Les éditions Casbah viennent de mettre sur les étals des libraires une œuvre que ne laissera pas indifférent. L'ouvrage, signé par Me Ali Haroun, au titre peu évocateur de l'Eclaircie, provoque l'intérêt dès que le lecteur prend connaissance du sous-titre : Promotion des droits de l'homme et inquiétudes (1991-1992). On se doute bien que cette période, qui a fait suivre une «décennie rouge» à la «décennie noire» de l'ère Bendjedid, a transformé l'Algérie en un théâtre sanglant d'affrontements d'une violence poussée jusqu'au mitraillage d'enfants à la sortie des écoles, à la multiplication des attentats à l'explosif dans les bus et autres lieux publics, aux arrestations massives dont les fameux internements dans les camps sahariens, aux disparitions forcées, aux enlèvements, à commencer par ceux de jeunes filles destinées aux couches des nouveaux émirs et à l'acte non moins monstrueux qu'est la torture pratiquée par des hommes censés être des auxiliaires de la justice.Comment donc maître Ali Haroun, cet ancien résistant de la prestigieuse Fédération de France qui s'éloigna du pouvoir dès les débuts de l'indépendance pour se consacrer au noble métier d'avocat, va-t-il se tirer d'affaire pour traiter de la question des droits de l'homme dans un pays où ils ont été bafoués sans interruption durant plus de trente ans, si l'on ne retient que les trois décennies couvertes par l'ouvrage ? L'exercice est d'autant plus délicat et inconfortable que l'auteur a chapeauté un ministère des Droits de l'homme, créé en juin 1992, et qu'il a été, immédiatement après, membre du fameux Haut comité d'Etat (HCE), cette instance controversée qui a remplacé le président Chadli. A propos de cette institution, il se pose lui-même la question : «Etait-il alors crédible de créer un tel ministère, précisément au moment où les droits de l'homme étaient compromis ?» Exactions et tortures On s'attend de la part d'un homme qui a été, même brièvement, au sommet du pouvoir durant une période si difficile à une langue taillée dans un bois bien dur ou, à tout le moins, à l'omission de faits ou de certains épisodes douloureux. Il n'en est pas ainsi. L'auteur, même si l'on n'est pas obligé de partager son appréciation de la défense des droits de l'homme en ces temps troubles est quand même d'un apport certain et s'autorise des développements que le lecteur saura apprécier. Si l'avocat ne se présente pas en une sorte de pourfendeur du régime et des hommes qui se l'ont fait, ne rend pas moins compte des dépassements, atteintes, tortures et assassinats qui ont jalonné l'histoire de l'Algérie indépendante. Il ramasse tout cela dès la deuxième page de sa préface : «(…) Si avec l'indépendance l'Algérie avait acquis sa liberté, l'Algérien en demeurait citoyen de seconde zone, aux droits purement virtuels.» (p. 14). Il précise : «Ainsi, en 1962, l'Algérie naissait dans la douleur. Et entre gouvernants et gouvernés, aux rapports de droits espérés s'imposèrent des rapports de force.» (p. 15), parce que la légitimité dite «historique» allait prendre le pas sur tous les principes de gestion du pays. Affaire Uzan En fait, contrairement à ce que laissent comprendre le titre et le sous-titre, l'ouvrage ne traite pas uniquement de cette infernale période du début années 1990, mais soumet à un large balayage tout un pan de l'histoire du pays, en étayant ses développements d'exemples concrets (affaire Chabani) et même d'épisodes vécus (lui-même a échappé à la vindicte du pouvoir de Ben Bella, comme il a eu maille avec celui de Boumediène lors du procès Uzan). Le livre compte onze chapitres totalisant plus de 220 pages et une trentaine d'autres consacrées à des annexes utiles à l'intelligence de l'essai.
Ali Haroun, l'Eclaircie. Promotion des droits de l'homme et inquiétudes (1991-1992) - Editions Casbah, 265 pages, Alger mars 2011