Après avoir raté une occasion de disputer la huitième finale de Coupe d'Algérie de son histoire, l'Entente de Sétif, l'un des plus populaires et plus titrés clubs du pays, se retrouve dans la tourmente. Pour remonter la pente, la direction a fait appel au soldat Saïd Hadj Mansour pour… la cinquième fois ! Le Palestinien, qui est entraîneur et poète, a bien voulu nous parler sans langue de bois de la face cachée de l'Entente et du professionnalisme à l'algérienne… - Quelle appréciation faites-vous de la manière dont les dirigeants de l'Entente, à chaque grave crise que traverse le club, vous lancent un SOS ? On ne reconnaît les compétences que dans les situations délicates. En faisant appel à moi, une nouvelle fois, les dirigeants de l'Entente, qui viennent d'instaurer la culture de la direction technique du club qui m'a été confiée en janvier dernier, reconnaissent, indirectement, que Hadj Mansour est l'homme de la situation. Je ne dis pas l'homme providence, mais le coach des situations délicates… - Deux jours n'ont, toutefois, pas suffi, à Hadj Mansour, pour que le miracle attendu par les dirigeants de l'ESS se concrétise… Ne possédant pas de baguette magique, aucun entraîneur au monde n'est capable de changer un système de jeu, d'améliorer le rendement technique ou de booster la condition physique d'une équipe en 48 heures. Sachant que le travail en football est une science exacte à 100%. Seul le résultat final d'une compétition ne l'est pas. Vous conviendrez que la différence est de taille. - En devenant le quatrième coach de la saison, ne pensez-vous pas que l'Entente devient une machine à consommer des entraîneurs ? Le changement d'entraîneur, qui n'est pas une spécificité de l'Entente, est tributaire des résultats. C'est d'ailleurs une règle universelle. La situation est terrible dans des pays du Tiers-Monde où les dirigeants plient le plus souvent sous la pression de la rue. N'ayant pas voulu accepter le diktat d'une partie du public, des entraîneurs de renom ont sauté comme de petits fusibles, en Algérie et ailleurs. Comme les joueurs ne sont pas habitués à un cycle d'entraînement intense et ne peuvent donc suivre le rythme, ils cherchent dès lors des noises au coach. Pour forcer la main de la direction, obligée de limoger cet entraîneur qui devient du jour au lendemain un incompétent, on va jusqu'à lever le pied (faire perdre l'équipe adverse, sans forcément de contrepartie financière). Ceci m'amène à dire que dans les pays du Tiers-Monde et aussi en Algérie, le sort d'un coach est le plus souvent entre les mains des joueurs et de la rue. - A la longue, n'êtes-vous pas fatigué de jouer (pour la cinquième fois) au pompier ? En professionnel, je ne vois pas la chose sous cet angle-là. Etant rigoureux, exigeant envers moi-même et vis-à-vis de mes joueurs et n'admettant pas, de surcroît, l'immixtion des dirigeants dans le volet technique, on ne m'a jamais donné du temps pour poser les fondements du professionnalisme pur et dur. Les gens qui croient que la réussite d'un club dépend essentiellement du talent de ses joueurs se trompent lourdement. Si on n'associe pas - proportionnellement - les trois facteurs, à savoir qualité du joueur (40 à 60%), niveau et compétence du coach (20 à 40%) et force et présence de l'administration (10 à 20%), tout projet est voué à l'échec. Le temps joue le plus souvent contre moi, car les clubs sont obnubilés par le résultat immédiat. - Quelles sont, d'après vous, les véritables raisons du malaise qui secoue actuellement le club phare de la capitale des Hauts- Plateaux ? En Algérie, on croit que la réussite en football est liée uniquement à l'entraînement. On se trompe, car on occulte le facteur de la récupération (nutrition, sommeil, sauna, massage, décrassage…), des éléments importants dans le quotidien du professionnel. Le suivi du poids, de la taille, des performances physiques et techniques du joueur, facteurs prépondérants dans les performances, n'est pas pris en compte par bon nombre de clubs algériens. On doit aussi savoir que la période d'après-match est très importante pour un compétiteur d'un certain niveau. Malheureusement, nos joueurs préfèrent, à ce moment précis, gaspiller inutilement leurs forces. Au lieu de récupérer des efforts consentis la veille, un joueur, qui oublie qu'il est professionnel, effectue, en 24 heures, plus de 1400 km aller et retour rien que pour passer quelques heures en famille ou avec les copains de son quartier. Ce constat ne concerne pas uniquement l'Entente, mais pratiquement tous les clubs algériens. - Le professionnalisme à l'Entente, où des joueurs imposent leur loi, choisissent l'horaire de l'entraînement, du repos et s'absentent comme bon leur semble, n'est-il pas un échec ? Il ne faut pas oublier les nombreux titres récoltés ces dernières années. Il faut savoir que l'Entente est le premier club d'Algérie à avoir mis en place un centre de formation dirigé avec brio par Nacerdine Saâdi, un pur produit de l'université algérienne. Qu'on le veuille ou non, l'Entente de Sétif fait partie d'un environnement et pour passer de l'amateurisme au professionnel, le passage par une période transitoire est indispensable. Pour entrer de plain-pied dans l'impitoyable monde du professionnalisme, il est nécessaire de bannir certains comportements. Figurez-vous qu'à cause d'une suspension d'un match, le joueur se permet le luxe de sécher, en toute impunité, les entraînements de la semaine… - En tant que Palestinien, que pensez-vous des incidences des révolutions déclenchées par la rue arabe sur la cause de votre peuple ? En retrouvant la voix et la liberté, le citoyen arabe a vaincu une peur emmagasinée des décennies durant. Ne disposant pourtant pas d'armes chimiques ou de destruction massive, ce citoyen, qui a fait chuter des dictateurs est, j'en suis convaincu, capable de donner un autre souffle à la cause palestinienne. Laissez-moi vous dire que la beauté du lendemain arabe n'atteindra son apothéose qu'avec la libération de la Palestine qui sera, j'espère, le prochain objectif de cette bouillante rue arabe. - En plus des compétences d'entraîneur, vous êtes aussi connu comme poète… La faim, l'injustice, la spoliation de la terre natale et la foi en un avenir meilleur et radieux sont sources d'inspiration d'un être sans adresse. Le recueil de cent poèmes, que je rédige depuis les années 1960, exprime l'absence, la patrie, l'exil et l'amour qui me lient à la vie. - Pour vous, la mère qui vous a donné la vie au bord de la route et la patrie ne font qu'une… Il m'est difficile de faire un distinguo entre la patrie, qui est un mouvement, une larme, une poignée de bonheur et ma mère qui m'a donné la vie en 1948 au bord d'une route. Parce qu'on lui a refusé le droit de donner la vie dans une clinique ou une salle d'accouchement. Je profite de l'occasion pour ouvrir une parenthèse enfouie. Sur la route de l'exil et ne pouvant fuir avec quatre petits enfants sur les bras, ma mère a pris le risque de laisser le nourrisson que j'étais, 24 heures sous un arbre, et ce, avant de revenir, le lendemain, me chercher…