Des policiers qui se baladent dans les rues, des motards qui ne cessent d'aller et venir, des camions antiémeute garés partout. La capitale devient bleue», ironise un vieux, posté à l'entrée d'un kiosque de la rue Sergent Addoun (ex-Monge). Un groupe de jeunes réagit à sa petite moquerie : «S'il y a autant de flics ici, c'est parce qu'ils ont peur que les étudiants tentent encore de marcher», s'exclame l'un d'entre eux. Un jeune allume sa cigarette et commente tout en fixant l'entrée de la fac centrale, à quelques mètres : «Non, ils craignent les médecins ! La clinique des brûlés est à quelques mètres d'ici.» Un autre s'en mêle et le corrige : «Non, c'est plutôt les médecins grévistes de Mustapha qui ont prévu de passer par là pour atteindre le palais du gouvernement.» Les rumeurs vont bon train et l'incertitude est de mise. Des camions et des Nissan de police longent la rue et les policiers ne cessent d'aller et venir. Le spectacle est imposant mais n'étonne personne. Les riverains s'y sont habitués. Il reste qu'à chaque fois, il faut deviner le motif exact de leur présence. Un jeu de devinette auquel se prêtent souvent les habitants du quartier. Pour hier, c'était certainement la menace des étudiants en pharmacie qui justifiait cette présence disproportionnée des agents de l'ordre, mais personne n'a trouvé la bonne réponse ! Au même moment, à la place du 1er Mai, près d'une centaine de policiers bloquaient l'entrée de l'hôpital Mustapha pour empêcher les médecins grévistes d'accéder à la voie publique. Des camions antiémeute, des fourgons cellulaires et des Nissan garés sur les trottoirs donnaient l'impression d'un état de siège. «Des flics partout, ça étouffe !» Les points névralgiques de la contestation sociale sont tous pris d'assaut par les forces de la police ces derniers jours : boulevard Mohammed V, avenue Pasteur, rues et avenue menant vers le palais du gouvernement et vers la Présidence, la fac de médecine d'Alger, la fac centrale, hôpital Mustapha, la liste est longue et les policiers ne manquent pas. «Des flics partout, ça étouffe ! Surtout quand on sait qu'ils ne sont même pas là pour notre sécurité. Ce sont des instruments politiques», peste un vieux à l'entrée de la rue Hassiba Ben Bouali. Il n'est pas le seul à se plaindre de cette présence disproportionnée des agents de l'ordre, cependant beaucoup en tirent satisfaction : «Leur présence me rassure, parce qu'elle dissuade les voleurs», s'exclame une jeune femme préoccupée par le manque de sécurité dans la capitale. Un passant sera plus perplexe : «Je sais qu'il ne faut pas trop parler politique, si on ne veut pas se faire embarquer. La police ne me dérange pas, les manifestants non plus. Je ne sais plus trop quoi penser de tout ça !» Ils sont nombreux, comme ce jeune homme, à hésiter entre peur et incompréhension. Une peur et une incompréhension qu'ils partagent en quelque sorte avec ces mêmes policiers qui soulèvent inquiétude et réprobation à leur passage. Ils sont partout, sur les trottoirs, dans les jardins publics, à guetter, toiser et attendre d'éteindre la moindre contestation. Mais leurs regards menaçants et placides dans les moments de répression et d'affrontement disparaissent très vite. Dans le jardin de l'horloge florale de la Grande-Poste, ils sont nombreux à se recueillir dans les coins ombragés. «La tenue est lourde à porter en ce temps de grande chaleur», lâche l'un d'entre eux, en souriant. Un petit jeune habitué du jardin lui répondra sur un ton plein de légèreté : «Vous n'avez pas le droit de vous plaindre avec l'augmentation que vous avez eu !» Le policier ne s'en offusque pas, connaissant le jeune qu'il juge «inoffensif» et se mettra à débattre en toute simplicité : «Les étudiants ont été violents et n'ont reculé devant rien, notre mission est de maintenir l'ordre», justifie-t-il mais sans aller plus loin dans la conversation. Le malaise est palpable et le manque de conviction est indéniable. «A chacun son rôle», conclut le jeune homme. Un peu plus loin, l'ambiance est plus tendue. Les policiers barrent l'accès à la rue Docteur Saâdane et menace du regard tous les citoyens qui les regardent de trop près. Les va-et-vient continuent alors et plus personne n'ose s'arrêter sur ce spectacle qui se banalise.