En te saluant pour la dernière fois, en ce matin du vendredi 22 avril, dans ton modeste logement de la cité 8 Mai 45, au Gué de Constantine, nous étions en même temps très tristes et secrètement taraudées par l'ingratitude des ministres des Moudjahidine (qui se réclament tous de la «légitimité historique révolutionnaire») à ton égard, en dépit de ton engagement total pour l'indépendance nationale auprès de tes compagnons de 1'0S (Organisation spéciale de la Fédération de France 1954/1962). Mais justement, la modestie de ton logement et le quartier populaire de Gué de Constantine qui t'a adoptée et que tu as quitté pour rejoindre ta dernière demeure te font honneur ! Tu as lutté pour la victoire du peuple opprimé contre l'arbitraire et l'exploitation du colonialisme et tu es restée fidèle à ton idéal. A Lyon puis à Marseille, tu as été une des chevilles ouvrières de la lutte de Libération nationale. Infatigable, assurant avec audace, dans la discrétion de la clandestinité, les missions les plus diverses. Tu as été un pilier de l'organisation du «second front» du FLN, l'été 1958, qui s'est illustré avec éclat dans les Bouches-du-Rhône, notamment avec les attentats contre les réserves pétrolières et les raffineries de Mourepiane, de Lavéra, contre le cargo le Président de Cazalet et celui de la préfecture de Marseille pour lequel c'est toi qui a remis la bombe à notre sœur «Nenette» Idjeri qui l'a déposée en respectant la consigne d'épargner les civils. Après ton arrestation en automne 1958, ton comportement face à la police française a été exemplaire. Tu as tenu tête sans fléchir aux interrogatoires musclés et aux confrontations organisées pour te faire parler. En prison, aux Beaumettes, dans le quartier des femmes, tu as partagé la détention avec Zineb, Halima, Annette, militantes de la Fédération de France, Tassadit Tissira, épouse Ighilahriz, Louisa Ighilahriz, sa fille, Djamila Bouazza, Djamila Abbas, Blanche Moine, Jacqueline Guerroudj, Djamila Bouhired, Eliette Lou, Latéfa et toutes les autres transférées de prison d'Algérie ou arrêtées en France. Ta forte personnalité, ton intelligence, ton dynamisme et ta gaieté au quotidien ont forcé leur respect, comme en témoigne ta codétenue, Annette Roger Beaumanoir, dans son récit-témoignage Le Feu de la Mémoire : «Nadia était la leader.» Tandis que Abderrahmane Cherif Meziane, «Allaoua» dans la clandestinité que vous avez partagée lors de la réalisation des actions dans les Bouches-du-Rhône, a écrit : «Nadia, toute de courage et d'abnégation.». Après l'indépendance, rentrée en Algérie, à l'instar des innombrables sœurs de combat, tu n'as cherché ni les honneurs ni les privilèges. Un terrible accident de voiture a emporté ton jeune époux. Gravement blessée, tu as eu, depuis, de grandes difficultés pour marcher, toi qui étais si vigoureuse et si dynamique. Veuve, mère de famille, tu as connu l'indifférence ou la surdité des instances publiques qui auraient dû se pencher sur ta condition et mieux t'aider. Plus tard, la maladie s'est ajoutée à tes difficultés, mais tu ne t'es jamais laissée aller ; toujours combattante, fière, digne, sans concession ni compromission, il faut le souligner aujourd'hui. En 1987, enfin, grâce à Meziane Cherif, alors wali d'Alger, tu obtiens ce F3 dans lequel tu as fini tes jours. Très chère Nadia, grâce à des femmes comme toi, patriotes résolues, courageuses, inventives, fières, efficaces, l'Algérie a triomphé de la puissance coloniale. Même si l'histoire officielle telle qu'enseignée à nos enfants et petits-enfants a largement occulté notre participation aux côtés de nos frères dans ce combat révolutionnaire qui a marqué le XXe siècle, la vérité est là. Périodiquement, la mort nous révèle à la mémoire des générations montantes. Gloire à toi et à toutes les combattantes sur tous les fronts de notre guerre. Nous avons une pensée affectueuse pour tes enfants et tes petits-enfants; nous leur présentons nos sincères et fraternelles condoléances. Tes sœurs de combat, Louisa Maâcha, Yamina et Rabéa Benguedih