Quand une vieille machine à écrire vient porter l'écho de Tahar Djaout à Sao Paulo. Les liens culturels entre l'Amérique latine et le monde arabe ou musulman se renforcent de plus en plus, ne serait-ce que par la présence sur ce continent d'une communauté arabe ancienne et parfaitement intégrée. Dans cette dynamique, le Brésil est très actif. L'an dernier, le prestigieux Centre culturel de la Banque du Brésil de Rio de Janeiro avait accueilli l'exposition «Islam, Art et Civilisation», constituée de 300 pièces authentiques des musées nationaux de Téhéran et de Damas. Après avoir été montrée à Rio de Janeiro de septembre à décembre 2010, l'exposition «Mirage» a connu à Sao Paulo un succès populaire et médiatique important. Elle doit s'achever aujourd'hui. Les visiteurs ont pu apprécier ainsi près de 60 créations comprenant peintures, graphismes, photographies, vidéo d'art, calligraphies et travail sur métaux. Dix-neuf artistes y participent, issus d'Algérie, d'Egypte, d'Iran, d'Irak, du Maroc, de la Palestine, de Syrie et de Turquie. On y comptait le grand calligraphe Hassan Massoudy, le photographe iranien Shadi Ghadirian, la plasticienne palestienne Leïla Shawa et d'autres acteurs importants de l'art contemporain arabe. Et la «caravane» ne s'arrête pas, puisque l'exposition rejoindra la semaine prochaine le Museu Nacional do Conjunto cultural da Republica pour y rester juqu'en juillet prochain. L'Algérie était présente à travers deux artistes, Rachid Koraïchi et Kamel Yahiaoui. Le premier a fortement impressionné par ses œuvres inspirées du soufisme et exécutées avec le raffinement qui l'a porté au-devant de la scène artistique mondiale. L'installation du second, intitulée «Les Vigiles (à la mémoire de Tahar Djaout)», a suscité un grand intérêt des visiteurs, tant à Sao Paulo qu'à Rio de Janeiro. La presse brésilienne n'a pas tari d'éloges sur cette œuvre où l'émotion est suscitée par un dispositif créatif organisé autour d'une vieille machine à écrire dont les touches du clavier ont été remplacées par des alignements de balles réelles pointées vers le haut. Qualifiée par les commissaires de l'exposition, Suset Sánchez et Ania Rodríguez, d'œuvre «très éloquente», elle a permis de rendre hommage à l'écrivain et poète assassiné par les terroristes islamistes et de montrer comment l'art contemporain pouvait relayer d'autres arts ainsi que la littérature. Le travail de Kamel Yiahiaoui s'est nourri ici de son double statut d'artiste et de poète, une interdisciplinarité qui se retrouve dans toutes ses œuvres et qu'il a toujours placée sous le signe d'une forte sensibilité aux causes humaines et d'un engagement marqué pour leur défense et leur promotion. Né en 1966 à La Casbah d'Alger,Kamel Yiahiaoui est diplômé de l'Ecole nationale des beaux-arts d'Alger (1985) et de l'Ecole supérieure des beaux-arts de Nantes (1989). C'est au sein de sa famille qu'il s'est abreuvé de la poésie populaire orale avant de découvrir la poésie universelle. Il a fait de ces sources littéraires l'un des éléments récurrents d'inspiration de ses créations artistiques. Aujourd'hui, son travail est reconnu dans de nombreuses galeries et musées du monde. Ce travail, qui a suscité l'émotion des Brésiliens, leur a permis de découvrir Tahar Djaout comme de mieux connaître un épisode sombre de l'Algérie contemporaine. Mais, au-delà de l'histoire, c'est aussi une réflexion sur la destinée humaine que l'œuvre de Kamel Yiahiaoui interroge.