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« L'hôpital Avicenne, une histoire sans frontières »
Publié dans El Watan le 05 - 12 - 2005

1935-2005. « L'hôpital Avicenne, une histoire sans frontières. » C'est le titre d'une exposition organisée par l'hôpital Avicenne et le Musée de l'AP-HP et un livre qui retracent 70 ans d'existence de ce qui était à l'origine l'hôpital franco-musulman.
L'exposition se compose de quatre modules : La traversée de l'histoire - histoire politique et architecturale des lieux ; Vivre ensemble : patients et personnels, une histoire de marges et d'engagements ; Médecines en mouvement : histoire des évolutions médicales depuis la lutte contre deux grands fléaux de l'époque (tuberculose et syphilis) jusqu'à la multiplicité des spécialités médicales d'aujourd'hui ; Aujourd'hui et demain : quels regards, quels chantiers ?
Sous la tutelle et le contrôle de la police
L'hôpital franco-musulman de Bobigny (région parisienne) est inauguré le 22 mars 1935. Destiné à n'accueillir que des patients maghrébins, principalement algériens, résidant à Paris et dans le département de la Seine, cet établissement « s'inscrit clairement dans une politique générale d'assistance et de surveillance des premiers immigrés installés en région parisienne depuis le début du siècle. » A partir de la libération, l'hôpital s'ouvre progressivement à l'ensemble de la population, il est rattaché en 1962 à l'Assistance publique de Paris et il prendra le nom d'« hôpital Avicenne » en 1978. Les origines de l'hôpital franco-musulman remontent aux années 1920. L'effort de guerre consenti par les colonies est considérable : 100 000 ressortissants nord-africains, parmi lesquels 20 000 Algériens morts au combat ; plus de 144. 000 Algériens, Marocains et Tunisiens travaillent dans les usines d'armement de la métropole. En 1918, plus du tiers de la population algérienne masculine âgée de 20 à 40 ans est enrôlé sur le territoire de la métropole. En une année (1923-1924), l'immigration maghrébine - essentiellement algérienne - passe de 15 000 à plus de 50 000 en région parisienne. Le ministère de l'Intérieur crée le Service de surveillance et de protection des indigènes nord-africains en 1925, un an avant la création de l'Etoile nord-africaine par Messali Hadj, premier mouvement nationaliste nord-africain à réclamer explicitement l'indépendance. Ce service, placé sous la double tutelle de la préfecture de police de Paris et de la préfecture de police de la Seine, a pour mission identifier, surveiller et assister les Nord-Africains installés ou de passage en région parisienne. Lors de l'inauguration de la Mosquée de Paris en 1926, un médecin français d'Algérie, le professeur Amédée Laffont, lance la proposition de construire un hôpital où seraient soignés « les musulmans en résidence ou de passage en France ». Ce projet rejoint une idée portée par Pierre Godin, ancien haut-fonctionnaire en Algérie, président du Conseil municipal de Paris et à l'origine du SSPINA. Dans cette réalisation, celui-ci voit un excellent moyen de mieux repérer et contrôler les nouveaux immigrants. Les Nord-Africains qui viennent travailler en France sont presque tous des hommes très pauvres, occupant les emplois les moins qualifiés de l'industrie. La fréquence et la gravité de leurs maladies sont étroitement liées à la précarité de leurs conditions d'existence. Ils sont particulièrement exposés à la tuberculose. Sur l'ensemble des Algériens décédés entre 1920 et 1939, la moitié en meurt.
Réserve et ségrégation
Deux architectes, Léon Azema - qui construira le palais de Chaillot - et Maurice Mantout - architecte de la Mosquée de Paris - conçoivent l'hôpital (250 lits). Les statuts de l'hôpital, adoptés en 1930, prévoient l'aménagement d'une salle de prière et de dépendances pour l'égorgement rituel des animaux, la possibilité de visite d'un imam, le respect des prescriptions coraniques en matière d'interdits alimentaires... Les premiers patients sont accueillis au début du mois de mai 1935. Toutefois, l'hôpital fonctionne au ralenti : les malades ne veulent pas être obligés de se rendre dans un hôpital aussi excentré. Il y a aussi le fait que la direction de l'hôpital est suspectée d'alimenter les fichiers de renseignements de la police ; le premier directeur, Adolphe Géralami fut aussi le premier responsable du SSPINA. Messali Hadj appelle à rejeter le principe même d'un hôpital réservé, « comme si nous étions de race inférieure ou des pestiférés ». Jusque dans les années 1970, l'hôpital franco-musulman est quasiment inaccessible en transports en commun, entouré de champs et de terrains vagues. Bobigny ne devient ville-préfecture de la Seine-Saint-Denis qu'en 1964. Les « brigades nord-africaines » de la préfecture de police de Paris sont dissoutes en 1945 et avec elles disparaissent les liens qui unissaient avant-guerre, assistance et répression, services médicaux et services policiers. 1945 marque également la fin de la ségrégation. Les malades maghrébins qui se présentent dans les autres hôpitaux de la région ne sont plus dirigés obligatoirement vers l'hôpital franco-maghrébin de Bobigny, et celui-ci s'ouvre au reste de la population des villes environnantes. Le 11 octobre 1961, l'hôpital franco-musulman est rattaché par décret à l'Assistance publique de Paris. Les premiers médecins hospitalo-universitaires arrivent en 1964, de nouveaux services médicaux et médico-techniques sont créés.
L'hôpital change de nom en 1978
On recense aujourd'hui plus de 30 langues et dialectes parlés dans les couloirs, l'hôpital étant très marqué par les diverses origines des populations de sa zone géographique d'implantation.
Bibliographie
Sophia Lamri : La Médicalisation des Nord-Africains, Métissages, Institut Maghreb Europe, n°1, 1993. Rosenberg, Clifford, The Colonial Politics of Healthcare Provision in Interwar Paris, French Historical Studies, n°3, été 2004.


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