Toute nation qui aspire à se propulser au rang de pays émergent ou développé doit maîtriser deux types de technologie. La première concerne le «Hard». Elle doit se doter d'équipements de production, d'infrastructures universitaires, sanitaires, scolaires, sociales routières, etc. C'est l'ensemble d'appareils et de buildings dont on a besoin pour se former, produire, se soigner, se transporter et se détendre. La seconde technologie est invisible. Elle puise du savoir, de l'information, de la culture ambiante pour se traduire en comportements économiques et sociaux au sein des multitudes d'institutions du pays. On lui prête le nom de «management». Les pays qui ont construit avec acharnement et méthode les deux leviers du développement ont admirablement réussi. Ceux qui croyaient qu'inonder le pays de ressources «hard» suffisait à étendre le bien-être économique ont payé un lourd tribut. Et souvent, ils ne savent même pas pourquoi ils ont échoué. L'industrialisation n'est pas le développement L'idée qui stipule qu'industrialiser un pays contribue nécessairement à son développement est encore dans l'esprit de beaucoup de nos décideurs et économistes. De surcroît, lorsque l'industrialisation contribue à créer d'autres industries et en fin de parcours à opérer une substitution aux importations ; c'est pour certains, le summum du processus de développement. Cette idée est dangereuse parce qu'elle demeure en filigrane des analyses économiques les plus actuelles de nos plus grands faiseurs d'opinion. La confusion entre industrialisation et développement conduit à encenser la période des années soixante-dix et à blâmer l'arrêt du processus d'industrialisation pour tous les maux économiques que nous vivons. Rien n'est plus éloigné de la réalité que cette manière de réfléchir. On oublie ou on ignore qu'il y a des conditions très drastiques pour qu'un processus d'industrialisation se transforme en développement. La plus exigeante des conditions est l'efficacité managériale. Il faut faire coexister efficacement ensemble les deux types de technologies pour développer un pays. Les anciens pays socialistes ont périclité parce qu'ils n'ont pas maîtrisé la technologie sociale qui fait fonctionner efficacement les entreprises et les institutions publiques : le management. Ni leur système politique ni leur modèle économique ne permettaient de l'intégrer. Une industrie peut ruiner ou développer un pays par le processus de création ou de destruction de richesses. La vaste majorité de nos analystes n'ont pas compris ce phénomène si simple, qui explique pourquoi sans richesse appréciable les Coréens ont construit une économie qui avoisine 7 fois la nôtre. Prenons le cas des aciéries. Nous avions commencé par faire un investissement considérable. Cependant, on utilisait avec abondance les inputs, surtout humains et matériels. Le taux d'utilisation des capacités était si faible que la valeur des outputs était nettement inférieure aux inputs. Les irréductibles polarisent leurs analyses sur les prix trop bas des outputs. Ils oublient que les coûts des inputs, ressources humaines, matières premières, électricité, services administratifs et sociaux étaient encore plus bas. Mais le verdict le plus important est consacré par le taux d'utilisation des capacités qui était en moyenne plus bas que 50%. L'absence de surplus financiers empêche l'entreprise de créer des filiales et de se développer. Elle consomme plus de richesses qu'elle n'en produit. Si bien que les déficits étaient constamment financés par le Trésor. Les ressources utilisées auraient pu créer des milliers de PME et des dizaines de milliers d'emplois. Si ces entreprises et ces emplois n'existent pas, c'est parce qu'ils ont été détruits par une industrie inefficace. Mais les aciéries coréennes fonctionnaient autrement. Elles étaient gérées avec les instruments de management les plus modernes de l'époque. Leur taux d'utilisation des capacités dépassait les 95%. Les surplus financiers dégagés permettaient l'expansion, la création d'une multitude de filiales et des milliers d'emplois. Chaque industrie coréenne érigée devenait un centre de création de richesses, de démultiplication de l'emploi et de prolifération de dizaines de milliers de PME. Chaque industrie algérienne créée, sauf quelques exceptions, devenait un centre de destruction de richesses, un lieu où s'évaporent les ressources qui auraient pu créer des milliers de PME et des dizaines de milliers d'emplois. Ce mécanisme simple de création-destruction