Les opinions arabes observent fascinées la Révolution tunisienne tandis que leurs pouvoirs prient pour que les déflagrations populaires n'atteignent pas chez eux ce niveau. Ailleurs, on rêve aussi aux effets dominos de la Révolution du Jasmin, estimant son onde de choc au-delà de son aire géographique. Silence et demi-silence chez les régimes arabes face au succès de la Révolution tunisienne alors que la rue arabe, au contraire, applaudit, souhaitant réaliser à son tour ce que les Tunisiens ont fait et qui n'en reviennent pas d'être le premier peuple arabe à avoir renversé un dictateur. L'attitude des chefs d'Etat arabes reflète en réalité leur propre peur des soulèvements populaires. Hormis des éditoriaux et articles de la presse indépendante contre leurs régimes autoritaires et corrompus, relayés par des réseaux sociaux, pas de manifestations de solidarité dans les pays “frères” arabes ont décidé unanimement les chefs arabes. À l'exception du “Guide” libyen qui s'est assumé comme à ses habitudes. Pour Kadhafi, ce qui se déroule chez son voisin serait un non-évènement : le maître de Tripoli en place depuis presque 40 ans continue de rêver que Ben Ali est toujours président ! Une schizophrénie courante chez la plupart de ses homologues. Il est évident que la plupart des régimes arabes sont sous tension face à l'éventualité d'une contagion de la Révolution du Jasmin. Mais on ne peut pas dire avec autant de certitude quant cette révolution va réellement se propager, d'autant que les régimes ne seront pas pris par surprise, ils sont certainement en état d'alerte maximale. En Egypte, le ministre du Commerce et de l'industrie (Rachid Mohamed Rachid, un proche de Moubarak junior pressenti comme successeur de son père) n'a-t-il pas écarté l'hypothèse d'un scénario Tunisie pour son pays ? Mais la victoire des Tunisiens a enflammé les débats de toute la région arabe sur les perspectives de changement politique. Des débats se sont noués au sein des populations, chez les jeunes notamment sur deux thèmes : arracher la démocratie et inventer un nouveau développement économique pour une vraie justice sociale. Pour le fameux et exalté chroniqueur saoudien, Abdul Rahman al-Rashed, les Tunisiens ont fait tomber la barrière psychologique de la révolte contre les pouvoirs. Très en vogue dans la presse arabe, lui agite le spectre d'une théorie des dominos par laquelle même des pays arabes calmes sont menacés. Car, malgré les machines qui répriment les médias du pays au silence, la parole s'est libérée même dans les pays où les pouvoirs maîtrisent totalement l'information. Même les médias officiels sont obligés de parler de la Révolution tunisienne et de se pencher implicitement sur des questions dérangeantes. L'explication des manifestions qui explosent çà et là sur la planète arabe et selon laquelle ce ne seraient que des émeutes de la faim et contre la montée des prix ou même des actes de terrorisme fomentés par des islamistes radicaux, voire des étrangers, ne tient plus la route au sein des opinions qui revendiquent des changements politiques majeurs au sein de leurs régimes concernés accusés de gestion politique liberticide, de mauvaise gestion économique et de corruption. Et l'autre explication, battue en brèche par les Tunisiens, est celle qui posait que les émeutes et manifestations sans direction, cadre ou leadership précis, parce que comme dans la Tunisie de Ben Ali, les canaux de dialogue politique sont réduits aux seules institutions officielles, restaient sans lendemain. Et puis, l'autre leçon assénée par la Révolution du Jasmin et qui est importante, car elle balaie toutes les logorrhées en vogue dans les pays arabes à propos de mains de l'étranger. En outre, les pouvoirs arabes savent qu'ils ne pourront pas répondre comme ils l'ont fait dans la décennie 1980, quand des émeutes économiques ont conduit à des ouvertures démocratiques qui se sont révélées, comme en Algérie, n'être qu'une parenthèse. Dans ces pays, la démocratie procédurière a été une prime pour l'islamisme politique.