Mohamed Chafik Mesbah, ancien officier supérieur des services de renseignements, il est également docteur d'Etat en sciences politiques. - Des «législatives anticipées», une «constituante», une «révision profonde de la Constitution», l'amorce d'une «période de transition»… Certains titres de la presse nationale ont prêté dernièrement au «régime» des velléités de «réformes radicales». Des observateurs ont relevé la concordance entre les annonces faites par la presse nationale (autour de l'hypothétique projet de réformes politiques) et l'initiative de Abdelhamid Mehri soutenue par le FFS. Pensez-vous qu'on soit réellement dans cette perspective ou est-ce juste un leurre, un amuse-gueule ? Jusqu'à preuve du contraire, les instances officielles contestent toute dimension politique attachée à l'état d'exaspération populaire. Celle-ci refléterait des revendications économiques et sociales, pas des exigences politiques. A priori, donc, ce scénario, pour s'en tenir à la logique officielle, ne répond pas à une pression populaire. Ce serait alors une initiative souveraine du président de la République lequel, s'appuyant sur les instances et appareils qui l'entourent, aurait décidé de faire évoluer le système politique vers un processus qui pourrait annoncer la transition démocratique tant attendue. Personnellement, je ne crédite pas le régime actuel de la capacité de se réformer de l'intérieur. A imaginer, par exemple, que le président de la République ait recours à une assemblée constituante – revendication emblématique du FFS –, cela équivaudrait pour le système à se faire hara-kiri. Cela paraît improbable comme éventualité. Mais n'ayant jamais douté du talent tactique de Abdelaziz Bouteflika, je n'exclus pas qu'il souhaite gagner du temps en lançant des signaux plus ou moins convaincants à destination de l'extérieur et en gagnant l'appui de leaders politiques traditionnellement hostiles à l'influence prêtée aux services de renseignements sur la vie politique du pays et favorables à une réhabilitation plus explicite du mouvement islamiste. Je nourris trop de considération pour Abdelhamid Mehri et Mouloud Hamrouche et autant sinon plus de respect pour Hocine Aït Ahmed, pour que je me permette d'insulter leur intelligence ou de douter de leur conviction patriotique en admettant l'idée qu'ils adhéreraient à un arrangement d'appareils basés sur des visées, plutôt, subjectives – principalement, limoger le chef des services de renseignements et démanteler l'institution – en lieu et place de la solution éminemment politique qui, impliquant toute la société et dépassant les contingences de personnes et de sentiments, conduirait, de manière sûre, vers l'instauration durable du système démocratique. Si, sentimentalement, je souhaite pour mon pays qu'une telle transition pacifique puisse se vérifier, la raison m'interpelle aussitôt pour me rappeler que le système algérien, dans sa contexture actuelle, a perdu les ressorts qui lui auraient permis de réaliser cette mutation qualitative que semblent suggérer vos sources. Le 7 mars, le ministère tunisien de l'Intérieur a annoncé la dissolution du corps de la police politique et de l'appareil de la sécurité d'Etat, corps honni par la société tunisienne. En Egypte, les bâtiments des moukhabarate ont été également pris d'assaut par des manifestants. Quantité de documents compromettants se sont de ce fait retrouvés sur Internet. Leurs contenus renseignent sur l'ampleur des collusions, l'instrumentalisation systématique des politiques, des hommes d'affaires, des militants des droits de l'homme et sur les méthodes de terreur utilisées par la police politique pour mettre sous coupe réglée la société égyptienne.
- Pensez-vous qu'un jour, en Algérie, on verra un scénario similaire se reproduire ? Vous qui étiez dans les services de renseignements, en quoi le maintien de ce «service» est-il utile pour la société algérienne ? L'évolution des processus politiques intervenus en Tunisie et en Egypte avec les péripéties dont vous faites état – dissolution des appareils sécuritaires ou, plus exactement, reconversion – est des plus naturelles. En Europe occidentale déjà – Portugal et Espagne –, dans l'ensemble de l'Europe socialiste même si c'est avec une tonalité différente en Roumanie, dans tous les pays d'Amérique latine passés par la dictature militaire, partout les transitions démocratiques se sont accompagnées d'un repositionnement institutionnel des services de renseignements avec adaptation de leurs missions à des impératifs liés, strictement, à la sécurité nationale, dans l'acception universelle du concept. Pour répondre à la question que vous m'assenez, par voie détournée, je ne me dérobe pas. Le rôle des services de renseignements consiste à protéger la société, non à la contrôler. Partant, c'est l'évidence qu'il ne saurait exister d'exception algérienne pour les services de renseignements. Sans coup férir, en effet, la configuration actuelle des services de renseignements devra, tôt ou tard, subir les transformations utiles qui mettront l'institution en totale adéquation tant avec les exigences du fonctionnement du système démocratique – à travers notamment l'exercice du contrôle parlementaire sur leurs activités – qu'avec les impératifs de la vie moderne par l'ouverture résolue de ces services vers l'élite parmi l'élite de la nation. Ne vous attendez pas, pour autant, à ce que je tire à boulets rouges sur d'anciens compagnons qui sont loin d'être tous corrompus selon l'image que vous évoquez à propos de l'Egypte. Certains de mes compagnons sont morts, à la fleur de l'âge, pour défendre leur pays, j'ai vu d'autres compagnons pleurer devant le gâchis que leurs activités leur ont permis de constater et hurler de rage, impuissants, face aux actes de grande corruption qu'ils ont contribué à matérialiser. Si vous voulez à tout prix me pousser dans mes retranchements, je dirais que la reconversion de l'institution en charge des activités de renseignements est inévitable, avant ou après le départ du président Abdelaziz Bouteflika, il faut souhaiter, seulement, qu'elle se déroule dans la sérénité.