La démonstration magistrale d'une démarche et une belle leçon sur le métier d'architecte. Heureuse initiative pour les amoureux de l'architecture que celle de l'ambassade d'Italie à Alger et de l'Institut culturel italien d'avoir organisé, lundi dernier, au petit théâtre de sa résidence et en collaboration avec le studio Gregotti, une conférence d'Augusto Cagnardi, l'un des ténors italiens de l'architecture contemporaine. Sous le thème «Architecture et perspectives», et à travers une présentation des projets du studio Gregotti & Associati, autant urbains qu'architecturaux et fruits de près d'un demi-siècle de pratique, l'intervenant a mis en valeur la constance de la démarche de ce cabinet de renommée internationale dans la conception des projets fondée sur le rôle social d'une architecture liée au contexte. Si Augusto Cagnardi était jusque-là peu connu de la communauté des architectes algérois, le nom du cabinet auquel il est associé l'est un peu moins de ceux d'entre eux qui – étudiants ou enseignants – ont eu un jour à traiter des problématiques urbaines, et notamment celle de l'ancrage de la ville à son site et à son territoire. Né en 1927, dans le Piémont (nord de l'Italie), Vittorio Gregotti a grandi dans la culture intellectuelle et artistique de la ville de Milan. Très jeune, il collabore avec Ernesto Rogers à la IXe Triennale de Milan (1951), avant d'obtenir, en 1952, le diplôme d'architecte de l'Ecole polytechnique de Milan. Enseignant, il participe, par de nombreux écrits, à la revue Casabella, dont il devient le rédacteur en chef de 1955 à 1963, ainsi qu'à d'autres revues italiennes : Edilizia Moderna, Lotus et Rassegna qu'il fonde en 1979. Grand prix international à la XIIIe Triennale de Milan (1964), il est directeur des Arts visuels à la Biennale de Venise (1974 à 1976), et il fonde au même moment l'Agence Gregotti & Associati à Milan (1974). La production de cette agence couvre toutes les échelles d'intervention, de l'objet au territoire. Le projet de l'université de Calabre, à Cosenza, en Italie, est l'un des projets phares de cette période. Exceptionnellement productif, il enseigne à Palerme et Venise et même à Harvard, et publie plusieurs ouvrages dont Le territoire de l'architecture, (1966), Nouvelles orientations dans l'architecture italienne (1969), Le design du produit industriel (1982) et enfin La ville visible (1991). En 1999, il prend la direction de la société Global Project Development qui propose une architecture durable centrée sur le respect de l'environnement. Natif de Milan en 1937, et diplômé d'architecture de l'Ecole polytechnique de la même ville, en 1962, Augusto Cagnardi est chercheur à l'Institut d'urbanisme de la même université jusqu'en 1967, avant d'exercer, de 1967 à 1973, au Metropolitan Plan de Milan, période durant laquelle il a contribué à l'élaboration du plan général de la région, participant à des projets d'envergure, tels que les réseaux de parcs urbains et l'organisation du transport dans la région. Avec la fondation de la société Laris en 1974, il participe, dans le cadre d'équipes pluridisciplinaires, à de nombreux projets du secteur des transports à l'aménagement de l'environnement (urban design) en passant par les projets urbains, remportant de prestigieux concours comme le projet du réseau de chemins de fer de Bergame, le centre d'affaires de Florence, le Parc régional de Pollino… Il collabore au projet de l'université de Calabre avec le Studio Gregotti & Associati, qu'il rejoint en 1981 en tant qu'associé et directeur, apportant son expertise en aménagement et en planification urbaine. Il assume, de 1979 à 1985, la mission de président de la section Lombardie de l'Institut national italien de l'aménagement urbain, puis de 1985 à 1988, celle de président de l'Association italienne des architectes paysagistes et du Comité national de l'aménagement urbain. De 1987 à 1991, il dirige la revue Terre, un magazine des sciences de l'environnement et de la terre. Tout au long de sa conférence, et à travers un riche panorama d'images, croquis et dessins