La salle Hamma de l'hôtel Sofitel d'Alger s'est avérée très exiguë pour contenir la foule nombreuse venue assister aux débats d'El Watan. Un débat consacré, cette fois-ci, à un thème des plus intéressants : «La révolution démocratique et les droits des femmes». Ce sujet a suscité une vive émotion et une tension dans la salle. Attitude qualifiée de positive par les animateurs de cet espace d'expression. Deux intervenants, et pas des moindres, ont développé deux approches différentes sur la question des droits des femmes en Algérie à l'heure où les sociétés traversent de profonds bouleversements. L'un optimiste, l'autre pessimiste. Nourredine Saâdi, professeur à l'université d'Alger et à l'université d'Artois en France, s'est dit optimiste par rapport à l'évolution de la situation dans notre pays. De son avis, l'une des raisons qui a fait que le monde arabe bouge aujourd'hui, c'est l'évolution du statut de la femme. Pour sa part, Mme Fadhila Boumandjel-Chitour, membre du réseau Wassila d'aide aux femmes et enfants victimes de violences, a tenu un discours rigoureux. Elle a appelé à la vigilance car, selon elle, il n'y a pas de révolution démocratique. Mme Chitour estime qu'il faut rester extrêmement prudent dans nos évaluations et paris sur l'avenir, et ce, même si l'espoir de voir s'installer des régimes démocratiques dans nos pays en remplacement des régimes policiers et dictatures actuels donne un nouvel élan à nos luttes et alimente notre optimise. La prudence, note-t-elle, s'impose encore davantage quand il s'agit des femmes. Des femmes algériennes notamment qui ont fait déjà l'expérience de désillusions au lendemain de la guerre d'Indépendance censée être une révolution qui apporterait l'égalité des droits entre les hommes et les femmes. En remontant un peu plus loin dans l'histoire, l'intervenante rappelle ce qu'il est advenu des revendications des féministes de l'époque et à leur tête les anciennes moudjahidate. Prenons le code de la famille, s'est-elle exclamée ! Un code, en vigueur depuis 1984, un code anticonstitutionnel et qui consacre, de fait, la discrimination à l'égard des femmes, même s'il a fait l'objet, en 2005, d'un toilettage de façade par le biais de quelques amendements dérisoires. Mme Chitour réitère ses inquiétudes : «Attention qu'une fois de plus le combat des femmes pour une modification réelle de leur statut ne passe à la trappe dans cette période de changement annoncée !», a-t-elle averti en avançant des arguments palpables. Aucun parti politique n'a évoqué la question de la femme De ce fait, elle n'exclut pas que, dans les programmes proposés par les différents courants dits démocratiques, la question des droits des femmes ne soit diluée dans la défense des droits humains en général, que cette question ne soit escamotée, sinon occultée. Des exemples existent. Elle rappelle à l'assistance que dans les réunions de la Coordination nationale pour la démocratie et le changement (CNDC), fraîchement créée, à l'exception d'un ou deux étudiants et d'un membre d'un parti politique, aucune autre personne n'a évoqué la question de la femme, de même qu'il n'y avait pas de slogans ciblés sur les droits des femmes ni dans les rues, lors des marches interdites, ni dans les salles de conférence. Mme Chitour n'a pas également ménagé le FFS qui, dans son meeting organisé le 4 mars, a programmé une intervention relative aux violences à l'encontre des enfants, mais pas un mot sur les droits des femmes. «La violence faite aux enfants est un thème important et son traitement est très utile. Néanmoins, on peut se demander pourquoi dans une telle tribune, une deuxième communication sur les droits des femmes n'a pas été prévue. Cette omission est inexplicable», déplore l'intervenante qui pense que les femmes doivent rester vigilantes, ce qui suppose qu'elles doivent s'efforcer d'être visibles et de faire entendre leur voix dans cette phase incertaine, mais peut-être importante pour l'avenir politique du pays. Saisissant cette opportunité, et dans un souci de visibilité, l'intervenante a voulu partager l'expérience du réseau Wassila accumulée pendant plus de dix ans, dans l'accompagnement des femmes et des enfants victimes de violences. Mme Chitour est persuadée qu'à travers la violence faite aux femmes, l'on peut mesurer l'ampleur et la gravité de la violation de leurs droits. «Ceci nous amène à conclure qu'il y a une double faillite : celle des institutions et celle de la société à défendre les droits des femmes, mais comme nous appartenons à cette société, nous sommes donc responsables de ces victimes. Absence de volonté politique Et il est de notre devoir de réparer les aberrations de cette société avec nos faibles moyens», observe Mme Chitour, qui regrette cette digression et évoque par là même le livre noire publiée récemment par le réseau Wassila et dans lequel l'on peut lire le cri douloureux des femmes victimes de toutes formes de violences. Les conséquences sont dramatiques pour la plupart des femmes victimes