Inquiétude, appréhension et attente… Les professionnels du secteur du tourisme dans la wilaya de Tamanrasset lancent des cris de détresse. Des SOS incessants et insistants. Leur gagne-pain est en danger et des milliers d'emplois risquent de disparaître dans cette région où la population vit principalement des revenus du tourisme. Les signes d'une véritable catastrophe sont déjà visibles. Pour la saison touristique 2010-2011, la région n'a accueilli aucun touriste étranger. «C'est une saison blanche», confirment les responsables des agences touristiques activant dans la région et les responsables du secteur dans la wilaya. Tamanrasset n'a pas connu une telle situation depuis le début des années 2000. Relancé en 2001 après une décennie de disette, le tourisme saharien est freiné à nouveau depuis 2009. Aujourd'hui, il est carrément à l'arrêt. Pourquoi en est-on arrivé là ? La réponse des professionnels du secteur est sans équivoque. Ils pointent du doigt les autorités. «La fermeture du massif du Tassili et l'interdiction des randonnées dans la région en est la principale raison. Le tourisme est freiné depuis l'annonce de cette décision prise par les autorités au début de l'année 2010», affirment les responsables des agences du tourisme rencontrés à Tam. Le désarroi est total ! «Après une année 2009-2010 très timide, on vient de vivre une saison blanche. Plus aucun touriste n'est venu à Tamanrasset. Ils (les touristes) viennent pour le Tassili et depuis que le site est fermé on ne reçoit plus personne», déclare avec amertume Mellakh Cheikh, responsable de l'agence Adrar-Bus. L'interdiction des randonnées dans le Tassali est intervenue en 2010. La décision est liée directement à la menace terroriste dans la région. La multiplication des kidnappings dont sont victimes les touristes étrangers qui deviennent «une marchandise juteuse» pour l'organisation terroriste, Al Qaîda au Maghreb islamique (AQMI) a amené les autorités militaires algériennes à interdire l'accès à cette région au début de l'année 2010. Par mesure de prévention. Le tourisme «sinistré», les professionnels révoltés Coup dur pour le tourisme local. Car le Tassili est l'un des sites du Hoggar les plus prisés. Il est la destination préférée des étrangers. Ce n'est pas tout. La sanction est doublée par une décision de l'Etat français qui a déconseillé, ou même interdit à ses ressortissants de se rendre dans la région. «La décision du Quai d'Orsay nous a achevé. Le gouvernement français a classé Tamanrasset dans la case des zones à haut risque et a interdit aux touristes français de venir ici. La décision a eu l'effet boule de neige en Europe. Des touristes des autres pays occidentaux ont suivi les Français», déplore M. Benmalek, chef de l'agence Amener-Voyage. En effet, le Quai d'Orsay avait instauré «l'embargo» sur les régions de Djanet et de Tamanrasset. Les touristes français sont priés d'éviter l'aventure dans les deux localités. «Même dans le cadre des circuits organisés», avaient précisé les autorités françaises. «L'enlèvement d'une ressortissante italienne, au cours d'activités touristiques au sud de Djanet, le 2 février 2011, souligne la réalité du risque d'enlèvement dans ces régions frontalières du Sahel. Auparavant, l'enlèvement de 7 étrangers dont 5 Français au Niger, au Sud de l'Algérie, avait déjà démontré la volonté des groupes terroristes de perpétrer ce type de crimes et cette volonté reste plus forte que jamais», avait ajouté le Quai d'Orsay. Les Français ne veulent pas de nouvelles prises d'otages, des négociations avec les terroristes et peut être un versement de rançon. C'est leur droit. Mais, les responsables des agences du tourisme s'estiment lésés. Ils considèrent exagérée la note du Quai d'Orsay et injustifiée la décision des autorités algériennes. Dépité, M. Benmalek s'inquiète, en effet, pour l'avenir de son activité. «Si la fermeture du Tassali est maintenue durant les deux ou les trois années à venir, les professionnels vont changer d'activité. Ils vont tous vendre leur matériel», lance-t-il. Les conséquences d'une telle éventualité seront lourdes. Et notamment sur le plan social. «Chaque agence de tourisme emploie environ 50 personnes. Ce sont des emplois directs. Il y a aussi des centaines d'emplois indirects. Ces activités font vivre des milliers de personnes. Des familles entières vivent de l'activité touristique. Et si on perd tous ces emplois, ce sera une véritable catastrophe pour les habitants de la wilaya de Tamanrasset», ajoute-t-il. «Le tourisme est sinistré. En plus des agences, les chameliers, les hôtels et les restaurateurs souffrent de cette situation», renchérit Mellakh Cheikh. Pour lui, les agences du tourisme qui gagnent une moyenne de 120 000 euros par an, ont tout perdu durant ces deux dernières années. Les chiffres de l'Office national du parc de l'Ahaggar sont en effet éloquents. Le nombre de touristes a sensiblement baissé depuis 2009. Il passe de 4210 en 2009 à 788 en 2010 puis