Si la connaissance est toujours un butin», selon Maxime Gorki, «le livre est un outil de liberté» d'après Cicéron. De tout temps et sous toutes les latitudes, la prédilection pour la connaissance a permis à l'homme une évolution sociale tendant vers la liberté et un meilleur apprentissage de la vie. Comme disait un certain philosophe, plus un peuple est ignorant, mieux on l'asservit. Cette assertion qui éveille en nous une volonté de lecture permet de mieux quantifier le savoir, une valeur sûre qui résiste à l'usure du temps et aux assauts idéologiques. Dans les pays développés, une société qui lit a atteint son degré de maturité, de liberté et de tolérance Chez nous, la société civile privilégie-t-elle la lecture ? Et les pouvoirs publics exhortent-ils à la littérature ? Dans le large panel de registres littéraires, que lisent les Algériens ?Lors de nos pérégrinations dans certaines librairies de la capitale, le constat est mitigé. L'Algérien lit relativement. Force est de constater que la cherté annihile l'achat d'ouvrage et le livre est relégué au second plan. Le champ littéraire semble plus prolifique, même si la production nationale reste bien en deçà de la norme internationale. Le livre d'importation a de beaux jours ; il se taille la part du lion, alors que la production nationale reste embryonnaire malgré une petite embellie ces dernières années. La lecture des Algériens ? Un thème assez vaste, mais qui pose toute la problématique du livre dans toute son ampleur. Que lit-on ? Polar, roman, poésie, nouvelles, histoire, politique ? Les libraires sont unanimes pour dire qu'un marasme a frappé ce secteur qui manque d'une politique idoine et conséquente. A l'espace Noun, la gérante Mme Nassira qui connaît bien le livre remarque que «certains livres et auteurs se vendent bien, ce qui n'a rien à voir avec la valeur littéraire de l'ouvrage». Et d'ajouter «Les gens ne lisent plus ? Le livre est trop cher ? Le pouvoir d'achat est trop bas, toutes ces questions doivent être posées.» Cette remarque fait l'unanimité parmi les professionnels du livre. La cherté de la vie impose son diktat au citoyen pris entre le marteau et l'enclume. Celui-ci ne sait plus à quel saint se vouer. Aussi dans la hiérarchie des priorités, il fait des choix avec le livre en dernier ressort. Seul le livre didactique trouve grâce à ses yeux. Nécessité oblige. Engouement pour la jeune littérature ou roman moderne Selon cette gérante, certains auteurs dont on qualifie les écrits de nouvelle littérature trouvent preneurs. Leurs ouvrages sont prisés par les lecteurs de toutes tranches d'âge.«Ainsi, la nouvelle littérature algérienne rencontre un franc succès. Benfodil, Chawki Amari, Adlène Meddi, Amara Lakhous Kamel Daoud, Boudjemaâ Karèche ont été les auteurs les plus demandés. Ce qui a donné d'ailleurs un petit coup de jeune à la fréquentation des librairies», a-t-elle dit. «Dans le registre politique, Eldorado de Laurent Gaudé et La géographie du danger de Hamid Skif et La fête des masques de Samy Tchak sont d'actualité. A la librairie Socrate, M. Bafdel professionnel du livre abonde dans le même sens. «Les titres les plus vendus font référence aux Le faiseur de trous de Chawki Amari Choc des civilisations pour un ascenseur piazza Vittorio, de Amara Lakhous La prière du Maure de Adlene Meddi Archéologie du chaos amoureux de M Benfodil, La préface du nègre de Kamel Daoud et La géographie du danger de Hamid Skif, Les grandes boulimies de Halim Azzouz, Jaoudet Gassouma avec Tsériel aux yeux de feu et Youssef Merahi avec Post-mortem. L'auteur Abderrahmane Zakad est prisé par les férus de lecture Les grosses pointures littéraires notamment Assia Djebbar, avec Nulle part dans la maison de mon père, et Yasmina Khadra avec Ce que le jour doit à la nuit sont indétrônables dans le box- office des ventes. Kamel Bouchama est une référence avec ses ouvrages De Iol, à Ceasarea à Cherchell et La clé d'Izémis. Indubitablement, cet engouement s'articule autour des thèmes d'actualité comme celui de l'immigration, de l'exil, des harragas, du droit à la différence. Mme Fatiha Soal de la librairieKalimat explique que ces romans connaissent un engouement en raison des sujets d'actualité abordés. Selon cette libraire, «le roman Choc des civilisations pour un ascenseur piazza Vittorio, de Amara Lakhous a fait un tabac». Il se classerait dans le top des ventes. Sa problématique sur le droit à la différence, le choc des civilisations et la tolérance