Le grand débat que voulait lancer la droite (UMP) prend eau de toutes parts. Il risque de connaître le même sort que celui sur l'identité nationale. Les défections s'accumulent. Les cadres de l'UMP débattront entre eux le 5 avril : un flop annoncé. Paris. De notre correspondant Même le recteur de la Mosquée de Paris, dans un ultime revirement, refuse d'y participer. Dans un climat d'islamophobie étouffant, attisé par les élections, le débat sur la laïcité, terme pudique pour cibler l'Islam, initié par le secrétaire général de l'UMP, Jean-François Copé, tourne au ridicule. Et les charges répétées du ministre de l'Intérieur ne sont pas faites pour rassurer la communauté musulmane. Pas un jour sans des scuds contre l'immigration, la religion musulmane, l'insécurité (dans l'ordre et le désordre), jusqu'à une élue UMP francilienne qui veut interdire l'enseignement de l'arabe dans sa municipalité. A force de courir derrière le Front national, le parti de Nicolas Sarkozy est allé jusqu'à utiliser le même lexique pour draguer un électorat sensible aux thèses extrémistes, au risque de faire fuir tous les modérés. «L'UMP de Jean-François Copé c'est la peste pour les musulmans», répète Dahmane Abderrahmane. Devant cette charge inégalée depuis la Seconde Guerre mondiale, les représentants des autres religions disent aussi basta ! «Quelle laïcité ?», s'interroge le pasteur Claude Baty, président de la Fédération protestante de France. «Si on parle d'Islam, qu'on en parle ! Qu'on ne fasse pas semblant de parler de laïcité. Dès le départ, j'ai souligné que ce débat était malsain». Juifs ou catholiques, musulmans, sikhs ou protestants s'estiment de plus en plus instrumentalisés par le gouvernement. «On voit bien que le grand souci d'un certain nombre, ce n'est pas la laïcité, mais comment utiliser les religions à leur profit dans une période électorale», s'indigne Claude Baty. «Débat sur l'Islam» au départ, devenu «Colloque sur la laïcité » par pudeur sémantique, la réunion de l'UMP, le 5 avril devrait surtout concerner l'exercice du culte musulman en France : prières dans la rue, soins à l'hôpital, formation des imams, viande halal dans les cantines, accompagnement des sorties scolaires. C'est au soir de la déroute électorale aux régionales que le nouveau secrétaire général de l'UMP s'est lancé dans une surenchère absurde sur la gestion de l'Islam en France. Son injonction de prêche en français dans les mosquées a fait long feu, depuis que le ministre de l'Intérieur chargé des Cultes, Claude Guéant, l'a reconnue comme contraire à la Constitution. Ce qui n'empêche pas ce dernier d'inventer, lui aussi, chaque jour de nouvelles exigences. La peste, le bouc émissaire et les bourgeons «Il n'est jusqu'aux francs-maçons du Grand Orient, ardents défenseurs de la laïcité, qui ne s'inquiètent», selon leur grand maître Guy Arcizet. Pour le grand rabbin de France, Gilles Bernheim, le climat malsain ambiant est le symptôme d'une «société très malade qui cherche des boucs émissaires». Ce débat crée des tensions très vives, allant jusqu'à faire des victimes collatérales. Les sikhs (environ 15 000 en France), qui disent avoir «enduré les insultes racistes, la discrimination à l'emploi, le profilage racial et les humiliations à l'école» en raison du port du turban, ont aussi exprimé leur «inquiétude face à l'atmosphère délétère» concernant le fait religieux en France. Paradoxalement, les défenseurs de la laïcité de l'UMP, à commencer par le président Nicolas Sarkozy, ne ratent pas une occasion pour parler des racines chrétiennes de la France, multipliant les clins d'œil à l'électorat frontiste. «Si un arbre a des racines chrétiennes, cela veut dire qu'il a des branches chrétiennes. Est-ce à dire que si vous n'êtes pas chrétien, vous n'êtes pas français ?», s'interroge le grand maître du Grand Orient. Toute une communauté se sent visée par cette politique du bouc émissaire, et cela risque d'empirer à l'approche de la présidentielle avec la droitisation du discours, l'UMP ne cachant plus son intention d'axer sa campagne sur ce thème, à défaut de défendre son bilan peu reluisant sur le plan économique et social.