de richesses explique, en grande partie, le différentiel de performance des deux économies. C'est en ce sens que Peter F. Drucker le père fondateur du management moderne disait : «Il n'y a pas de pays sous développé, il y a des pays sous gérés». L'Industrialisation finira-t-elle par induire l'efficacité ? La majorité des analystes qui souscrivaient aux thèses de « l'industrie industrialisante » savaient que les usines utilisaient trop de ressources et leurs capacités de production demeuraient faiblement exploitées. Mais ils considéraient qu'il faut s'industrialiser d'abord et maîtriser leur management par la suite. On érige l'outil de production d'abord, on le gère avec les moyens du bord et on mettra en œuvre les méthodes managériales efficaces par la suite. Ce raisonnement paraît de prime abord logique. Mais les choses les plus simples ne sont pas toujours les bonnes. Cette ligne de pensée est purement intuitive. Elle provient de personnes qui ignorent totalement les règles du management moderne et notamment la culture d'entreprise. Dès lors qu'on introduit des pratiques de gestion stériles à grande échelle, dans la vaste majorité des entreprises et des institutions du pays, ces coutumes deviennent une réalité palpable, une culture, une manière de penser et de se comporter. Il faudrait alors une révolution pour muter le système et introduire de saines pratiques managériales. Aucun pays socialiste n'a réussi à introduire un management suffisamment efficace dans ses entreprises pour créer une croissance intensive. Précisément, parce qu'on a généralisé les pratiques de laxisme, d'irresponsabilité et d'appréciation en fonction de paramètres autres que les résultats. Un groupe d'experts algériens qui analysait la décennie des années soixante-dix concluait qu'on a fait l'erreur de ne pas privilégier l'exportation à la fin de la décennie. Nous aurions alors rattrapé la Corée. Il suffisait de décréter l'efficacité pour qu'elle tombe du ciel. La culture d'entreprise n'existe pas. L'erreur d'analyse qui consiste à évacuer le management et la culture d'entreprise est commune à la vaste majorité de nos experts. Elle conduit à recommander des solutions plus erronées que les problèmes que l'on désire résoudre. Aucun pays socialiste n'a envisagé une stratégie d'exportation. Nul pays de l'Est n'avait les pratiques managériales pour le faire. Selon nos experts, l'Algérie aurait pu être une exception mondiale. Mais la réalité scientifique est là : il est impossible d'améliorer le management et l'efficacité des entreprises économiques dans le contexte des années soixante-dix. On ne peut disséminer à grande échelle des cultures institutionnelles anti-efficacité et les changer par la suite. Elles deviennent le ciment de la sociologie politique du pays. Il faut alors révolutionner le système ou vivre avec. La réponse est claire. Non ! Nous ne pouvions pas rendre les entreprises des années soixante-dix plus efficaces sans aller à l'économie de marché. Ce qu'il faut retenir Ce que nous venons de décrire a une importance capitale pour la conduite des politiques économiques. Si nous avions maîtrisé la technologie soft (management) alors nous devrions intensifier nos investissements dans les équipements, les infrastructures, les outils de production car nous allons les rentabiliser et grandement en bénéficier. Par contre, si notre technologie soft est loin d'être au point : il faut plutôt y remédier d'abord. Nous devrions alors investir au moins nos ressources dans le développement humain, les TIC et la modernisation managériale ; faute de quoi, nous allons dilapider les ressources investies dans le « Hard». Apparemment, nos responsables ont fait leur choix : l'injection de ressources se fait massivement dans les infrastructures et les équipements. Pourtant nous avons un outil simple pour faire le bon choix : le multiplicateur. En Chine, lorsque l'Etat injecte 1% du PIB (produit intérieur brut) dans l'économie cette dernière en fabrique 3% de richesses avec. En Algérie l'Etat injecte 30% du PIB hors hydrocarbures dans l'économie pour créer une croissance de 6%. Le multiplicateur chinois est de 3% (management maîtrisé). Le multiplicateur en Algérie est de 0,2 (Management loin d'être maîtrisé). Les données quantitatives montrent bien le phénomène d'une productivité marginale des facteurs négative en Algérie. Malgré tous ces chiffres et toutes ces connaissances de l'humanité dont nous disposons, il est impossible de révéler quelque chose qu'on refuse de voir.