriotes palestiniens opposés à la direction de Ramallah et à l'occupation israélienne.
Ce patron des renseignements généraux (depuis janvier 1993) âgé de 76 ans est donc depuis peu aussi le premier vice-président égyptien désigné en 30 ans de règne moubarakien,
Dans son ouvrage The Ghost Plane: The True Story of The CIA Torture Program, l'auteur américain Stephen Grey détaille la coopération « sécuritaire » entre les USA et l'Egypte sur le transfert clandestin des prisonniers et révèle que Suleimane était « le partenaire égyptien principal dans la collaboration avec la CIA (…) et a représenté pendant de nombreuses années le principal canal de communication entre les USA et Moubarak, même dans les questions qui n'ont rien à voir avec les renseignements généraux et la sécurité« .
Malgré tout rien n'est encore joué, que ce soit en Tunisie ou en Egypte, car aussi bien dans un cas comme dans l'autre, les peuples ne sont pas dupes et ne veulent pas d'un changement de façade, même si le slogan phare insiste et se focalise sur le départ des dictateurs, il est évident que derrière cette exigence c'est le changement du système qui est visé, d'abord et avant tout de l'intérieur en refusant les reliques, les ex et tous les cabots déguisés ou pas et sans lesquels les dictateurs n'auraient jamais duré.
Un tel niveau d'exigence, suppose des acteurs et des leaders sans fil à la pâte, des nationalistes issus des réseaux autres que les traditionnels circuits dont on connaît les limites tant idéologiques que pratiques.
Ces révoltes populaires dont les héros sont des dominés et des régentés anonymes qui n'ont jamais exercé ni dans une association zélée ni dans un quelconque « parti », sont l'avenir de nos peuples ; si elles ne s'essoufflent pas, ces actions et ces nouvelles structurations changeront inéluctablement les moeurs et les règles dans une société longtemps mise à l'écart et bâillonnée, pas seulement par les régimes policiers de la terreur, mais aussi par des pratiques insidieuses de contrôle et de censure en amont, subliminales et orientées pour canaliser, pervertir ou tuer dans l'oeuf tout velléité et toute tentative de se libérer des us et des modes de pensées de systèmes que se nourrissent aussi de tous les statu quo, des appâts et des mirages si chers aux appareils.
Et chez nous en Algérie ?
Nos rues sont calmes, nos puits crachent à bon rythme, nos banques sont pleines à craquer et nos opposants minimalistes ne savent toujours pas comment se définir par rapport au changement qui viendra sans doute plus vite qu'ils ne l'imaginent, on sent d'ailleurs qu'ils sont plus embarrassés par les cris de révolte des voisins que réellement nourris d´une conviction et d'une exigence de changement.
Le seul hic à mon humble avis est l'incertitude de la succession et non pas de l'avenir, et toute cette agitation, je le crains, s'il elle n'est pas portée par la rue et non pas par les seuls laissés pour compte qui vivent dans, et de la rue, n'aura pour conséquence qu'une transition douce, trop douce pour être qualifiée de changement, ceci, si bien sûr encore une fois, on ne décide pas de réprimer dans le sang, après tout qu'est ce qu'une centaine de morts dans le pays de Bentalha, Eraïs et Antar ?
Nos discours en sont encore, et pour le plus grand bonheur du pouvoir, dans les modèles, les modalisations et les modes de pensées archaïques et invalidants, entre compromis boiteux, alliances précaires et unions sans lendemains, les pigeons voyageurs et les émissaires de tout bord se croisent mais ne se disent rien.
Nous avons été suffisamment saignés et trahis pour croire encore en ces démocrates ridés qui ont toujours su se débarrasser des émeutiers, incapables de les rejoindre ou d'être parmi eux, ils ont de tout temps préféré les agréments et les appareils à l'éveil réel de la population. C'est malheureusement ainsi que nos militants traitent avec les acteurs de la rue, ils les regardent d'en haut et de surtout de très loin.
Ainsi tout le monde semble avoir oublié nos révoltes dévoyés, notre histoire débauchée, NOTRE Octobre 1988, NOTRE Janvier 1992 et leurs centaines de milliers de morts, tout comme tout le monde semble ne pas se souvenir également à quel point les 62,6% d'Ahmedinejad et leurs 85 % de taux de participation n'ont rien pesé devant les taux hallucinants de Moubarak et les scores scandaleux de Novembre dernier.
Altérer nos mémoires reste capital dans ces batailles.
« La lutte de l'homme contre le pouvoir, c'est la lutte de la mémoire contre l'oubli. » (Milan Kundera)
Le slogan « Dégage » relayé partout telle un hymne à la libération, n'a toujours pas pris forme chez nous, et on ne sait pas encore s'il faut mettre « Dégage Bouteflika » ou « Dégage DRS » ou encore « Dégage Corruption ou Pouvoir », toutes les spéculations sont permises et la seule certitude semble être un gros coup de panique.
Même les palestiniens doublement asservis sont en train de s'organiser en réseaux sociaux pour se débarrasser de leurs négriers renonciateurs et déguisés en négociateurs, et tant pis s'ils ne font pas la une des JT.
« Nous devons nous révolter contre les agents de l'occupation à Ramallah qui ont torturé, assassiné les résistants et trahi le peuple palestinien, en particulier contre Mahmoud Abbas, Mohammed Dahlan, Yasser Abed Rabbo, Saeb Erekat, Nasser Youssef et Ahmed Qoreï, ces responsables amis de l'ennemi sioniste qui collaborent avec lui en signant des accords dans les coulisses », a souligné le communiqué de la campagne publié dimanche soir sur « Facebook ».
Et en Algérie, on en est toujours et encore à parler d'alliances, de levée de l'état de siège, de réconciliation et de je ne sais quels partis d'opposition.
Des millions de gens nous observent et se demandent si encore une fois nous n'allons pas rater notre énième rendez-vous avec l'histoire et l'espoir, car « Même sans espoir, la lutte est encore un espoir. » (Romain Rolland).
Constantine, Zineb Azouz
Le 02 Février 2011.
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[1] , l'ex-prisonnier australien Mamdouh Habib, transféré par la CIA du Pakistan en Egypte, a raconté dans ses mémoires les tortures dont il a fait l'objet par les services égyptiens, et révélé que Suleimane a ordonné l'exécution d'un prisonnier turkestanais devant lui pour le faire « parler ».
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