Photo : Slimene SA. El Yachir, cette localité de la wilaya de Bordj Bou Arréridj, est réputée par la qualité de sa viande et notamment ses grillades. Autrefois passage obligé des voyageurs qui y font une halte pour se restaurer, elle risque, désormais, de perdre ses clients devenus de plus en plus rares. Et pour cause : l'ouverture de l'autoroute Est-Ouest aux automobilistes a amplement freiné ce commerce très lucratif. Entre le désir d'arriver vite et celui d'apaiser sa faim, la décision revient aux passagers. Chaque médaille a son revers. Aussi, ne dit-on pas que le bonheur des uns fait le malheur des autres ? Notre reporter est revenu sur les risques de déperdition de cette activité commerciale et l'alternative proposée par les autorités locales. Bordj Bou Arréridj n'est peut-être pas connue pour ses vestiges archéologiques comme c'est le cas de Sétif, Batna ou encore Alger, mais jouit d'une bonne réputation en matière de stations thermales et surtout, pour la qualité de sa viande ! A El Yachir notamment où des dizaines de restaurants restent ouverts jusque tard dans la nuit, affichant un menu alléchant de grillades de toutes sortes, les clients, des voyageurs pour la plupart, n'ont qu'à se servir. Toutefois, depuis l'ouverture à la circulation de l'autoroute Est-ouest, ces clients se font rares. Car si la nouvelle route fait le bonheur des voyageurs, ce n'est pas le cas des propriétaires des restaurants. C'est pour dire que le bonheur des uns fait le malheur des autres ! En passant du côté d'El Yachir, on ne peut pas ne pas sentir la délicieuse odeur de viande grillée qui flatte, irrésistiblement, nos narines. L'air de cette commune, située à quelques kilomètres seulement du centre ville de Bordj-Bou-Arreridj, dégage plus de senteurs que d'oxygène ! Dans chaque coin de ses rues, se dressent des restaurants, implantés l'un à côté de l'autre, avec comme menu essentiel : des brochettes de viande, de très bonne qualité. Ce n'est pas pour rien qu'on a baptisé El Yachir de «capitale des brochettes» ! Les odeurs alléchantes ne manquent pas d'attirer les passants et voyageurs, affamés. Tout au long de l'allée où se tiennent les restaurants, mais également des boucheries (aussi nombreuses que les restaurants), des voitures de différentes immatriculations sont stationnées, en cette journée d'hiver du mois de janvier. «Cette région est réputée par la qualité de sa viande. Nous élevons nous-mêmes nos ovins. Ainsi, nous sommes sûrs de la qualité de la viande que nous proposons dans nos restaurants ou vendons dans nos boucheries», explique Farouk Bourehla, l'un des propriétaires de restaurants qui exerce ce métier depuis quatre ans. «Ce commerce est une spécialité d'El Yachir depuis des lustres. C'est un métier de famille. J'ai hérité ce restaurant de mon père et mon père de son père», dit-il. Cela dit, El Yachir n'est pas la seule commune qui offre de la bonne grillade. Mais elle a plus d'avantages et par voie de conséquence, attire plus de monde. Le premier avantage est l'échangeur situé à sa proximité et que les voyageurs sont obligés d'emprunter pour accéder à l'autoroute. «Grâce à cet échangeur, les voyageurs passent inévitablement par El Yachir. De plus, ils n'ont pas, comme dans les autres communes, des problèmes de stationnement puisque des parkings sont mis à leur disposition», ajoute-t-il, en assurant que les restaurants, dans leur majorité, sont bien entretenus. «Ici, vous ne trouverez que des restaurants de bonne qualité, à cause de la concurrence. Les restaurants sont nombreux et chacun doit attirer des clients comme il peut. La qualité de la viande ne suffit pas. Nous misons également sur l'entretien, la propreté et le bon accueil», tient-il à préciser. Une concurrence rude qui a obligé d'ailleurs les