L'Amérique du début du XXe siècle reflétait l'image d'un pays en pleine expansion et dont le potentiel de développement se faisait sentir. La naissance d'une superpuissance était en gestation, et de nombreux migrants, échouant à Ellis Island (port à New York), ont compris que c'était là où il fallait être. Cent ans plus tard, l'Amérique a atteint sa promesse de devenir la première puissance mondiale. Etats-Unis. De notre envoyée spéciale
Ces immigrants, qui avaient parié tous leur biens et misé sur ce nouveau pays, n'avaient pas tort. Ils ont vu juste et ont suivi leur instinct les guidant vers une terre qui vaut de l'or. En quelques décades, les Etats-Unis sont devenus la première puissance mondiale. Economiquement, militairement et culturellement, l'antre du capitalisme a placé son trône sur le monde. Mais cet âge d'or passé, le monde porte-t-il ce même regard sur ce pays, ce regard d'espoir placé sur une terre nouvelle, riche, prometteuse et génératrice de défis ? Le monde voit-il toujours du même œil le pays de cet Oncle Sam qui, au début, avait été presque «contraint» de porter secours à l'Europe, et qui aujourd'hui jure par sa puissance militaire et l'exhibe là où il décèle une menace ? La fascination pour le nouveau monde s'est-elle épuisée ? Nous sommes allés chercher la réponse dans cette Amérique du XXIe siècle rongée par la peur et par l'incompréhension d'un monde qui la regarde et scrute ses gestes, une Amérique qui après les attentats du 11 septembre a ouvert des fronts et des tranchées pour mettre au défi quiconque aurait l'imprudence de l'avoir pour cible. Nous sommes allés toucher du regard cette Amérique du XXIe siècle qui semble être à l'apogée de sa suprématie sur le monde et qui guette toutefois avec méfiance toute prétention à lui disputer sa superpuissance. C'est l'image d'une Amérique en questionnement que nous avons trouvée, une Amérique qui se cherche de nouveaux défis, de nouveaux champs à défricher pour se maintenir sur son trône, une Amérique qui connaît très bien les règles de l'histoire et ne veut assurément pas céder à la fatalité du déclin qui touche toute grande puissance. C'est donc une Amérique qui se remet en question mais qui n'oublie pas ses objectifs. «You are safe» Neuf années se sont écoulées depuis les attentats du 11 septembre, mais les conséquences de cet acte irresponsable et criminel continuent d'habiter l'Amérique et le monde. L'aéroport étant la première vitrine d'un pays, nous avions la crainte d'être soumis du fait de notre nationalité à un contrôle sévère. Nous avons eu l'agréable surprise de constater que même si les contrôles aux aéroports sont lourds et drastiques, c'est tout le monde qui y passe, pas de distinction de race, de religion ou de couleur. Suivant la même file, quelle que soit leur nationalité, les passagers se prêtent assidûment à ce rituel de contrôle poussé des identités, des bagages et des personnes. Cette non distinction entre les passagers nous rassure et reflète à ne point douter un début de compréhension chez les Américains que la menace n'a pas de religion ni de nationalité. L'extrémisme n'est pas l'apanage d'une confession ou d'une culture, il est partout et peut être l'expression adoptée par n'importe quel individu aux idéologies xénophobes. Tous les passagers qui se prêtent à la fouille savent que ce rituel est rentré dans les nouvelles mœurs de contrôle en ce siècle qui érige la peur de l'autre comme une manière de vivre. Les scanners, qui sont dressés au niveau du poste de contrôle, ne sont pas systématiquement utilisés. Le passage par cette grande boîte transparente est soumis au choix du faciès. «Avec le scanner, c'est une affaire de hasard, je peux passer comme je peux ne pas passer. C'est au cas par cas», nous dit une Américaine qui comme tous les passagers semble habituée à voir cette grande boîte transparente lui faire face à chaque passage devant la police des frontières. Si le passager qui est choisi pour passer au scanner refuse ce procédé, une fouille au corps très poussée lui est imposée au niveau d'une chambre isolée. Le passage pour nous se fait très aisément, pas de scanner ni autre mesure. Nous sommes d'ailleurs surpris par la courtoisie des agents de police chargés de contrôler les passagers. «You are safe», nous dit le policier avec un large sourire. Ce fut notre premier contact avec l'Amérique. «Safe», ce mot a sonné comme une sorte de label apposé pour signifier notre réussite à un «examen» de passage pour bonne conduite ou comme une marque de reconnaissance de notre bonne foi. Nos craintes d'avoir à subir un accueil sévère s'évaporent, un premier préjugé tombe à l'aéroport. Soulagés, nous quittons l'aéroport de Washington et plongeons dans la réalité américaine. Le poids des médias De là d'où nous venons, l'image de l'Amérique n'est pas lavée des suspicions qui pèsent sur ce pays qui, un beau jour, a décidé d'envahir l'Irak et l'Afghanistan, sans que la communauté