Ils se sont retrouvés en prison pour plusieurs années avant d'être blanchis. Aujourd'hui, les cadres des entreprises publiques poursuivis dans le cadre de la loi 06-01 de 2006, en plus de vivre avec la honte, se battent encore pour obtenir une maigre indemnisation et attendent le projet de loi annoncé par Abdelaziz Bouteflika censé les protéger. «On m'avait averti que mon entêtement à vouloir tenir tête au wali de l'époque allait me coûter cher. Un jour, j'ai reçu une convocation de la justice et la machine s'est mise en marche.» PDG de l'entreprise publique Edipal, fournissant les grossistes et les détaillants en produits alimentaires, Norine Djelouat a passé quatre ans en prison, de 1997 à 2001. Son tort : avoir voulu défendre les intérêts de son entreprise face à la wilaya d'Oran qui convoitait le terrain de l'usine située sur le tracé d'une route qu'elle voulait réaliser. En Algérie, pour se débarrasser d'un cadre gênant, rien de plus facile. Il suffit d'invoquer l'article de loi 06-01, prévoyant des peines de deux à dix années d'emprisonnement pour «dilapidation» ou «passation de marchés contraires aux lois en vigueur». Depuis 2001, des milliers de cadres d'entreprises publiques se sont ainsi retrouvés en prison. Le projet de dépénalisation de l'acte de gestion, annoncé par le président Bouteflika lors du dernier Conseil des ministres, devrait désormais les protéger et leur offrir une plus grande autonomie dans la gestion de l'entreprise. Mais pour l'instant, les cadres continuent de voir leur vie professionnelle et familiale suspendue à un article de loi. Autre problème : après avoir été blanchis par la justice, après des années d'incarcération injustifiée, les cadres doivent encore se démener pour obtenir réparation : déposer un dossier auprès de la Cour suprême, attendre qu'elle évalue le préjudice et fixe le montant – dérisoire par rapport au préjudice causé – versé par le Trésor public. Ceux dont personne ne parle Djamil Hadj Slimane, directeur d'une unité Orolait à Mostaganem, a été arrêté en 1996 pour «dilapidation de bien public». Après trente mois de détention préventive à la prison de la ville, il est condamné à trois ans de prison. Au terme de sa peine et après un pourvoi en cassation, il est finalement acquitté. Mais l'entêtement du procureur général à faire appel à chaque fois le contraint à attendre 2011 pour qu'un jugement définitif lui soit rendu, le blanchissant définitivement. En attendant de percevoir une réparation financière, Djamil Hadj Slimane est DRH dans une entreprise publique et rêve de littérature et d'écriture pour mieux affronter les souvenirs douloureux de ses années de prison. Après avoir été indemnisé à hauteur de 900 000 DA deux ans après sa sortie de prison, Norine Djelouat a, quant à lui, rejoint le corps enseignant à la faculté d'économie et de gestion d'Oran. Mais combien sont-ils à avoir été broyés dans la plus totale indifférence ? «Un très grand nombre, confirme l'avocat Mokrane Aït Larbi. On a entendu parler des grandes affaires médiatiques, mais cette loi a surtout touché des cadres travaillant dans de petites entreprises publiques et dont personne n'a jamais parlé.»