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Le 24 février 1971,Boumediène Nationalise les hydrocarbures et met fin au « rêve saharien » Le processus était l'aboutissement d'un échec des négociations avec la france
1971 fut l'année du début actif de « la révolution socialiste » du colonel Houari Boumediène. Le 24 février de la même année, il annonçait « la nationalisation » des hydrocarbures. Huit mois plus tard, il décidait le lancement de « la révolution agraire » et la gestion socialiste des entreprises (GSE). Devant les cadres de l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA), syndicat unique créé le 24 février 1956, il proclamait, au nom du Conseil de la Révolution, né après le coup d'Etat militaire contre Ahmed Ben Bella six ans auparavant, une série de décisions : « la participation algérienne dans toutes les sociétés pétrolières françaises est portée à 51%, de façon à en assurer le contrôle effectif ; la nationalisation des gisements de gaz naturel ; la nationalisation du transport terrestre, l´ensemble des canalisations se trouvant sur le territoire national ». Les décisions étaient applicables le jour-même. Houari Boumediène entendait mettre fin aux pourparlers menés avec la France sur les questions énergétiques. Les accords d'Evian de mars 1962 avaient, en partie, ligoté les mains de l'Etat indépendant au nom de la poursuite de l'application du Code pétrolier saharien, promulgué en 1958. Deux ans auparavant, les premiers puits de brut furent découvert à Edjeleh, dans la région de In Amenas, et à Hassi Messaoud, dans le Sud-Est du pays. Plusieurs entreprises françaises procédaient à des explorations depuis 1953 à l'image de la Compagnie des Pétroles d'Algérie (CPA), la Compagnie de recherche et d'exploitation du pétrole au Sahara (CREPS) et de la Société Nationale de Recherche et d'Exploitation des Pétroles en Algérie (SN REPAL). Cette dernière fut créée en 1946 à l'initiative du gouvernement général d'Algérie, une année après l'installation à Hydra, sur les hauteurs d'Alger, du Bureau de recherches pétrolières (BRP). Curieusement, Sonatrach a actuellement son siège à Hydra ! Le BRP était établissement public en charge de la coordination et du financement des recherches pétrolières. Ce bureau avait un rayon d'action large en Afrique puisqu'il procédait à plusieurs prospections au Tchad, au Gabon et ailleurs. A la fin des années 1940, la SN REPAL avait échoué dans des recherches menées dans le Touat et à In Salah. Pas de trace de pétrole et de gaz. C'était bien entendu une erreur ! Dans un premier temps, le pétrole gabonais avait permis à la France d'avoir au milieu des années 1950 « l'autonomie énergétique ». L'exploitation des premiers puits à Hassi Messaoud, à partir de juin 1956, était la réalisation du « rêve saharien » pour les Français. « Cette immensité pourrait être une source fantastique de prospérité. Un jour, nous y trouverons de grandes quantités de pétrole », prévoyait le géographe Emile Félix Gautier. Une immensité estimée à 7,7 millions de km2 qui s'étend à partir du Tchad jusqu'au en Mauritanie. Certains considéraient déjà le Sahara comme « le Texas français ». Les Américains étaient, eux, sceptiques à l'idée de trouver de l'or noir dans le désert. C'était, entre autres l'avis du géologue Hallis Heldberg qui estimait qu'aucune zone intérieure de l'Afrique « ne présente d'intérêt pour les recherches ». On comprend mieux pourquoi les Américains ne s'étaient intéressés à l'Afrique pétrolière que tardivement, lui préférant l'Alaska et le Moyen-Orient. Les nostalgiques considéraient les découvertes de In Amenas et de Hassi Messaoud comme « une véritable épopée française ». Vers 1958, Hassi Messaoud, qui était baptisée « Maison verte », ressemblait à l'Ouest américain à l'époque de la recherche de l'or. Elle attirait des centaines d'ingénieurs, d'explorateurs, de chercheurs et autres. Il était évident que l'intérêt pour la France n'était pas de perdre cette manne tombée du ciel en pleine guerre de Libération nationale. Surtout qu'un immense champ gazier venait d'être découvert à Hassi R'mel. Hassi R'mel d'où l'on pouvait extraire les condensats également. La France dépendait à l'époque à 90% des hydrocarbures acheminées du Moyen-Orient. Grâce aux découvertes du Sahara, elle pouvait assurer 50% de ses besoins en énergie et améliorer d'une manière sensible sa balance commerciale. Il fallait donc réfléchir rapidement à une solution pour séparer le Sahara du reste de l'Algérie en cas d'indépendance. Les Oasis et la Saoura sans l'Algérie ! Plusieurs responsables français, dont Guy Mollet, Félix Gaillard et le général de Gaulle, avaient fait des propositions (certaines faites secrètement) au FLN puis au GPRA allant de l'autonomie à l'indépendance de l'Algérie. Aucune de ces offres n'incluait le Sahara comme partie du territoire algérien. Après débats et hésitations, un projet fut retenu, celui de faire du Sahara une entité autonome sous souveraineté française. Ministre d'Etat dans le gouvernement socialiste de Guy Mollet, Houphouët Boigny, devenu président de la Côte d'Ivoire indépendante, était chargé d'élaborer le projet adopté par le Parlement en décembre 1956. En vertu de ce texte fut créée l'Organisation commune des régions sahariennes (OCRS). Son objectif ? « Mettre en valeur l'expansion économique et la promotion sociale des zones sahariennes de la République française et à la gestion de laquelle participent l'Algérie, la Mauritanie, le Niger et le Tchad ». Ces quatre pays n'étaient donc plus « souverains » sur leurs territoires. Fait inexplicable : le Mali, qui possède d'immenses étendues désertiques, n'était pas concerné par cette nouvelle organisation. Après la création d'un ministère du Sahara, la séparation de l'Algérie de ses territoires du Sud fut officiellement proclamée le 7 août 1957. Ainsi, les départements des Oasis et de la Saoura furent intégrés à l'OCRS. Le reste du pays était désormais appelé « l'Algérie du Nord » (à l'image de la Corée du Nord). Il fallait attendre le 5 septembre 1961 pour que le général de Gaulle annonce au cours d'une conférence de presse que les départements des Oasis et de la Saoura faisaient partie intégrante de l'Algérie. Cinq années auparavant, Djamel Abdelnasser ordonnait la nationalisation du Canal de Suez. Cela avait, d'une certaine manière, contribué à accélérer le projet de division de l'Algérie puisque la France avait des craintes sur ses approvisionnements pétroliers du Moyen-Orient. Houari Boumediène, qui était au Caire en 1956, avait assisté aux festivités marquant cette nationalisation, largement accueillie par la population égyptienne. Une autre nationalisation allait suivre, celle du domaine minier de l'Irak Petroleum Company (IPC) en 1961. A cette époque, les groupes tels que Shell et BP avaient le monopole des activités de distribution et de raffinage sur le territoire française. En 1960, la même année de la création de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) à Baghdad, la France regroupait les entreprises sous l'égide de l'Union générale des pétroles (UGP) pour les activités de raffinage et l'Union générale de distribution (UGD). La société néerlandaise Shell avait vivement protesté contre la création de cette Union. Progressivement, l'UGP construisait ou louait des raffineries partout (Allemagne, Sénégal, Belgique, Madagascar...) mais pas en Algérie. Sur le plan économique, cela aurait été fort rentable pour l'Etat français de raffiner le brut en Algérie et de le transporter compte tenu de la distance. Mais, les perspectives d'indépendance de l'Algérie changeaint tout. En 1966, le BRP lançait l'Entreprise de recherches et d'activités pétrolières (ERAP) dont la mission était de mettre en place une industrie pétrolière sans aide financière ou technique de l'Etat. L'ERAP était chargée de coordonner et superviser toutes les activités recherche, exploration, production, raffinage et distribution en France métropolitaine et dans les colonies. L'ERAP, qui était présente en Algérie, s'était adaptée aux nouvelles règles du marketing pour devenir ELF-ERAP, Elf-Matra puis Elf-Aquitaine. Cette entreprise est restée publique jusqu'à 1994 avant de fusionner avec Total. Total était également présente en Algérie après l'indépendance. En décembre 1963, le jeune Etat se dotait de sa propre société, la Sonatrach, pour transporter les produits pétroliers. Elle devait ensuite élargir ses activités à l'exploration, la production et la pétrochimie. Ce qu'elle avait fait des années après sa création. Mais, des clauses dans les Accords d'Evian donnaient un large monopole aux entreprises françaises. « l'Algérie confirme l'intégralité des droits attachés aux titres miniers et de transport accordés par la République française, en application du Code pétrolier saharien (…) et s'engage à respecter le droit pour le détenteur de titres miniers et ses associés de transporter ou faire transporter sa production d'hydrocarbures liquides ou gazeux et le droit du concessionnaire et de ses associés de vendre et de disposer librement de sa production », était-il écrit