Les protestataires, venus des quatre coins du pays, réclament de la considération, la reconnaissance de leurs souffrances et une vie décente. «Mon mari aurait dû monter au maquis ! Il serait ainsi encore vivant. Il aurait été indemnisé par l'Etat, et nous aurions été intouchables !» Radia, la soixantaine, en a gros sur le cœur. Et elle entend bien le hurler à la face du policier qui tente de la repousser, calmement mais fermement, vers la placette en face de l'hôtel Es Safir. Comme elle, ils étaient près de 300 victimes du terrorisme, dont des patriotes, venus de nombreuses localités du pays afin de tenir un rassemblement, dans la matinée d'hier, devant l'Assemblée populaire nationale (APN). Leurs revendications ? «De la considération. La reconnaissance de nos souffrances», explique Hocine Moussa, délégué des quelque 190 familles victimes de Bouzaréah. «Nous voulons un statut, au même titre que les terroristes et leurs familles», s'indigne Radia. Sous son foulard blanc, la veuve de Bourouba s'agite. «Comment voulez-vous que je fasse vivre mes enfants avec les 5000 DA de pension accordée ? Et encore, les virements ont été suspendus depuis plus de trois mois», ajoute-t-elle. Et les récits des manifestants sont aussi nombreux que poignants. «Les terroristes ont tué mon mari, mon frère ainsi que ma cousine», raconte Samia, la quarantaine. Le traumatisme engendré par la barbarie de ces actes est toujours aussi vivace. Tout particulièrement chez les plus jeunes. «Mes trois enfants n'ont jamais pu avoir une vie normale. Ils sont perturbés, et n'ont jamais réussi à s'en remettre», s'attriste-t-elle, en pleurs. Et ce ne sont pas les 16 000 DA octroyés par l'Etat à la famille qui ont permis un quelconque suivi psychologique des enfants. «Une prise en charge totale avait été promise, tant sur un plan matériel que moral. Mais tous les engagements sont restés lettre morte», s'emporte-t-elle. «Nous reviendrons la semaine prochaine» Au bout de près d'une heure de manifestation, les esprits s'échauffent. La foule grandissante tente de sortir de l'enclos formé par les forces antiémeute. Ils veulent occuper la chaussée, en face de l'APN. La haie bleue les en empêche toutefois. Parfois avec force. Les femmes et les hommes, âgés pour la plupart, sont bousculés, poussés et contenus sur la placette. «Si vous vous faisiez tuer, vos familles seraient jetées et malmenées ici avec nous», hurle une sexagénaire en direction des policiers. Les manifestants se regroupent alors au centre de l'esplanade, brandissant des banderoles et entonnant des slogans hostiles au pouvoir. «L'Etat a le devoir de s'asseoir avec les représentants des victimes et de tendre l'oreille à leurs revendications. Indemnités, pensions, assurances, logements et prise en charge médicale», réclame Abdelkader, 44 ans. L'homme a perdu sa femme, ses 5 enfants ainsi que ses parents lors du massacre de Had Chekala, à Relizane, en 1998. «Ce pays se doit d'assumer ses responsabilités envers son peuple, tout particulièrement ceux qui ont le plus souffert», dit, dans un souffle, Abdelkader, 55 ans. Et ce ne sont pas les souffrances qui ont épargné l'homme. «Les terroristes ont tué, en 1997, mes 7 enfants et ma femme. J'ai moi-même été à moitié égorgé et j'ai reçu trois balles dans le ventre», narre-t-il. En dépit de ces épreuves inhumaines, il affirme ne percevoir aucune aide pécuniaire ou autre. «La situation ne peut plus durer. Nous escomptons reconduire nos manifestations tous les dimanches et ce, jusqu'à satisfaction de nos revendications», promettent-ils.