Aussi bien les membres du gouvernement que les députés ne sont que des figurants dans un système de gouvernance totalement contrôlé par le président de la République». Invité de l'émission politique, «Hiwar», organisée chaque mercredi par A3, le leader du MSP, Bouguerra Soltani, n'y est pas allé avec le dos de la cuillère pour dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas de nos institutions parlementaires (APN et Sénat) et du gouvernement. Ce n'est pas un scoop, mais sortant de la bouche du responsable politique d'un parti pleinement engagé dans la coalition gouvernementale, un parti qui est donc lui aussi aux affaires puisqu'il dispose de nombreux députés et de quatre représentants dans l'Exécutif, cette affirmation prend un certain relief au moment où, précisément, du côté de la présidence de la République on cherche à montrer une équipe dirigeante soudée, solidaire, sereine face aux événements et qui, surtout, parle le même langage dans les circonstances particulières que vit l'Algérie. On savait déjà, par recoupements suite aux sautes d'humeur des uns et des autres, que l'Alliance gouvernementale, créée pour prendre en charge et défendre le programme de Bouteflika, battait souvent de l'aile en raison des divergences politiques de fond qui éclataient par intermittence et qu'il fallait sans cesse maîtriser pour préserver l'essentiel. La tonitruante sortie médiatique de Bouguerra conforte lourdement le constat puisqu'elle intervient comme une grave entorse au compromis politique établi entre le FLN, le RND et le MSP pour conduire jusqu'au bout la feuille de route du président de la République. Dans les états-majors du vieux parti unique et du Rassemblement, on a toutes les raisons de se montrer suspicieux devant le discours frondeur de leur comparse qui semble retrouver subitement sa liberté de parole pour dire les choses tel qu'il les ressent. Pour une fois, il faut le souligner, les téléspectateurs ont été servis par une émission qui sortait un tant soit peu de l'ordinaire, dans laquelle les journalistes ne se sont pas gênés pour poser les questions les plus pertinentes à l'invité de la soirée. Sortant des sentiers battus de la langue de bois, ils se sont efforcés à mettre mal à l'aise leur interlocuteur dans le seul souci de briser certains tabous et pousser ce dernier à se déterminer devant l'opinion publique. Manquaient certes, à l'appel, les questions sensibles sur la vraie identité d'un parti islamiste b.c.b.g. dans une société républicaine, son rôle, ses ambitions, les questions par extension sur le danger de l'intégrisme comme force politique qui cherche à instaurer un régime théocratique, mais le fait d'acculer le chef du MSP dans ses derniers retranchements, en rapport avec la crise politique que nous vivons au jour le jour, est déjà une excellente performance médiatique qui a donné au débat une réelle assise et un bon rythme de communication. Au demeurant, c'est en étant mis au pied du mur que Bouguerra Soltani s'est rendu, le temps d'un passage assez houleux à la télé, coupable de dissidence vis-à-vis du pouvoir et de l'Alliance gouvernementale à laquelle, visiblement, il n'y croit plus. S'il reste, dit-il, dans cette sphère, c'est pour ne pas trop déstabiliser l'échiquier politique qui est déjà très mal en point et qui a encore besoin de faire-valoir de ce type pour maintenir une illusion démocratique qui ne trompe plus personne. Mais pour lui, l'heure est au changement fondamental de tout le système politique algérien qui est arrivé aujourd'hui à saturation. Une refonte totale qui doit commencer, affirme-t-il, impérativement par le rajeunissement de la classe politique, et notamment de ses principaux dirigeants qui doivent prendre exemple sur la Russie, les USA ou l'Angleterre où les Présidents ont moins de cinquante ans. Ainsi donc, le MSP prône à fond la carte jeunesse pour libérer le pays de ses carcans, mais aux yeux de son premier responsable, la résolution de la crise passe par la démocratisation du système politique, l'ouverture du champ médiatique audiovisuel, la liberté d'expression sous toutes ses formes, etc. On croirait entendre un parti démocratique étaler son programme, mais ce n'est qu'un courant islamiste dit soft qui livre ici sa pensée en s'efforçant de prendre le visage le plus fréquentable qui puisse être. Le mouvement islamiste, sous quelque forme qu'il se présente, a-t-il, lui d'abord, fait sa mue avant de préconiser les grands changements démocratiques dont a besoin l'Algérie ? Quand Bouguerra Soltani appelle au bouleversement de toutes les structures du régime algérien et présente son courant comme une alternative démocratique loin des préceptes directeurs de la charia, on est là face à une réflexion qui mérite à elle seule un débat, pour peu que la profession de foi du leader islamiste ne s'apparente pas à une vulgaire pirouette politicienne dans une conjoncture où jouer à l'équilibriste reste la meilleure façon de se préserver pour l'avenir. En tout état de cause, c'est en misant sur l'offensive idéologico-républicaine que le MSP espère se placer dans l'Algérie qui se construira à la lumière des crises profondes qui l'assaillent de toutes parts. Contrairement, du reste, à ses compagnons de l'Alliance présidentielle, le FLN et le RND qui, engoncés dans leur conservatisme primaire, redoutent par-dessus tout tout changement qui mettrait en cause leur survie, comme par exemple la dissolution de l'actuelle APN et son remplacement par une Assemblée constituante, projet cher à Aït Ahmed.