internationale réagisse. C'est aussi un pays qui fascine parce qu'il a cette renommée de pouvoir réaliser des rêves. L'image hollywoodienne que nous avons de l'Amérique fait que les jeunes du monde entier sont attirés par un eldorado sur lequel Christophe Colomb a mis le pied une certaine année 1492. On cherche tous quelque part notre Amérique, ce rivage sur lequel nous échouons en allant à la recherche d'une meilleure vie, d'un meilleur vivre. Mais au-delà de la simple fascination, l'Amérique du XXIe siècle intrigue, et parfois même fait peur. Son modèle d'ouverture qui est à l'origine même de sa constitution, n'est plus d'actualité. L'Amérique nous renvoie, à travers les médias et sa politique étrangère, l'image d'un pays méfiant et suspicieux, soit le contraire de l'ouverture sur le monde. L'élection de Barack Obama à la tête de ce pays en 2008 avait quelque peu nourri l'espoir de voir ce modèle s'évanouir pour laisser place à une Amérique apaisée et sereine, une Amérique qui tend la main et non le poing. Mais le nouveau locataire de la Maison-Blanche a été rattrapé par la realpolitik et le sacro-saint intérêt stratégique des Etats-Unis d'Amérique. Le monde a vite déchanté et les choses sont rentrées dans l'ordre établi par le maintien de la suprématie. Mais une fois le pied sur cette terre, l'image fond petit à petit comme neige sous le soleil. Vue de près, l'Amérique semble être cette même contrée du début du siècle, accueillant ses bâtisseurs venus d'ailleurs. Une société colorée et accueillante, qui ne met pas comme dans certains pays d'Europe la confession et la nationalité des visiteurs comme un critère d'accueil. L'Américain lambda est courtois et ne s'arrête pas sur d'où vous venez mais sur ce que vous avez l'intention de faire. Nous nous retrouvons face à l'Amérique des Américains. Celle d'une société colorée tournée vers la quête de son propre rêve américain loin des brouhahas des salons de la Maison-Blanche ou du département d'Etat. Une société qui ne demande pas votre passeport pour vous dire bonjour ou pour vous sourire. Une Amérique enfin qui n'a de l'Irak ou de l'Afghanistan que de vagues idées. En lieu et place du rejet, nous avons trouvé l'accueil d'une société qui est fatiguée d'avoir des ennemis. «Nous sommes quelque part victimes de nos médias. Nous avons des pays musulmans comme idée que ce que les médias nous renvoient. C'est bien dommage», nous dit un universitaire américain qui ne cache pas sa soif de mieux connaître les pays musulmans. «J'aurais souhaité que les télévisions et autres médias nous montrent un peu la vie d'un musulman ordinaire bien intégré dans la société américaine et qui participe à l'effort de développement du pays. Ils existent et sont nombreux, malheureusement, c'est des sujets qui ne font pas vendre», dit-il. Ainsi, les musulmans sont victimes des règles du journalisme consistant à ne pas parler «des trains qui arrivent à l'heure». Mais cette règle suivie religieusement par les médias américains a complètement faussé l'image des musulmans. Les médias se sont chargés de parler d'une infime minorité mal renseignée sur les préceptes de l'Islam et ont «omis» une majorité de musulmans qui appliquent la tolérance dans ses rapports avec autrui. Pour les médias, la raison est que la menace terroriste existe bel et bien et qu'ils ne peuvent l'ignorer. William Burns, sous-secrétaire d'Etat, chargé des affaires politiques au Département d'Etat, estime pour sa part que «depuis le 11 septembre, les Etats-Unis essayent de trouver le juste équilibre entre sécurité et ouverture. Il y a eu des incidents malheureux mais nous continuons à faire des progrès pour que l'ouverture soit préservée». Mais comment s'ouvrir sur le monde, si les Américains ne sont que 2% à s'intéresser à ce qui se passe dans le monde et que les lobbys sont chargés de façonner leurs idées sur le monde. Le printemps arabe pour redorer le blason Telle est la loi du talion telle que voulue par le géant du moment. Le juste milieu entre la peine et le crime s'avère encore loin du vrai idéal de justice. L'Administration américaine est payée pour veiller sur l'intérêt des Américains, et ces derniers s'occupent de leur vie telle qu'édictée par les règles d'un capitalisme débridé et complètement assumé. Les dernières élections à mi-mandat ont eu d'ailleurs cette confirmation de l'intérêt exclusif des Américains pour la chose interne. Une sorte d'introspection continuelle qui lie l'Américain à son environnement proche et l'empêche de voir au-delà des frontières, ni au-delà de son Etat, ni même au-delà de son quartier. Le choix des Américains de faire pencher la balance du côté des républicains, lors des élections de novembre dernier à mi-mandat, n'était point lié à la guerre en Irak ou en Afghanistan, et encore moins à Guantanamo, mais concernait uniquement les séquelles de la crise économique touchant de plein fouet leur quotidien. Le système capitaliste sur lequel