dans ces accords. L'Algérie indépendante acceptait donc de ne pas toucher au Code pétrolier saharien. Paris avait tout fait pour empêcher tout autre société française de venir explorer dans le sahara algérien. En 1962, il n'y avait que deux compagnies américaines et une entreprise allemande en Algérie dont les activités étaient fortement limitées. « La partie française avait imposé la création d'un organisme mixte algéro-français de gestion et de contrôle de l'industrie pétrolière algérienne, dénommé Organisme saharien et au sein duquel les deux pays étaient représentés par un nombre égal d'administrateurs. C'est donc à une structure administrative échappant complètement à la souveraineté nationale qu'était dévolue la tutelle du secteur pétrolier », a relevé, dans une analyse, Hocine Malti, ancien vice-président de Sonatrach, l'un des fondateurs de cette entreprise, consultant pétrolier actuellement. Remise en cause partielle des Accord d'Evian Deux ans après la signature des Accords d'Evian, la nécessité de revoir les volets énergétiques était apparue évidente. Les négociations devaient durer plusieurs mois. Les accords complémentaires étaient signés en 1965, quarante jours après le coup d'Etat militaire contre Ahmed Ben Bella. Les accords du 29 juillet 1965 avaient permis à l'Algérie, selon Hocine Malti, de cesser d'être un simple percepteur d'impôts, de remettre en cause le système de concessions et de se lancer dans l'aventure industrielle en prenant en main, sur le terrain, les opérations d'exploration et de production. « Cette dernière mesure était de loin la plus importante puisque c'est grâce à ce rôle d'opérateur que le pays finira par exercer une souveraineté totale sur les richesses de son sous sol », a-t-il estimé. « Les accords pétroliers algéro-français définissaient avec plus de précision le cadre de l'exercice des activités pétrolières par les sociétés françaises en Algérie et les mesures particulières dont elles pouvaient bénéficier et décidaient (parmi d'autres décisions relatives au prix posté, au régime fiscal applicable et à la coopération dans le secteur pétrochimique) de la création d'une société en participation (50%-50%) chargée de la recherche et de la production appelée Association-Coopérative (Ascoop) et dans laquelle Sonatrach représentait l'Algérie et était opératrice sur un certain nombre de périmètres et le Groupe Erap représentait la France avec la société Sopefal comme opérateur sur un certain autre nombre de périmètres », ont, de leur côté, précisé, dans une étude publiée par la presse, Abdelmadjid Attar et Zerrouk Djerroumi, deux anciens cadres de Sonatrach. Selon eux, cette Association-Coopérative, dotée de périmètres de recherche d'une superficie de 200 000 km2 , a activé pendant quelques années. Au cours de cette période, 35 forages ont été réalisés qui se sont traduits par quatre découvertes avec des efforts réduits de recherche. « Ce comportement inattendu de cette structure a conduit le partenaire algérien à demander, au cours des rounds de révision des clauses fiscales tenus de fin 1969 à début 1971, à son partenaire de se conformer aux engagements pris, mais ce dernier est resté sourd à ces demandes et son attitude a conduit les autorités à penser sérieusement au scénario de la nationalisation », ont indiqué les cadres de Sonatrach. Selon Hocine Malti, la guerre du Moyen-Orient de juin 1967 fournissait au régime de Houari Boumediène l'occasion de créer la première brèche dans le front des compagnies concessionnaires, en vue de la reprise en main des réserves pétrolières. « Par solidarité avec les pays arabes engagés dans le conflit, le gouvernement décidait de mettre sous contrôle de l'Etat les compagnies pétrolières américaines présentes dans le pays. La levée de la mesure, quelques mois plus tard, aboutissait à la cession par Getty Oil à Sonatrach de 51% de ses intérêts sur le champ de Rhourde El Baguel », a-t-il noté. Les difficultés liées à l'Ascoop avaient donné lieu à des négociations qui devaient aboutir à un échec. « Les négociations commencèrent en novembre 1969, dans l'espoir qu'elles aboutiraient à la date anniversaire de juillet 1970. Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères, effectua de très nombreux va-et-vient entre Alger et Paris pour y rencontrer le ministre français de l'Industrie Xavier Ortoli, en charge du dossier. Une année après, aucune avancée n'ayant été constatée, le président Boumediène décida finalement, en novembre 1970, de mettre fin à la tentative de règlement par voie diplomatique, dessaisit le ministère des Affaires étrangères du dossier et donna pour instruction au secteur de l'énergie de se préparer à prendre en main l'exploitation pétrolière du pays », a expliqué Hocine Malti. L'échec des pourparlers amenait donc Houari Boumediène, en quête grandissante de popularité, à annoncer la nationalisation, partielle pour certaines sociétés, des hydrocarbures. Les entreprises gazières ont été nationalisées à 100%. CFP-Total joue le jeu Par conséquent, Elf-ERAP et la Compagnie française des pétroles (CFP, l'ancêtre de Total) ne pouvaient enlever que 5 millions de tonnes de brut en Algérie. Fortement touchée, Elf-ERAP décidait de quitter l'Algérie. Elle ne trouvait son équilibre que vers 1975. La CFP, qui avait déjà beaucoup perdu après la nationalisation de l'IPC en Irak dans laquelle elle détenait des parts, restait et était obligée de négocier avec les autorités algériennes et signer des accords entrés en application à partir de juin 1971. Elle arrivait même à augmenter ses parts dans le gisement de Hassi Messaoud ! Le congrès du FLN de Tripoli en 1962 avait retenu le principe de la nationalisation des installations pétrolières mais sans préciser de date de mise en application. La CFP en était informée et s'était bien préparée à cette nouvelle politique en adoptant un plan de protection de ses actifs et en transférant son siège social d'Alger vers Paris. L'Etat algérien procédait courant 1971 à une révision en profondeur des textes régissant les activités liées aux hydrocarbures dont le fameux Code pétrolier saharien qui accordait des avantages en matière fiscale aux sociétés françaises. « En vue de corriger les dysfonctionnements créés par ces textes qui s'étaient montrés inadaptés à la nouvelle situation du pays (statut administratif particulier, statuts des concessionnaires, avantages fiscaux, mesures protectrices des concessionnaires, limitation des pouvoirs de l'administration algérienne, etc.) et qui n'étaient plus en ligne également ni avec la situation courante de l'industrie pétrolière internationale ni avec les acquis réalisés par les autres pays producteurs, et étant donné que ces dysfonctionnements n'ont pu être réglés par des dispositions intérimaires comme la création d'institutions mixtes du genre Organisme saharien ou Organisme de coopération industrielle, vu leur lourd co-management, les autorités algériennes ont promulgué une série d'ordonnances et de décrets le 12 avril 1971 », ont souligné Abdelmadjid Attar et Zerrouk Djerroumi. D'autres pays ont suivi l'exemple algérien, comme l'Angola et l'Indonésie qui nationalisèrent leurs ressources pétrolières. L'Iran, lui, avait échoué dans sa tentative de le faire. Le 12 avril 1971, Boumediène prenait la décision de charger Sonatrach de mener seule les opérations sur les champs pétroliers et gaziers. « A partir de ce moment, l'Algérie contrôlait, au travers de sa compagnie pétrolière nationale, 4 milliards de tonnes de réserves pétrolières sur un total estimé de 5, des réserves de gaz de 4000 milliards de mètres cubes, toutes les réserves de condensat, estimées à l'époque à 600 millions de tonnes et un réseau de 8 gazoducs et oléoducs d'une longueur totale de 3500 kilomètres. La part de Sonatrach, qui avait été jusque-là de 30% de la production, passait à 77% », relevait Hocine Malti. Les nouvelles lois restaient en vigueur jusqu'à 1986. Après cette date, marquée par un effondrement des cours mondiaux du pétrole, un autre schéma fut adopté pour le patrimoine minier. La nationalisation en Algérie avait suscité la méfiance des grandes compagnies pétrolières internationales. Situation entretenue par l'embargo, décidé en 1973 par les pays arabes membres de l'OPEP réunis au Koweït après la Guerre d'Octobre, à l'encontre des Etats occidentaux qui soutenaient Israël. Le sommet d'Alger de novembre 1973 devait conforter cette position. Une année plus tard, Boumediène prône, dans un discours aux Nations unies, l'instauration d'un nouvel ordre économique international. Pour certains historiens, Houari Boumediène avait marché sur les traces de Djamel Abdennaser et s'en était inspiré pour la prise de plusieurs décisions dont la reconquête de la souveraineté sur les hydrocarbures, « la révolution agraire », le barrage vert et l'utilisation du FLN comme simple appareil politique. A titre d'exemple, le colonel Djamel Abdennaser avait fait de El Ittihad Al Ichtiraki (l'union socialiste) un instrument politique au service des ses visions et avait lancé le fameux « El Islah aziraï » (la réforme agricole).