Le dernier coup porté à la loi relative à la commune du 7 avril 1990 datée de juillet dernier avec l'ordonnance n°05-03. Celle-ci promulguée pour, entre autres, entériner la dissolution des assemblées élues de la Kabylie devient par la force des choses une véritable épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des représentants légitimes du peuple. L'article 34 a été modifié de sorte à ce qu'il puisse permettre au gouvernement de dissoudre n'importe quelle assemblée sous le motif de « dysfonctionnement dans la gestion » et dans « l'administration locale » ou lorsque le maintien de l'assemblée est de nature à porter atteinte aux « intérêts et à la quiétude du citoyen ». L'acte est hautement politique et l'administration prend avec l'introduction de cet article, qui n'épargne pas non plus les assemblées de wilaya, un sérieux ascendant sur les instances élues, puisque qu'elle s'auto-adjuge le droit de « vie ou de mort » de ces représentations. Ces atteintes à la loi en question, aussi critiquable puisse-t-elle être, ne datent pas d'il y a quelques mois, mais sont une des constantes manifestes du discours politique de ces dernières années. Arguant le fait de réformer le code communal, le tandem FLN-RND n'a en effet jamais cessé de s'attaquer sous ce même prétexte à cette loi, cachant à peine la tentation nostalgique d'un probable retour aux années de « centralisation » à outrance. Le recul observé sur le plan du texte est ainsi édifiant et a fini presque de le vider entièrement de sa sève, d'où la nécessité évidente de le changer ! Le maire présenté et glorifié par ladite loi n'est plus que l'ombre de lui-même et ses interventions sont réduites à leur plus simple expression. « Quand nos citoyens viennent nous voir pour se faire délivrer de simples autorisations, comme effectuer des branchements sur différentes conduites, on a tout le mal du monde à leur expliquer qu'ils doivent s'adresser à la daiïa », clame le vice-président de l'assemblée de Dély Ibrahim. Pareil pour la distribution du logement, d'assiettes foncières et même de banales interventions sur la voirie ; réseaux d'adduction d'eau potable ou d'acheminement d'eaux usées. Les walis délégués ont hérité par les truchements des différentes circulaires émanant du gouvernement ou du ministre-wali de pouvoirs exorbitants. L'avènement des Etablissements publics à caractères industriel et commercial (EPIC) a fini d'achever les missions les plus élémentaires des communes qui se contentent généralement d'assister ceux-ci lorsqu'ils opèrent sur leur territoire : l'entretien des routes, l'enlèvement des déchets ménagers, l'éclairage public et autres ne sont plus de leur ressort et les prestations se font chèrement monnayer, alors que leur budget est en grande partie absorbé par la masse salariale. C'est le même schéma qu'on retrouve un peu partout à Alger. A Dély Ibrahim, 70% de son budget, évalué à 17 milliards, servent à régler les salaires des employés, expliquera le financier de la commune. Les « inégalités » dans la répartition des budgets communaux sont aussi sources de polémique. El Achour, la commune voisine à Dély Ibrahim, est, quant à elle, dotée de 70 milliards, fait remarquer amèrement le vice-président chargé de l'urbanisme. « Alors que son nombre d'habitants est inférieur au nôtre. » Riche en assiettes foncières, El Achour a des atouts à faire valoir contrairement à Dély Ibrahim qui a englouti quelque 2800 lots en quelques années en habitat de « standing ». « Nous avons pu sauver deux parcelles sur lesquelles on a construit une école primaire et une mosquée », renchérit fièrement l'élu à l'urbanisme. Bilan : Une école et une mosquée Le bilan de trois ans d'instabilité est tout sauf négatif. Une école et une mosquée, c'est toujours ça d'arraché, diront certains optimistes. Le maire qui possédait jusque-là des attributions et prérogatives innombrables, qu'il n'est pas possible de toutes les énumérer, d'exercer tous les droits mobiliers et immobiliers appartenant à sa commune y compris le droit de préemption, de recruter, de nommer et de gérer le personnel de la commune. Le P/APC est considéré comme un organe à part entière au côté de l'assemblée, mais force est de constater qu'il n'est plus qu'un « monstre en carton ». La passivité des élus a indéniablement encouragé la partie « adverse ». Celle-ci s'est engouffrée dans la brèche et s'est réappropriée les « terrains perdus » lors de la fermeture de la parenthèse des « DEC ». La déficience des élus peut, par ailleurs, s'expliquer par la fraude ayant été à l'origine de leur élection. Il est ardu dans ce cas précisément de faire dans la résistance quand on se sait « mal » ou « indu » élu. « C'est d'abord un exercice de conscience. Le maire se doit d'être à la hauteur de ses missions ; taper sur la table s'il le faut et ne pas devenir un auxiliaire de l'administration. C'est le cas présentement de beaucoup de P/APC. Sinon comment