reposent les Etats-Unis est fortement ancré dans la vie des citoyens américains à telle enseigne que tout changement qui risque de toucher aux fondements de ce système est perçu comme une menace. Les aspirations un poil tournés vers la «gauche» de Barack Obama, notamment concernant le système de santé très mal assimilé d'ailleurs par la plupart des citoyens américains, ont fait les choux gras des républicains qui ont sauté comme un enfant sur un gâteau au chocolat pour asséner aux démocrates un coup fatal. «Les gens continuent à perdre leurs logements. Il y a aussi beaucoup de chômeurs», nous confie un citoyen américain. L'euphorie de 2008 avec l'arrivée d'Obama à la Maison-Blanche semble être bien derrière nous. Les Américains réclament du concret et «étouffés» par la crise semblent ne plus croire aux rêves et aux symboles. Les deux premières années du mandat d'Obama, porté par l'espoir à la tête de la première puissance mondiale, ont nourri la désillusion. Ses adversaires le traitent de beau parleur, et ses partisans ne trouvent pour seule défense que l'argument qu'il a hérité d'une situation difficile. Son élection, qui avait sonné comme la fin d'une longue et douloureuse histoire de racisme anti-Noirs, n'a pas servi à lui trouver des défenseurs parmi les communautés afro-américaine ou hispanophone lors des dernières élections. «Obama est un argument que nous renvoient les Blancs pour dire que vous n'avez plus rien à demander d'autre puisque vous avez un président Noir», nous dit un directeur d'un petit journal de proximité destiné à la communauté afro-américaine.
Il estime que les Américains d'origine africaine comme on continue à les qualifier n'ont toujours pas les mêmes droits à l'embauche comme les Blancs. Ils sont toujours ghettoïsés et continuent à subir le phénomène de la «gentrification» ou l'embourgeoisement d'un quartier. Les Afro-Américains et Hispanophones appartenant à la classe moyenne se voient systématiquement repoussés du fait de la crise loin de leurs quartiers laissant place à de nouveaux locataires plus aisés et Blancs. La crise des sub primes a fait que les classes moyennes vendent leurs maisons aux plus riches et s'en aillent quérir un meilleur vivre dans d'autres Etats du pays. «L'idéal de Martin Luther King n'est pas encore atteint», affirme notre interlocuteur. Aujourd'hui et avec l'annonce de sa candidature à un deuxième mandat, Obama semble avoir trouvé dans le printemps arabe un moyen de «redorer» son blason. Comme les guerres ont ce rôle de promotion de l'image des présidents américains qui veulent briguer un second mandat, Obama trouve dans le soulèvement des peuples arabes un cheval de bataille pour effacer son manque de popularité au niveau interne. Le souvenir récent des élections à mi-mandat a montré que le tout puissant président des Etats-Unis n'est pas si puissant dans son pays. Il est soumis au contrôle populaire et ne s'égosille pas du score obtenu aux élections présidentielles pour faire ce qu'il veut. Le poids de la Chambre des représentants est important, l'architecture des édifices de l'Etat le prouve d'ailleurs. La petite Maison-Blanche est de loin toisée par le siège du Congrès qui est mis sur le même axe que le mémorial de Jefferson, un des pères fondateurs de ce pays. Une manière de dire que le contrôle du peuple est plus important que le pouvoir du président. Mais il se trouve que le peuple ne semble avoir le choix qu'entre deux mouvances puisantes du même socle, il s'agit des républicains et des démocrates. Cet Etat démocratique applique une démocratie bien particulière qui conditionne depuis des décennies la réalité politique dans le choix entre deux capitalismes. Dans ce pays où les buildings tutoient les nuages et où le temps semble figé sur un statut de suprême puissance, il se trouve qu'on y parle aussi des risques du déclin. L'éveil des tigres asiatiques, les effets dévastateurs de la crise économique sur l'Occident, l'émergence de petites puissances régionales, la multiplication des zones de turbulence liées à la guerre contre le terrorisme et bien sûr le poids de la règle de l'histoire voulant que tout finit par avoir une fin, font qu'aujourd'hui aux Etats-Unis le débat sur l'avenir de la puissance mondiale est complètement posé. Tel est notre premier regard sur ce pays qui fascine et intrigue à la fois. Au-delà de sa portée de mouvement libérateur des peuples de la région du joug des dictateurs, le printemps arabe a eu aussi pour effet d'amener les Occidentaux à changer leur regard sur ces sociétés longtemps stigmatisées et condamnées par des analyses erronées à choisir entre des dictatures séculaires ou l'intégrisme. L'évolution de la situation dans les pays arabes depuis janvier dernier, depuis l'acte de sacrifice de Mohamed Bouazizi, montre aussi avec force une prétention occidentale à changer l'échiquier de la région. Barack Obama y trouve sans nul doute un terrain de campagne électorale adéquat.