Dans un théâtre algérien qui tourne en rond, cette pièce constitue un réel évènement artistique. En effet, Thaourat Belahrache innove singulièrement par son sujet à travers un prenant spectacle qui prend à rebrousse-poil l'histoire officielle. Cela, faut-il le souligner, dans le cadre de la manifestation «Tlemcen, capitale de la culture islamique». L'islamité commémorée pour revisiter, pourquoi pas sereinement, par le biais de la culture et de l'art, ce qui a trait à notre histoire, on en redemande. Imaginez – et toute proportion gardée –, comme dans Hamlet, le personnage éponyme découvrant qu'il y avait «quelque chose de pourri au royaume du Danemark», la nouvelle production du Théâtre régional de Skikda ramène à la surface la réalité du règne du beylicat. Elle le fait en rapportant les tenants et les aboutissants de l'insurrection de Boudali Belahrech dans le Nord constantinois, en 1808, soit un quart de siècle avant l'invasion française. C'est Salim Souhali, l'auteur de la pièce, qui dévoile ainsi l'autre face du pouvoir ottoman en Algérie. Il rappelle, pour ce faire, que ce n'est pas seulement à l'est du pays que le rejet du système beylical et de ses outrances et oppressions, s'était exprimé. A l'ouest également, il y a eu des révoltes en réaction des agissements prédateurs et despotiques des représentants des Ottomans. Thaourat Belahrach professe que si ces derniers avaient été de bienvenus protecteurs pour contrer une menaçante Reconquista, ils se sont transformés, au fil du temps, en occupants d'une possession taillable et corvéable à merci. Enfin, et une des particularités du texte dramatique, bien que verbeux par moment, est qu'il innove dans le genre historique en Algérie en faisant place à des personnages secondaires. Ceux-ci, pour être à la marge de l'action principale, sont très rarement présents dans le théâtre et le cinéma algérien. Pourtant, ces êtres, qui charrient la petite histoire des anonymes individus, rendent par leur présence la grande histoire plus palpable, moins éthérée et apportent une nourrissante sève au récit. Quant au spectacle proprement dit, il est assurément agréable à suivre. Et même si les conditions de la représentation dans la salle de la Maison de la culture de Témouchent n'étaient pas optimales au goût de Sonia, son Thaourat Belahrache n'en demeure pas moins un plaisir des yeux. Chacune des scènes constitue un tableau dans une fresque au souffle épique soutenu. De l'esthétique, il y a profusion, au point que les spectateurs applaudissaient plus le travail de la mise en scène, appuyée par une foisonnante scénographie, que les prestations des comédiens. Sur une scène nue, disons presque nue, les jeux de lumière, les mouvements et les chatoyantes couleurs des costumes réduisaient parfois les acteurs plus à des signes scéniques qu'à des personnages. A cet égard, dans sa scénographie, Habbal Boukhari a fourni de la superbe matière à Sonia. La distribution a aligné 26 comédiens, l'écrasante majorité étant des amateurs encore en formation. Les rôles campés étaient archétypaux au possible, ce qui n'a pas incité les comédiens à une interprétation personnelle. Ils se sont cependant donné à fond dans un spectacle au rythme sans temps mort. Le spectacle aurait tout de même pu faire l'économie d'un personnage, même s'il est apparu nécessaire à Sonia pour des raisons techniques : celui du goual. En versant moins dans le cliché, son interprète aurait pu le rendre moins lourdement redondant par rapport à ce que suggéraient les tableaux et leur propos innovant. Enfin, outre le plaisir visuel, il y avait également celui des oreilles avec une musique due à Guechoud Mohamed Réda. Sa partition a secondé l'action, accompagnant de façon créative les chorégraphies signées par le talentueux Slimane Habbès. Devenu un contributeur incontournable au théâtre algérien, Habbès a su tirer le meilleur de comédiens sans formation préalable en matière de danse.D'une manière globale, on a pu sentir que, derrière cette production rafraîchissante, se tenait une véritable équipe pluridisciplinaire que le tout jeune théâtre de Skikda a eu le mérite de réunir (voir ci-dessous). Après cette mise en appétit, il est inutile de vous assurer que Thaourat Belahrach mérite le déplacement.