Bien avant la découverte du pétrole, la maîtrise de l'espace saharien a été au centre des préoccupations de tous les gouverneurs de l'Algérie. Plus de 2 millions de kilomètres carrés, 98% du territoire, une zone de repli stratégique vers laquelle se retourner quand se fait sentir un besoin de pétrole, de gaz, ou de minerais. Il fallait donc la désenclaver. Ce désenclavement des villes sahariennes a offert une nouvelle destinée aux anciennes oasis de la route de l'or jaune ouverte à la route de l'or noir. La transsaharienne a permis de relier l'Algérie à ses voisins, des milliers de kilomètres reliant villes, hameaux et lieux-dits. La route asphaltée a dynamisé les villes et assuré un peuplement progressif, le taux d'urbanisation est passé de 24% en 1954, à 58 % en 1998, à la suite de l'activité pétrolière, bien sûr, mais aussi des années de terrorisme (les années 1990). Le Sud a bénéficié de plusieurs plans quinquennaux, de programmes de développement qui, s'ils lui ont donné son ossature actuelle et son aspect d'immenses oasis modernisées, lui ont fait perdre son âme saharienne. Et aujourd'hui, les habitants ne sont plus satisfaits de leur mode de vie. Le mur du silence a été brisé en 2004 par des jeunes de Ouargla au chômage. Les événements ont évolué de la manifestation pacifique, à la marche, au sit-in pour dégénérer en émeute à l'occasion de la visite du chef de l'Etat en ce fameux mois de mars 2004. C'est à Touggourt que les premières pierres ont lapidé le cortège présidentiel. Les habitants de Hai El Moustakbal, l'extension urbaine de Touggourt qui reste toujours au même stade de développement, se sont insurgés contre le protocole de la Présidence. On leur avait promis une minute avec le Président pour lui exposer leur malvie. Mais le cortège a été détourné. Dans un contexte similaire, les jeunes ont voulu s'organiser autrement pour faire parvenir leur message. C'est ainsi que le Mouvement du Sud pour la justice, MSJ, est né au mois de juin 2004, avec des délégués de Ouargla, Ghardaïa, Djelfa, El Bayadh, Illizi, Naâma, Adrar et Béchar. Leur premier conclave interwilayas fut organisé à Ouargla. Six mois de prison Le lendemain, les leaders du mouvement, qui n'étaient autres que ceux à la tête du mouvement de contestation des chômeurs de Ouargla, furent appréhendés par la gendarmerie ainsi que deux délégués d'El Bayadh. Ces représentants ont été interpellés et interrogés puis traduits devant les tribunaux pour constitution d'association de malfaiteurs, distribution de tracts portant atteinte à l'intérêt national et activité dans le cadre d'une association non agréée. Ils ont purgé des peines de prison de six mois et ont disparu depuis. Leurs revendications concernaient déjà le chômage dans les zones pétrolières, l'amélioration des conditions de vie dans le Sud, plus d'équité en faveur des zones défavorisées du Sud, la prise en compte des spécificités sahariennes, à savoir le climat caniculaire, les horaires d'été, la facture d'électricité, l'eau potable, la valorisation de l'agriculture saharienne, etc. La plupart des revendications ont été étudiées et concédées par le gouvernement plus tard, mais les conditions de vie et de travail dans le Sud ne se sont toujours pas améliorées. En 2005, le président Bouteflika en visite à Ouargla s'est étonné : «Où est passé l'argent du plan triennal, avait-il déclaré. Je ne le vois nulle part au Sud…» A Illizi, El Ménéa, In Salah, Hassi Rmel et Hassi Messaoud, le scénario est cyclique et identique : les jeunes se plaignent du chômage. Le contexte géopolitique actuel a offert une nouvelle opportunité à ce mouvement de revendication dont la relève semble assurée par des jeunes plus dynamiques, plus diplômés et maniant à la perfection les nouveaux canaux de communication, comme Internet. Ils ont changé de stratégie et opté pour la revendication pacifique, structurée, sous l'égide des instances nationales des droits de l'homme. Cette nouvelle génération a tous les outils pour exiger des réponses.