expliquer qu'on puisse venir installer des décharges publiques au sein de la commune sans qu'aucune réaction ne soit enregistrée, comme ce fut le cas à Gué de Constantine », rage M. Ziane, un élu FFS en rupture de ban. La résorption du problème de chômage, autre question cruciale à laquelle sont confrontées toutes les communes, passe aussi selon lui par l'obligation qui devrait être faite aux entreprises dont les activités se développent sur le territoire de la commune de prendre en charge des quotas de chômeurs. Citant au passage des communes réputées pour leurs zones d'activités florissantes, mais qui subissent de plein fouet le désœuvrement de leur population. « Le pire, c'est que ces unités produisent sur notre territoire mais paient les impôts ailleurs, car elles sont domiciliées dans d'autres agglomérations mieux nanties », nous précise-t-il avec gravité. Le P/APC d'El Mouradia explique que bon nombre d'employés communaux sont payés encore avec les dispositions du filet social et que le recrutement est subordonné à la décision de la Fonction publique. « Que vais-je répondre à mes employés lorsqu'ils seront en fin de contrat ? Je n'ai rien à leur proposer, car ça ne dépend pas de moi. » Il estime que les « élus » ne font que jouer le rôle de « pare-chocs » et n'ont aucune véritable influence dans la conduite des affaires de la cité dès lors qu'ils sont déchus de leurs droits pourtant institutionnalisés. La question que d'aucuns se posent : comment des circulaires ou de simples notes de service peuvent-elles abroger des textes votés par l'Assemblée nationale ? Ziane, le malheureux élu de Gué de Constantine, abordant le thème incontournable du statut du représentant des citoyens, estime que ce dernier est « précarisé » et complètement « déconsidéré », selon ses propres termes. « Comment voulez-vous qu'un maire ou un élu ne soit pas tenté par des pots-de-vin quand on sait qu'il ne touche qu'une indemnité ne dépassant pas les 15 000 DA », nous résume-t-il encore. Des voix se sont pourtant élevées contre le « mépris » imposé à cette catégorie de gestionnaires d'affaires publiques, mais rien n'y fit à part quelques décrets de retouches qui n'avaient aucune incidence sur le statut réel. Le législateur n'a fait que survoler l'essentiel dans le chapitre qu'il a consacré dans la loi 90-08 au statut de président de l'apc. Le mandat électif est gratuit, est-il gravé dans le texte précédemment cité. Le maire d'El Mouradia assure ne toucher que 17 000 DA. Ses adjoints 15 000. L'indemnité de représentation instituée par le décret d'Ouyahia est de 3000 da. Vieux de la vieille, le maire en est actuellement à son troisième mandat. Encore un autre record de longévité. Ces modiques indemnités n'ont en effet été établies qu'au tout début de l'année 1998 avec un décret exécutif déterminant les conditions de détachement des élus. Ce qui pose par ailleurs un sérieux accroc et qui est soulevé par nombre d'élus, est le régime de la proportionnelle qui serait, selon eux, un vecteur d'instabilité. Certains sont allés même jusqu'à contester l'utilité de la multiplicité des formations politiques représentées et affirment être « d'accord » pour la confection de liste unique englobant plusieurs formations politiques, comme on nous l'a laissé entendre. La proportionnelle, vecteur d'instabilité Les clivages politiques sont devenus de fait caducs, estiment encore les élus d'El Mouradia. Serait-ce un aveu tacite d'échec ? En tout cas, les gouvernants ont su profiter et instrumentaliser à la perfection les milliers d'esclandres d'affaires de malversations, de passe-droit dans lesquels ont trempé les élus, toutes chapelles confondues, pour remettre en selle le cher projet de la centralisation. Le nouveau code communal, tel qu'il est inspiré par le Rnd, parti réputé pour être celui de l'administration, fera la part belle aux administrateurs. Il est à rappeler dans ce chapitre que lors d'une récente rencontre internationale sur le développement durable, le ministre délégué aux Collectivités locales avait déclaré que le nouveau code communal, annoncé sous réserve pour mars prochain, donnera plus de prérogatives aux élus locaux surtout en matière de mobilisation de ressources. Ces derniers pourront, à l'entendre dire, aussi lever des emprunts auprès des banques pour financer leurs projets. Sauf que cette prérogative existe déjà, mais n'a jamais fait l'objet d'une application ! Ces assemblées n'ont jamais été en « odeur de solvabilité », peut-être est-ce là l'unique raison ? Ou bien serait-ce les dotations publiques qui sont en ligne de mire et qu'on voudrait faire sauter comme un fusible ? Le vizir Ouled Kablia n'a pas omis en la circonstance d'enfourcher le barbant cheval de la décentralisation. Mais quand on sait tout ce à quoi les assemblées élues sont réduites, à de vulgaires coquilles vides, fort est de demeurer sceptique quant à la portée réelle de ces prêches et de leur utilité.