à zéro en 2011. Cela pour le Tassili Hoggar. Pour le Tassili Ahnet, le constat est presque le même, puisque le nombre de touristes qui était en 2009 de 1259 chute à 384 visiteur en 2010. En tout cas le nombre de touristes recensés au niveau de l'ONPA durant les deux dernières années ne dépasse pas les 10 000 personnes. Piètre score pour une région qui recèle des potentialités touristiques impressionnantes. «Donnez-nous des aides ou levez l'interdiction sur le Tassili» Asphyxiés, les opérateurs interpellent les autorités. «Il faut nous faire confiance. Sans la confiance on n'avancera pas. Nous avons l'expérience et nous savons que quand on travaille dans un cadre organisé, il n'y aura jamais de problèmes», estiment certains responsables d'agence de tourisme. Ces derniers demandent une intervention des autorités pour trouver une solution idoine pour sauver le tourisme. «Comme les agriculteurs, nous aussi il faut que l'on soit aidés. On voudrait passer ce message aux autorités : aidez nous ou levez l'interdiction sur le Tassili», lancent nos interlocuteurs. Les agences du tourisme, déclare Moulay Abdelmalek, directeur du tourisme de la wilaya de Tamanrasset, exigent des subventions de l'Etat pour maintenir leurs personnels. «Il y a plus de 90 agences qui activent dans la wilaya de Tamanrasset. Chaque agence assure un salaire à plus de 50 employés. Si, demain, elles mettent fin à leur activité, plusieurs familles vont se retrouver sans ressources», dit-il. Comme les responsables des agences, Moulay Abdelmalek qualifie d'«aberration» la décision de fermer le Tassili. «S'il y a vraiment un risque, il faudra que les nomades touareg qui vivent dans la région quittent, eux aussi, les lieux», s'offusque-t-il. Le Tassili, souligne-t-il, est situé à 220 km de Tamanrasset et les autorités n'ont qu'à mobiliser des éléments des services de sécurité pour sécuriser le site. Pour Moulay Abdelmalek, l'Algérie ne tire pas profit de la situation qui prévaut depuis le début de l'année en cours dans la région de l'Afrique du Nord. «Avec ce qui s'est passé en Tunisie et en Egypte, l'Algérie devrait faire le nécessaire pour capter le flux touristique qui se rendait auparavant dans ces deux pays. Mais, rien n'a été fait dans ce sens. Nous avons perdu même le peu de touristes qui avaient l'habitude de visiter Tamanrasset», déplore-t-il. Que fait le ministère du Tourisme pour remédier à cette situation ? Selon lui, le ministère du Tourisme a déjà entamé les concertations avec d'autres responsables des secteurs concernés pour tenter de trouver une solution à ce problème. Le 13 mars dernier, indique-t-il, le secrétaire général du ministère s'est rendu à Tamanrasset et il avait réuni les responsables de tous les secteurs et les opérateurs activant dans le domaine. «L'objectif de cette réunion est d'examiner la situation et de réfléchir à des solutions. Il fallait associer tout le monde afin de trouver une solution rapide au problème», explique-t-il. Après cette réunion, Moulay Abdelmalek attend, dit-il, des décisions importantes. Lesquelles ? Le désert reste inaccessible aux Algériens L'interdiction des randonnées dans le Tassili sera-t-elle levée ? Notre interlocuteur ne donne pas plus de détails. «J'espère qu'on va annoncer des décisions importantes dans les prochaines semaines», se contente-t-il de dire. Et c'est le moment pour annoncer cette importante décision. «La préparation de la prochaine saison touristique commence durant les mois d'avril et mai. Nous attendons toujours la réouverture du Tassili qui serait synonyme de la relance du tourisme dans la région. S'il n'y a aucune décision dans les prochains jours, les tour-opérateurs européens supprimeront Tam de leur liste des destinations à visiter», souligne un autre responsable d'une agence du tourisme. Mais aucune décision n'est annoncée pour le moment. D'autres réunions ont lieu depuis notre rencontre avec Moulay Abdelmalek. «Il n'y a aucune nouvelle pour le moment», a-t-il affirmé hier. L'autre handicap pour le tourisme à Tamanrasset est l'inaccessibilité du plus beau désert du monde aux Algériens. Pour le citoyen lambda, la visite de cette partie du Sud algérien convoitée par les touristes du monde entier est un rêve irréalisable. «Qui peut se permettre d'acheter un billet d'avion à deux fois le SNMG et dépenser encore davantage une fois sur place ? L'Algérien moyen ne peut pas se permettre un tel prestige», commentent les responsables des agences du tourisme. Ces derniers regrettent également l'absence d'une stratégie et d'une volonté de développer du tourisme local. «On ne peut pas booster le tourisme local sans le développement du transport, en particulier la multiplication des vols charters. Or Air Algérie n'a rien fait dans ce sens», souligne Moulay Abdelmalek. Mais dans le tourisme il n'y a pas que le transport. Les spécialistes parlent même d'une absence d'une stratégie nationale pour le développement du tourisme. Et c'est là que le bât blesse…