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Tensions à la frontière tuniso-libyenne
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Publié dans El Watan le 11 - 03 - 2011

Trois Algériens ont regagné hier matin la Tunisie, alors que 10 autres sont arrivés la veille, fuyant le chaos en Libye. Les derniers témoignages font état de violents affrontements entre les militaires et les opposants d'El Gueddafi à Zaouia. La situation au camp des réfugiés est toujours désastreuse…
Ras Jdir (frontière tuniso-libyenne). De notre envoyée spéciale

Les réfugiés continuent à arriver par petits groupes et parfois en grand nombre au poste frontière tuniso-libyen, Ras Jdir, où 15 853 personnes (hier matin) vivent dans des conditions inhumaines et extrêmement difficiles, en attendant d'être rapatriées. Hier matin, trois jeunes Algériens de Bel Abbès sont rentrés avec juste quelques effets personnels dans un petit cabas. Exténués, ils semblent sortir d'un cauchemar. L'un d'eux, à peine la trentaine, murmure des mots inaudibles. Traumatisé, il s'est renfermé sur lui-même, passant de longs moments à parler à lui-même.
Les trois jeunes sont revenus de Zaouia, où la situation est «chaotique». «Les batailles entre l'armée et les insurgés sont menées avec des chars. Il n'y a pas eu d'utilisation de l'aviation. La guerre est menée autour du contrôle des quartiers. Il n'y a pas de mercenaires. Les belligérants sont tous des Libyens. Nous étions pris en otages entre les deux. Mais lorsque les victimes ne sont pas libyennes, elles sont qualifiées de mercenaires par les deux camps», raconte un des Algériens. Il refuse d'en dire plus «de peur que ceux laissés là-bas soient tués. Il y a de nombreux Algériens qui veulent revenir, mais qui n'ont pas encore trouvé les moyens». Après quelque temps de repos, de jeunes Tunisiens se sont proposés pour les transporter jusqu'à Gasfa (400 km), au siège du consulat d'Algérie, pour être rapatriés. Juste après leur départ, une famille marocaine, composée des parents et de quatre enfants, arrive. Elle est tout de suite installée au camp de Choucha, à quelques kilomètres de là. «Nous avons laissé tous nos biens à Zaouia. Il nous fallait de l'argent et des connaissances pour pouvoir rentrer. La situation est très grave. A peine avions-nous fait quelques centaines de mètres qu'un obus a détruit une partie de notre maison, autour de laquelle les combats durent depuis deux semaines.
Nous ne pouvions plus rester. La ville est quasiment bouclée, coupée du monde. Il y a de tout ; cependant, il faut non seulement beaucoup d'argent mais aussi profiter des quelques moments de répit pour acheter à rideau fermé ce qui est nécessaire pour les enfants, surtout le lait par exemple. Nous avons décidé de rentrer avec d'autres familles marocaines et algériennes…», raconte la mère, avant d'éclater en sanglots, en enlaçant le plus jeune de ses enfants, dont l'âge ne dépasse pas un an. «J'ai toujours le son des explosions et des tirs d'artillerie lourde dans les oreilles. Cela fait plus de 15 ans que je vis à Zaouia. Je n'ai jamais pensé qu'un jour je vivrais un tel désastre», affirme son mari, qui depuis le matin court pour se débrouiller une tente, loin des Africains et des Bengalis, en attendant que leur ambassade, qui a mis les moyens nécessaires, leur assure le transfert vers leur pays. A côté, une marée humaine occupe les lieux. Un groupe d'Egyptiens vient de traverser le poste.
Eux aussi sont très fatigués. Ils viennent de Tripoli et de Zaouïa. Leurs témoignages donnent froid dans le dos. «La ville de Zaouïa est devenue un champ de bataille entre les militaires et les opposants où sont utilisés des chars. Les quartiers occupés par les opposants ont été carrément détruits. Là où il y a mélange des deux parties, des snipers sont installés sur les toits et les terrasses pour éliminer ceux qui ne se rendent pas. Je pense que ce soir la ville tombera entre les mains des militaires…», nous dit-il avant d'être interrompu par un de ses compatriotes. «Impossible, le centre de la ville est contrôlé par les opposants. Ces derniers sont puissamment armés et bénéficient du soutien d'une grande partie de la population. Ce sera difficile de les maîtriser», raconte-t-il. Il confirme que de nombreux étrangers, notamment des Egyptiens et d'autres nationalités comme des Algériens, sont encore sur place, mais n'arrivent pas à quitter la ville. «Nous passons par de nombreux barrages dressés par les deux camps où nous devons laisser nos téléphones, cartes mémoire et argent. Pour passer, il faut avoir la complicité des opposants et des militaires. Tout le monde est armé, on ne sait même pas qui occupe la rue…», explique un autre réfugié égyptien.