font que cet ouvrage a été classé comme prix des libraires pour l'édition 2008. Intérêt pour le politique mais en récession Dans le registre politique, Il n'y a pas de regain comme à une certaine période, estiment ces libraires. Quoique pour M. Kamel de la librairie Ibn Khaldoun «les ouvrages relatifs à l'Algérie, à son histoire et à sa décennie noire connaissent une forte affluence», at-il dit . Dans la collection Beaux livres d'art, Mme Nassira estime que «le produit pour quelques collections n'est pas fameux ; les particuliers ont du mal à acquérir ces ouvrages en raison de leur prix faramineux» M. Mohamed Bafdel, libraire à Socrate, estime que les ventes sont en récession, on ne s'intéresse plus à la guerre d'Algérie comme auparavant mais à la nouvelle littérature. Selon ses propos, «les gens en ont marre de la guerre et des souffrances, la nouvelle littérature les attire, c'est un regard nouveau». Quant aux romans les plus lus actuellement, on compte certains titres fort appréciés comme Le vent dans le musée, Une enfance dans le M'zab de A. Zakkad, L'enfant du peuple ancien d'Anouar Benmalek, La confrérie des éveillés de Jacques Attali, La soif d'Assia Djebbar (demandé mais n'est pas disponible. Comme c'est son premier roman, il paraît qu'il est épuisé même en France). Il ressort que dans ce panel, certains registres, notamment le politique et l'historique, suscitent l'intérêt des lecteurs mais sans l'enthousiasme des années passées. Le tome deux de Bachir Ibrahim suscite un vif intérêt, disent à l'unisson les libraires. Poésie, le parent pauvre S'agissant de la poésie, elle reste mitigée. C'est une frange de lecteurs bien rare qui la demande. Selon M Bafdel, «les lycéens réclament Baudelaire, Verlaine, alors que d'autres préfèrent Nizar El Qabbani, Adonis et Mahmoud Darwich. Pour la poésie algérienne, Salima Hirèche semble intéressante». Pour Nassira de l'espace Noun, «la poésie a, son lectorat restreint mais en tant que libraire, rien ne m'a particulièrement émue mis à part la poésie de Halima Lamine». Il y a lieu de mentionner que la librairie Mille feuilles a édité deux recueils d'odes dont un intitulé Jeunesse en vert. «La poésie est d'actualité», d'après Mme Laoufi, gérante à la librairie Alexandrie qui vient de fermer. Pour sa part, M Kamel de la librairie Ibn Khaldoun affirme avoir «un lectorat de poésie aussi bien classique comme Baudelaire, Verlaine que celle du terroir, notamment Lakhdar Benkhelouf». L'essai semble boudé Selon les propos de M. Bafdel, «il n'y a pas de production intéressante à signaler dans les essais ou l'histoire en dehors de L'impérialisme humanitaire de J. Bricmont édité par Apic. Le livre de Wassyla Tamzali Une éducation algérienne a eu un écho formidable...» Pour Nassira, «seul l'ouvrage Grand Moyen-Orient, guerres ou paix de Hocine Belalloufi aux éditions Lazhari Labter est intéressant et très prisé». La spiritualité en tête du box-office des ventes «Le volet spiritualité enregistre des demandes importantes, particulièrement tout ce qui a trait au soufisme», indique Nassira. Même son de cloche chez Mme Laoufi de la librairie Alexandrie qui affirme que les ouvrages sur le soufisme et le Coran sont toujours appréciés par le public. Idem à la librairie Ibn Khaldoun où le préposé reconnaît que les ventes sont au beau fixe. «Il y a achat du Coran (bilingue), des livres sur le soufisme, de petits fascicules comme La citadelle du musulman ou le saint Coran. L'auteur égyptien Moukadir semble rallier de nombreux lecteurs. Chez Socrate, le soufisme est en tête de liste ainsi que La chronique de Tabari», indique M. Bafdel. Le livre religieux a pignon sur rue et caracole dans le hit-parade des ventes. Demande minime pour le livre pour enfants Dans la production locale, il n'y a pas un grand choix qualitatif. Le format et les couleurs ne répondent pas aux normes internationales du livre pour enfants. Les contes et histoires sont très basiques. Quelques tentatives comme les éditions Dalimen qui offrent des ouvrages aboutis. Le livre pour enfants d'importation rallie les suffrages en raison de sa haute facture, toutefois le prix constitue un frein. Il ressort des propos des libraires que la demande est minime. Apparemment, la lecture suscite l'intérêt des Algériens, mais les prix exorbitants amenuisent cet engouement. Avec une loi sur le livre qui tarde à voir le jour, l'Algérien pourra t-il peut-être se réconcilier avec le livre ? Enquête réalisée par Kheira Attouche