Trente-huit chefs d'Etat, ou chefs de guerre, sèment la terreur parmi les journalistes, selon l'organisation Reporters sans frontières (RSF). Paris. De notre correspondante «Derrière les violations de la liberté de la presse se cachent des responsables et des commanditaires. Qu'ils soient présidents, ministres, chefs d'état-major, chefs religieux ou leaders de groupe armé, ces prédateurs de la liberté de la presse ont le pouvoir de censurer, emprisonner, enlever, torturer, et, dans les pires des cas, assassiner des journalistes», signale Reporters sans frontières qui, pour mieux les dénoncer, en dresse les portraits. La liste de ces prédateurs va de l'Afghanistan au Zimbabwe, en passant par Israël pour les violences commises par son armée contre des journalistes palestiniens et étrangers dans les territoires occupés. L'Algérie ne figure pas dans cette liste. Et dans le monde arabe, sous la pression de la poussée populaire démocratique, les prédateurs vacillent. C'est dans le monde arabe que des changements importants ont marqué la liste des prédateurs 2011, souligne RSF. Et de rappeler que dans cette région, la liberté d'expression constitue «l'une des premières revendications des populations et, parfois, l'une des premières concessions des régimes de transition. Un acquis encore fragile». «Tentatives de manipulation de correspondants étrangers, arrestations et détentions arbitraires, expulsions, interdictions d'accès, intimidations, menaces, la liste des exactions contre la presse pendant le Printemps arabe donne le tournis». En Syrie, en Libye, à Bahreïn, au Yémen, le travail d'obstruction de l'information a été jusqu'au meurtre, comme dans le cas de Mohamed Al-Nabous, tué le 19 mars par un sniper à Benghazi (Libye), ou des deux journalistes tués au Yémen, le 18 mars, directement visés par des snipers à la solde du pouvoir, rappelle RSF. En Libye, plus d'une trentaine de cas de détention arbitraire et tout autant d'expulsions de correspondants étrangers ont été dénombrés. Les méthodes sont similaires en Syrie, à Bahreïn et au Yémen, où le pouvoir multiplie les efforts pour tenir la presse à l'écart, afin qu'elle ne diffuse pas les images de la répression. «La presse a rarement été autant un enjeu dans les conflits. Ces régimes d'oppression, déjà traditionnellement hostiles à la liberté de la presse, ont fait du contrôle de l'information une des clés de leur survie». Les photojournalistes, souvent en première ligne des violences et de l'information, ont payé un lourd tribut depuis le début de l'année. C'est le cas du Franco-Allemand, Lucas Melbrouk Dolega, touché le 14 janvier 2011 par les forces de sécurité lors d'une manifestation à Tunis et décédé trois jours plus tard, du Britannique Tim Hetherington, travaillant pour Vanity Fair, et de l'Américain Chris Hondros, de Getty images, tués par un tir de mortier à Misrata (Libye), le 20 avril 2011. En 2010, Reporters sans frontières a recensé plus de 50 cas de violences de soldats de Tsahal à l'encontre de journalistes palestiniens pendant l'année. Les journalistes étrangers n'ont pas été épargnés. «Les témoignages des professionnels de l'information à bord de la flottille humanitaire à destination de la bande de Ghaza, le 31 mai 2010, s'accordent sur le traitement qu'ils ont subi de la part des soldats israéliens lors de leur arrestation, détention et expulsion». Les exactions commises par l'armée israélienne ne donnent que rarement lieu à des poursuites judiciaires contre les soldats impliqués, selon RSF. Reporters sans frontières relève que l'«onde de choc du Printemps arabe n'est pas sans effet sur la politique menée par les prédateurs chinois, le président Hu Jintao, et azerbaïdjanais, le président Ilham Aliev, qui craignent un effet de contagion». Plus de trente dissidents, avocats et défenseurs des droits de l'homme, ont été mis au secret par les autorités de Pékin, sans qu'il soit possible d'obtenir des informations sur leur sort. En Iran, depuis juin 2009, plus de 200 journalistes et blogueurs ont été arrêtés, 40 sont toujours emprisonnés. Près d'une centaine ont été contraints de fuir le pays. 3000 journalistes se retrouvent actuellement sans emploi, victimes de la suspension des journaux ou sous le coup d'une interdiction imposée à leur rédaction de les réembaucher. Reporters sans frontières appelle à l'envoi urgent du rapporteur spécial sur la question des Droits de l'homme en Iran, comme décidé par la résolution votée par le Conseil des Droits de l'homme des Nations unies, le 24 mars 2011. Le Pakistan (14 journalistes tués en un peu plus d'un an) reste l'un des pays les plus dangereux au monde pour la presse. En Turquie, au-delà des lois liberticides, notamment celle sur le terrorisme et les atteintes à la sûreté de l'Etat, c'est toute «une pratique excessive de la justice due à l'ignorance des magistrats sur le travail de la presse d'investigation». Concernant Internet, Reporters sans frontières annonce que sa priorité portera sur la «défense de la neutralité, mise à mal par plusieurs projets de loi». L'organisation observe avec inquiétude «une pression accrue et plus ou moins intense selon la nature des régimes, sur les entreprises du secteur et, notamment, les fournisseurs d'accès pour qu'ils assument un rôle de régulateurs du Net». Pour l'année 2010, Reporters sans frontières (RSF) a recensé à travers le monde : 57 journalistes tués (-25% par rapport à 2009), 1374 enlèvements, 535 cas de censure manifeste et 172 journalistes emprisonnés ou maintenus en détention. Le rapport mentionne également 52 blogueurs agressés et 62 pays touchés par la censure d'Internet. Parmi les pays les plus respectueux de la liberté de la presse, 13 sont européens, la plupart scandinaves, selon le rapport de Reporters sans frontières pour l'année 2010. Ainsi, les mieux classés sont la Finlande, l'Islande, la Norvège, les Pays-Bas, la Suède, la Suisse, l'Autriche, la Nouvelle-Zélande, l'Estonie, l'Irlande, le Danemark et le Japon. Le Royaume-Uni, les Etats-Unis et le Canada, généralement considérés comme des «patries de la liberté d'informer», n'occupent que les 19e, 20e et 21e places. La France, pour sa part, est tombée du 11e au 44e rang. «Violation de la protection des sources, concentration des médias, mépris et même impatience du pouvoir politique envers les journalistes et leur travail, convocations de journalistes devant la justice», sont les raisons du recul de la France en matière de respect de la liberté de la presse, selon Reporters sans frontières... Et de relever que des hommes politiques, de toutes tendances et de toutes importances, ont eu des mots «menaçants, parfois insultants, envers certains médias». L'Algérie est classée 133e sur 178 pays recensés. Sur la situation de la presse en Algérie, Reporters sans frontières relève que «si l'on se contente de regarder le nombre de titres dans les kiosques de la rue Didouche à Alger, on pourrait croire à un foisonnement de la presse, et donc à une réelle liberté d'expression». Et de noter que les kiosques de la capitale regorgent de «près de 80 titres de quotidiens, principalement arabophones». «Or, la situation de la presse, des journalistes, de la liberté d'expression est loin d'être mesurable à l'aune du nombre de titres disponibles dans la rue. Une situation complexe, subtile. Les difficultés des journalistes ont évolué avec le temps. Si les journalistes ne craignent plus pour leur vie, leur marge de manœuvre pour s'exprimer est limitée».