Les Bengalis victimes de la crise et de la… ségrégation

Dans le camp, la place d'un millier de Bengalis transférés la veille a été vite occupée par près de deux mille rentrés hier. La situation devient inquiétante du fait que tous refusent de dormir sous les tentes de peur de rater les bus menant vers l'aéroport. Les militaires tunisiens ont du mal à leur faire respecter la consigne. Ils veulent tous quitter l'enfer dans lequel ils se retrouvent. Pour une bouteille d'eau, ils doivent faire des chaînes interminables, tout comme pour arracher un litre de lait ou un repas. Les pays occidentaux, qui ont accouru pour rapatrier 45 000 Egyptiens, hésitent encore à se décider afin d'assurer à près de 15 000 Bengalis un retour dans un pays très pauvre, qui devrait être normalement prioritaire.

Le casse-tête des Subsahariens

Tout comme pour les Bengalis, les Subsahariens deviennent de plus en plus nombreux. Pour l'Organisation internationale des migrants (OIM), seuls les Palestiniens, les Somaliens et les Erythréens bénéficient du statut de réfugiés politiques et, de ce fait, ne peuvent retourner dans leurs pays. Les autres vont tous être rapatriés. Ce qui suscite la contestation des uns et des autres. La différence de culture entre les communautés commence à créer un climat électrique et parfois tendu. Les Soudanais, par exemple, ne veulent pas de la promiscuité. Ils refusent de s'installer dans le camp. Ils ont décidé d'occuper une tente, un peu isolée, utilisée comme lieu de transit. «Nous avons un camp organisé où il y a des douches, des sanitaires, de la nourriture, de l'aide médicale et de l'eau. Ils ne peuvent pas aller là où ils veulent. Ils doivent s'intégrer dans le dispositif.
Nous gérons dans un cadre organisé et discipliné en concertation avec les autres organismes onusiens», nous déclare le colonel Bayoudh Fethi, chargé de l'organisation de l'urgence. Quelques réfugiés se sont installés par pays, d'autres ont barricadé les accès à leurs tentes pour éviter toute mauvaise surprise. L'insalubrité atteint un seuil critique malgré le travail des volontaires tunisiens. Des montagnes de détritus, de denrées alimentaires pourries, de sachets d'ordures jonchent les espaces, les rares espaces libres qui entourent les tentes. Les odeurs nauséabondes agressent les narines et la poussière irrite les yeux et la gorge. Le vent de sable rend toute opération de nettoyage inutile. La gestion du camp, malgré les gros moyens mis en place, n'arrive pas à être maîtrisée, au point où certains craignent une catastrophe humanitaire, étant donné que le flux quotidien des arrivées reste toujours élevé. Les chiffres arrêtés hier matin font état de 15 853 refugiés, dont 13 075 Bengalis. Les moyens mis en place pour transférer les réfugiés sont loin de répondre à la crise. Mercredi dernier, 10 465 Bengalis ont rejoint leur pays, au même moment où 1020 autres sont arrivés.
Chaque jour, il y a une moyenne de 1000 à 2000 qui rejoignent la Tunisie, alors que les réfugiés parlent de 6000 familles palestiniennes, 15 000 Pakistanais et près de 500 Irakiens, qui cherchent à rejoindre la Tunisie. Une situation très difficile à supporter par la population de Benguerdane, ville frontalière dépourvue de tout et qui vivait principalement de la contrebande de produits et carburant libyens. La crise a tué le commerce. «Nous avons peur que la situation perdure. Les gens ici n'ont rien d'autre que le commerce de la contrebande. Les jeunes se sont organisés dans un élan de solidarité exceptionnel avec leurs voisins, il faut que les Occidentaux sachent que la région n'a pas les moyens pour assumer seule cette catastrophe…», déclare Walid, membre du comité de la défense de la révolution de Benguerdane.


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