petits gargotiers à fermer boutique. Car à El yachir, on prend le temps de s'attabler et de bien choisir son menu. Les sandwichs ? A la va vite ? Très peu! Toutefois, cette clientèle gourmande, friande de bonne grillade risque, d'ici quelques mois, de ne plus avoir ni le temps ni la volonté de s'attabler, préférant un bon petit dîner chez-soi. Certains clients ont déjà affiché leur préférence culinaire depuis l'ouverture à la circulation de l'autoroute Est-Ouest. Il semble que le bonheur des uns fait le malheur des autres dans cette commune ! Car si les voyageurs sont contents de gagner du temps grâce à la nouvelle route, ce n'est pas le cas des propriétaires des restaurants installés non seulement à El Yachir, mais aussi dans les autres communes de la wilaya. L'AUTOROUTE EST-OUEST, UN OBSTACLE ? «Avant l'ouverture de l'autoroute est-ouest, la restauration nous apportait entre 5000 et 6000 dinars de bénéfices par jour. Aujourd'hui, on a du mal à boucler les 1000 DA ! Pourtant, nous restons ouverts jusqu'à 2 heures du matin. Ce mois-ci nous avons perdu 15 millions de cts ! Nous n'arrivons plus à rentrer dans nos frais. D'autant plus qu'en hiver, les clients ne sont pas aussi nombreux qu'en printemps ou en été», affirme Farouk Bourehla. «Les gens sont pressés de rentrer chez eux et l'autoroute leur facilite la tâche. Sauf les gourmands, les passants transitent par El Yachir sans s'arrêter. Ils préfèrent manger chez eux. Par ailleurs, avec ce nouvel itinéraire, les gens ne maîtrisent pas encore très bien la route. Surtout le soir. Les plaques indiquant la route n'étant pas encore mises en place, les gens n'ont plus de repaires, ne savent plus où s'arrêter même s'il en ont envie. Nous n'arrivons plus à travailler comme avant», déplore-t-il. Même ceux, qui, voudront passer la nuit à El Yachir ne le peuvent pas. «Il nous manque un hôtel. Les clients ne peuvent pas rester, vont ailleurs. Avant l'ouverture de l'autoroute, j'ai sérieusement envisagé d'investir dans un projet de construction d'un hôtel. Mes bénéfices étaient plus que bons. Mais maintenant que nous avons du mal à joindre les deux bouts, j'ai préféré laisser tomber ce projet, pour le moment du moins», révèle-t-il en confiant qu'il a dû aussi, comme beaucoup de propriétaires de restaurants dans la région, se séparer d'un nombre important de leurs employés. En effet, avant l'ouverture de l'autoroute, El Yachir se suffisait pratiquement à elle-même. Le domaine de la restauration permettait aux jeunes de la région et même ceux d'ailleurs, de ne pas trop souffrir du chômage. «J'avais 24 employés. Mon restaurant était bondé et j'avais besoin de main d'œuvre. Maintenant, ce n'est plus nécessaire ! Je n'ai plus que 14 employés. A ce rythme, le chômage risque de monter en flèche à El Yachir», estime-t-il. Néanmoins, El Yachir, malgré la mauvaise période qu'elle traverse, est chanceuse par rapport aux autres communes, comme Sidi Mbarek et El Mansourah, où les propriétaires des restaurants ont dû mettre la clé sous le paillasson. «Ces communes sont implantées au bord de l'ancienne route qui mène vers Bordj Bou Arréridj. Mais depuis l'ouverture de l'autoroute est-ouest, les voyageurs ne passent plus par l'ancienne route. Ni clients, ni restaurants», révèle Farouk Bourehla. Les restaurateurs d'El Yachir ne perdent cependant pas espoir. Ils espèrent qu'avec le temps, El Yachir redeviendra comme avant. «Il faut prendre notre mal en patience et laisser le temps aux voyageurs de s'habituer aux nouvel itinéraire. Nous espérons nous rattraper en printemps et en été, période pendant lesquelles nous recevons beaucoup de monde, les familles notamment qui viennent déguster nos brochettes mais également des touristes et employés étrangers qui travaillent dans la zone industrielle.»