des projets réalisés par le cabinet à travers le monde, appuyé d'un discours extrêmement simple et humble, car profondément convaincu, l'orateur a expliqué les solutions du cabinet à des problématiques très diverses de la discipline architecturale. Le palmarès est impressionnant : projection de villes nouvelles, à l'exemple de la ville de Pujiang (Shangaï, 2001-2007) ; récupération de villes existantes, comme celle de Wai Tan Yuan (Shangaï, 2002-2003); transformation de bâtiments industriels dont le projet phare est le siège social de la société Pirelli Real Estate à Milan. A cela s'ajoutent les solutions innovantes en matière d'infrastructures routières, telles que réalisées dans l'autoroute subaquatique à Macao, et les projets d'aménagement et de restructuration urbains de nombreuse villes dont Turin, Livourne, Doha, etc. Le cabinet prend en charge également les projets de parcs urbains comme celui du Parc technologique et scientifique Polaris (Cagliari, 1993-2003), les projets d'habitat et, enfin, les grands projets d'équipements sportifs et culturels : le fameux stade olympique de Barcelone (1986-1988), le Centre culturel de Belém, à Lisbonne (1988-1993), le Grand théâtre de Provence à Aix-en-Provence, pour ne citer que ceux-là. Dans cette diversité d'échelles d'intervention, de programmes, de contextes spatio-temporels et de cultures, les architectes du cabinet se distinguent des théories et modèles hérités du Mouvement moderne pour trouver leur inspiration dans les cultures locales et régionales des sites. Ils adoptent ainsi, dans leurs projets, une démarche visant à les rattacher à l'histoire du lieu, au contexte physique et culturel, et non à une abstraction visant à la reproductibilité à l'infini d'objets sans âme sur des sites «anonymes» ou plutôt perçus comme tels par les décideurs. Ils rejettent la tendance universalisante du rationalisme moderniste et prônent la valorisation des constituants physiques, historiques et culturels du lieu, les accueillant dans les logiques de projet et de construction. Ils défendent l'idée selon laquelle les interventions formelles doivent révéler la vraie poétique du site du projet. L'environnement, ainsi composé des traces de sa propre histoire, suggérerait alors la stratégie à suivre pour concevoir le projet. La spécificité de la réponse donnée au projet serait donc très liée aux différences de situations, contextes, environnements et, bien sûr aussi, substrats historiques et culturels. L'environnement ne serait effectivement pas un système dans lequel l'architecture est dissoute, mais bien un «matériau» porteur de sens pour le projet d'architecture. Il s'agirait, donc, de voir l'architecture comme système de relations, de distances et d'intervalles plutôt que juxtaposition mécanique d'objets isolés. «L'espace est composé de différences et discontinuités considérées comme atouts et expériences», affirmera Augusto Cagnardi. Les modifications et interventions architecturales mettraient donc en évidence un ensemble pré-existant dont le changement d'une partie impliquerait forcément une transformation de l'ensemble. Tant d'enseignements en seulement deux heures de temps ! Une démonstration magistrale et passionnante qui interpelle positivement nos pratiques de l'urbanisme et de l'architecture dans notre pays et leurs prolongements dans une globalité socioculturelle. Comment donner forme à l'espace et l'assumer jusqu'au bout, quelle que soit l'échelle d'intervention : le bâtiment, la ville, le territoire ; quel que soit le programme : l'habitat, l'équipement, l'infrastructure, l'aménagement urbain ; quel que soit le type d'intervention : création, réinterprétation, transformation ? «Telle est la mission de l'architecte qui ne doit jamais oublier qu'il est le serviteur des hommes», nous dira l'orateur. Du haut de ses soixante-quatorze ans et de ses près de cinquante années de travail, c'est une belle leçon d'amour et d'abnégation pour un métier dont nous a fait profiter Augusto Cagnardi, dans la persévérance et le bonheur de l'exercer. Hasna Hadjilah. Architecte