Benguerdane, cette ville située à plus de 580 km à la frontière sud-est de la Tunisie, est sortie de l'anonymat depuis les événements de Libye. Comptant quelque 80 000 habitants, elle vit totalement du commerce avec le pays voisin. De notre envoyée spéciale. Salima Tlemçani
La révolte, elle l'a connue cinq mois avant celle Sidi Bouzid. C'était en juillet 2010. La répression qu'elle a subie est inqualifiable. «Les commissariats ont été totalement assiégés par les jeunes manifestants, alors que des scènes de pillage ont ciblé des édifices publics et de nombreux magasins. En deux jours, des milliers de policiers y ont été dépêchés et la ville a été encerclée. Mais le patron de la police appréhendait de recourir aux armes. Il savait que toutes les familles de Benguerdane étaient armées, et si par malheur une seule victime venait à tomber, les conséquences auraient été irréparables», explique un notable. La ville est sur un volcan. C'est l'une des rares cités où les policiers et les gardes nationaux sont obligés de louer pour ouvrir des commissariats ou des postes de contrôle. Ici, l'Etat est pratiquement absent. Personne ne reconnaît le pouvoir central. «Lorsque nous étions assiégés par les militaires, ce sont nos frères libyens qui nous acheminaient les vivres et les médicaments. Si les habitants survivent à la misère, c'est grâce à la frontière. Les Tunisiens du Nord ne connaissent pas cette partie très pauvre du pays», dit-il. En effet, aucune infrastructure étatique ni un investissement public n'existent. Même les terrains sur lesquels est installé le camp des réfugiés sont des propriétés privées. «Ce sont des terrains de pâturage. Pour l'instant, nous n'avons rien dit parce qu'il est du devoir des habitants de Benguerdane de recevoir les réfugiés. Ce sont eux qui le plus ont subi dans cette crise, parce qu'ils étaient les premiers sur les lieux. Ils ont organisé les premiers secours et collecté les premières aides en dépit de leur état de pauvreté extrême. Qui a installé les milliers de tentes ? Ce sont les jeunes de Benguerdane. Le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) n'a fait que les larguer par des hélicoptères. Mais au lieu de faire appel aux jeunes chômeurs de la ville, les ONG onusiennes et le Croissant-Rouge tunisien ont recruté des gens du Nord. Des pratiques qui ont suscité une frustration profonde et un sentiment de ségrégation flagrante», révèle Mohamed. Lui et cinq de ses frères, tous universitaires, vivent de la contrebande. Ils ramènent toutes sortes de produits, des effets vestimentaires jusqu'aux pièces détachées en passant par le carburant pour les revendre au marché Maghrabi (maghrébin) situé au centre-ville. Ils possèdent deux Stéchènes qui traversent le désert quotidiennement. «Il y a près de 580 Stéchènes neuves à Benguerdane. Nous ne les gardons jamais plus de 3 ans. Même l'armée ne possède pas ce parc. Mieux, près d'un millier d'armes circulent dans la région. Posséder une arme chez nous est un principe. Il n'y a pas une seule famille qui n'en a pas», révèle Sid Ali, un propriétaire d'une petite gargote et d'une station informelle de carburant libyen. Un carburant ramené par les Libyens et revendu moins cher que celui des stations-service. Mais le commerce a sensiblement baissé. Les magasins ne sont plus aussi fréquentés, les hôtels sont pratiquement vides et le carburant fait gravement défaut. Sur les 9000 à 9500 Libyens qui traversaient quotidiennement la frontière, il n'en reste que 2500 à 3000. La crise est très dure à supporter et la haine de l'autorité est exprimée à chaque coin de rue. Il y a eu une démonstration de force d'ailleurs au poste frontalier de Ras Jdir par un groupe de propriétaires d'une vingtaine de Station flambant neuves et sans immatriculation. De jeunes drapés d'étoffes vertes et scandant des slogans pro-El Gueddafi, ont franchi la barrière séparant la frontière, sous le regard impuissant des militaires pour manifester leur soutien au régime libyen. «Benguerdane est un Etat dans un Etat et ce n'est surtout pas l'actuelle autorité qui arrivera à restaurer l'autorité publique», déclare un médecin.