de violences conjugales ; pas d'emploi, pas de ressources financières, pas de soutien familial, une famille éclatée, pas de logement, une santé physique et psychologique fragilisée, des enfants traumatisés... Ce travail effectué par le réseau Wassila avait pour but d'alerter les pouvoirs publics sur les insuffisances ou les silences de la loi et de susciter de la part des institutions une volonté réelle d'intervention. En vain. «Les auteurs de violences bénéficient de l'impunité ou des sanctions symboliques, il en est de même pour les agresseurs dans les affaires de harcèlement sexuel au travail et dans les universités. Est-ce normal ?», s'est interrogée l'oratrice. Revenant sur l'interdiction, le 25 novembre 2010, Journée mondiale de lutte contre la violence à l'encontre des femmes, d'un colloque international organisé par des associations féministes qui devaient proposer des solutions chacune dans son domaine, Mme Chitour s'interroge sur cette attitude de mépris et de hogra vis-à-vis des femmes en général. «Cette interdiction porte un mauvais coup aux possibilités de collaboration entre les institutions et les associations de défense des droits des femmes», fera-t-elle remarquer. Pour Mme Chitour, qui prend acte de l'absence de volonté politique de reconnaître les droits des femmes en général et donc d'améliorer le sort des femmes victimes de violences en particulier, toutes ces anomalies ne sont pas de simples dysfonctionnements susceptibles d'être corrigés. Elles découlent de la structure même du système de gouvernance et de la nature du régime. «De grâce inutile de lancer des accusations et nous récusons l'anathème jeté par un parti politique sur les revendications à caractère politique», a conclu Mme Chitour. De son côté, Noureddine Saâdi demeure optimiste, il croit dur comme fer qu'il y aura des révolutions qui apporteront des changements dans le bon sens. L'évolution du statut de la femme est pour lui l'une des raisons des soulèvements dans le monde arabe. Le monde arabe, explique-t-il, est en train de bouger parce que les sociétés qu'on a souvent présentées comme immuables, clôturées par «les traditions» et la «charia», sont en train de secouer les certitudes. «Qui de nous n'a pas remarqué l'ahurissement des Occidentaux devant l'évolution de ce monde arabe qu'il croyait immuable et soumis à jamais ?» s'est interrogé Saâdi, qui pense qu'aujourd'hui aucun pays arabe n'est épargné, du Yémen jusqu'à l'Arabie Saoudite, en passant par le Bahreïn, la Syrie ou l'Algérie, ces changements sont inéluctables. C'est une question de temps. «Quels que soient les revers que peuvent subir les Libyens aujourd'hui, quelles que soient les difficultés que vivra encore le Bahreïn et quelles que soient les évolutions très lentes qu'il y a en Algérie, je crois qu'incontestablement le monde arabe va changer et qu'il y aura la fin des dictatures», lance Saâdi. Pour lui, il ne s'agit pas là de simples mots, mais c'est une analyse qui découle de la réalité du terrain. «Les pouvoirs ont toujours considéré leurs peuples comme étant des tubes digestifs, c'est-à-dire des consommateurs. Ces peuples ont prouvé le contraire puisqu'ils posent, aujourd'hui, le problème de la démocratie et réclament des libertés démocratiques et des changements profonds pour une nouvelle répartition des richesses, posant la question d'une justice sociale. Ils veulent conduire leur destinée», affirme Saâdi. L'optimisme de Noureddine Saâdi Pour lui, ces bouleversements ne sont pas nés d'une mondialisation occidentale, mais d'une évolution profonde d'une société dans laquelle la question féminine a joué un rôle. Saâdi rappelle que dans cette vague de soulèvements, beaucoup ont été étonnés par la présence massive des femmes, que ce soit dans la rue ou au sein des associations : «La présence visible de la femme dans la rue tunisienne, à la place Tahrir, en Egypte, et aussi au Yémen n'est pas fortuit, ceci est dû à un travail de longue haleine», note l'orateur. S'agissant particulièrement de l'Algérie et partant de certains constats et observations, l'on remarque, de l'avis de Saâdi, que la société et la condition des femmes ont changé, et ce, dans le sens positif. L'exemple le plus édifiant est la démographie; il y a 50 ans, la fécondité était de 8,1 enfants, elle est aujourd'hui estimée à 2,3 enfants. Les causes sont multiples : recul de l'âge du premier mariage des femmes, la scolarisation... D'après l'intervenant, l'Algérie est en train d'accomplir sa révolution démographique. L'orateur reconnaît que les espaces publics sont masculins, mais explique cela par l'emprise des normes culturelle et idéologique. Il avoue également que les femmes sont des boucs émissaires dans tous les pays arabes et la question du droit des femmes passe inévitablement par le politique. «Les revendications des femmes dans le monde arabe ne relèvent pas du pessimisme fondamental, mais plutôt d'un optimisme historique. C'est autour de la femme que va se jouer la question de la démocratie.»