Du jour au lendemain, des villes et des villages ont perdu leur économie locale, car le flux de voyageurs a été absorbé par l'autoroute Est-Ouest. Lentement, mais sûrement, le petit commerce se meurt tout au long de la RN5 à Bordj Bou Arréridj, de la frontière de la wilaya de Sétif à celle de Bouira. Il y a quelques années encore, les villes et villages et les marchés implantés tout au long de cette route nationale étaient fébriles d'activités et de négoce. Bouchers, boulangers, marchands de fruits et légumes, mécaniciens, tôliers, restaurateurs, vulcanisateurs… y attiraient la clientèle au quotidien. Mais avec l'autoroute, les rideaux sont tirés et, aujourd'hui, certains appellent ces sites Far West, puisque des locaux commerciaux ont remplacé les étals des commerçants et les restaurants qui longeaient toute la distance. Le problème, c'est que ces locaux scintillants sont fermés depuis plusieurs années; ils n'ouvrent que dans les occasions, pour les yeux des politiciens, sans rien vendre. Naguère, dans le premier point de contact avec la wilaya de Sétif, des marchés de légumes et de viande blanche étaient florissants, et les voyageurs s'en approvisionnaient à longueur de journée. Maintenant, seulement deux commerçants de légumes s'y trouvent. «On n'arrive plus à vendre notre marchandise sur ce tronçon», dit un agriculteur de la région. «Nous sommes obligés d'augmenter les prix pour déplacer la marchandise vers les souks de la région», ajoute-t-il. A une dizaine de kilomètres des lieux, les jeunes de la commune de Aïn Taghrout avaient l'habitude de vendre du maïs grillé, des poules et des œufs fermiers, de la galette et de l'eau fraîche, maintenant, il n'y a que des taches noirâtres par terre, témoignant de leur passage. Plus loin, à Sidi M'barek, la RN5 coupe le village en deux. Seuls les bus s'arrêtent dans ces quelques restaurants pas chers et de moindre qualité. Pour les autres commerces, on compte plus de 80% de pertes, selon un jeune gérant de kiosque multiservices. «Je n'arrive plus à joindre les deux bouts», affirme-t-il «Je serai obligé de fermer dès l'expiration du bail de location», fait-il savoir. Cinq kilomètres après, c'est la localité de Aïn Trab; sa proximité avec Bordj Bou Arréridj a sauvé quelques petits commerces de pommes de terre. «Nous avons perdu 50% de notre clientèle», dit encore un vendeur. «Seuls les habitants de Bordj Bou Arréridj viennent s'approvisionner chez nous», ajoute-t-il. Les places publiques vides A 10 km du côté ouest de la ville de Bordj Bou Arréridj, El Achir est le seul village où l'animation n'a diminué que de 70%, parce qu'il est situé juste à la sortie de l'autoroute. Les quelques restaurants qui restent ouverts ont survécu «grâce» au retard dans la réalisation des relais sur cette autoroute. Ce village est connu pour ses brochettes et sa viande. Il était une halte presque obligée pour tant de voyageurs exténués, mis à mal par une RN5 exécrable. C'est aussi le village de l'agneau. A Aïn Defla, Mansourah et El M'Hir, seuls les mécaniciens, les tôliers et les soudeurs restent ouverts. La boue, les flaques d'eau, les mauvaises odeurs et des ordures dominent les deux côtés de la route nationale. A Hammam Bibanes, première sortie de l'autoroute sur le tronçon Bordj Bou Arréridj, qu'un grand nombre d'automobilistes ratent, la station thermale et celle d'essence restent un peu animées. Au dernier endroit avant la frontière avec Bouira, Tizi Kachouchène, il y a un magasin d'alimentation générale presque vide. Juste quelques boîtes de conserves, un sachet de bonbons, un autre de chewing-gum et beaucoup de bouteilles de limonade et de jus. Il y a le propriétaire et son fils. Ils ne sont pas débordés. Pourtant, ils affirment recevoir beaucoup de clients. « Les gens ne s'arrêtent plus, maintenant qu'il y a l'autoroute, surtout ceux qui ratent l'entrée ou la sortie à Hammam Bibanes. Ils boivent de la limonade ou de l'eau, achètent de quoi manger et repartent. C'est bon pour notre économie», affirme le commerçant. Une heure plus tard, la jolie placette du commerce est toujours vide. Dans les autres espaces de la localité, seuls les habitués jouent aux dominos. Les gens ne s'éternisent pas ici, il n'y a pas d'hôtel, de restaurant ou même une station d'essence. L'autoroute a surtout été bénéfique pour la région lors de sa construction. «Durant les deux ans de travaux à proximité du village, tout le monde pouvait travailler sur le chantier. Et les ouvriers venaient manger et acheter ici», raconte notre interlocuteur. Lui-même a donné un coup de main pour quelques dinars parce qu'il n'avait droit qu'à un contrat de 3 mois non renouvelable.