Hier, très tôt le matin, les forces de police étaient déployées sur les principales artères marchandes du centre-ville de Blida, pratiquement toutes avec forces antiémeute et concentrations aux angles des rues. Les simples passants, les travailleurs se dirigeant comme chaque matin à leur lieu de travail n'y comprenaient rien. Y avait-il une embuscade ? Une filature serrée ? Une arrivée de quelque haute personnalité ? Les officiers de police demeuraient muets, sur leurs gardes. Silence pesant et attente d'un événement qui tardait à venir. Finalement, quelques bousculades au bas de la rue des Frères Chouiet puis une autre annoncée à l'entrée de la rue des Martyrs et le mystère se dissipa : il y avait interdiction formelle de laisser les marchands ambulants se répartir et occuper les trottoirs. Mécontentement prévisible mais fermeté affichée des autorités. Le chef de daïra, M. Sadek, dira : « La majorité de ces revendeurs viennent des communes et wilayas environnantes et nous nous devions de mettre le holà ! » A la question de savoir pourquoi ce dimanche et pas un autre jour, M. Sadek précisera : « A chaque fois nous avons dû reporter : il y avait les examens de fin d'année puis les festivités du 5 Juillet et cette temporisation a pris fin. » Les policiers se démenaient avec les groupes de jeunes qui les harcelaient avec des jets de pierres et des pneus brûlés. L'atmosphère dans l'allée commerciale de la rue des Martyrs devenait irrespirable et tous les commerces ont dû baisser rideau. Approché, l'un d'eux s'exclamera : « Nous attendions depuis plusieurs années ce jour et nous espérons que les autorités vont tenir. » Un autre renchérit : « Ils peuvent rester tout le temps et veiller à notre sécurité puisque nous payons nos impôts et ce n'est pas une honte de les avoir à côté de nous lorsqu'on sait que toutes les grandes villes du monde s'imposent une présence policière dans les quartiers chauds. » Le mot était lancé : « quartier chaud ». Commercialisation de drogues douce et dure, vols et agressions multiples, vendetta, partage des quartiers par des bandes rivales et location des murs pour les achalandages. La prostitution dans les ruelles adjacentes étend ses tentacules et de plus en plus de maisons abandonnées font office de lieux de rendez-vous. Jeunes du service national venus des lointaines contrées du pays, jeunes filles abandonnées à cette méga-station proche de la capitale : le mélange devenait détonnant grâce à l'aiguillage de bandes dont les armes s'affûtaient dans les séjours en prison. Chaque commerçant, chaque habitant de la ville connaît au moins une dizaine de commerçants en produits interdits ainsi que les habitués des lieux. Les jeunes de 20 à 30 ans, le regard étrangement fixe, le verbe lent mais acerbe, la violence à fleur de peau puis, dès l'achat de sa part de rêve, c'est la prunelle des yeux qui devient douce et peut-être même des bribes de poésie et de qacidate qui se fredonnent. Voyous ou malades ? Seule l'anxiété des mères traduit ce désarroi ! Les structures d'accueil et de prise en charge de la majorité de ces laissés-pour-compte atténueraient la violence de la parade policière. Que vont devenir ces jeunes happés par le marché informel ? Vont-ils chercher d'autres lieux dans d'autres communes ? Le chef de daïra restait inflexible : « Ces commerçants de l'informel n'ont pas leur place en ville. Chaque jour, il y a des plaintes pour agressions et vols sans parler de la souffrance des véritables commerçants. » Il était étrange de « descendre » la rue Abdallah, zenqet lyhoud, sans devoir ralentir le pas. Tout autour du marché européen, les voitures pouvaient circuler alors qu'il était impossible auparavant même de s'arrêter tellement le flux humain était porté par les étalages à même le sol. La rue du 17 Juin, ex-rue des Couloughlis, était épargnée par ce désir de nettoyage : les herbes, les légumes et les fruits continuaient à être commercialisés. C'est le souk avec ses senteurs, ses épices odorantes, ses cris et ses appels, sa mosquée plusieurs fois centenaire et ses cagettes de poissons qui réveillaient ce désir d'aller piquer une tête à la mer pas si lointaine. Remonter à partir de la rue Amirouche, ex-rue du Bey et devoir s'arrêter net à quelques mètres de l'intersection avec la rue des Martyrs : le blindé de la police continuait à opérer ses allers-retours pour dégager la chaussée de tous ces pneus et ces pierres jetés sur la chaussée du haut des bâtiments. Quelques jeunes montraient plus expressément leur mécontentement : « On nous fait sortir de l'école puis on nous fait quitter les trottoirs : que doit-on faire ? », dira un porte-parole des jeunes devant le passage Féliu, Bazar Serdouk, situé tout proche de la rue Abdallah. Des jeunes à qui la marchandise avait été saisie observaient d'un regard bizarre le flash de l'appareil photo : « Continuez à nous prendre en photo, curiosité animale que nous sommes ! » Ils avoueront vouloir tenir, résister et ne pas se laisser faire, croyant dur comme fer que leur commerce était légal puisqu'ils ne faisaient de mal à personne. Ils ignorent tout des règles du commerce ou font admirablement semblant. A ces jeunes sans doute, l'Etat se devrait de prendre des mesures d'insertion, à titre surtout social. A 14h, la raison l'emporta et les nerfs s'étaient nettement calmés. Il faudrait sans doute rendre hommage aux forces de l'ordre qui n'ont pas fait usage de leurs différents moyens de persuasion.