Sans retomber dans la situation d'il y a 30 ans, le Liban fait face à un dilemme. Jusqu'où peuvent aller les autorités actuelles dans leur quête de liberté et surtout de souveraineté, une notion bien relative quand il était question de présence militaire syrienne et d'occupation israélienne ? Et jusqu'où peut aller l'exigence de vérité dans le cas des assassinats qui ont repris depuis février dernier avec le meurtre de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, tandis que le plus récent a eu lieu lundi dernier et ciblé le député chrétien Jebrane Tuéni ? Le Premier ministre, Fouad Siniora, rappelle-t-on, avait demandé le même jour une enquête internationale pour dénouer les fils de ce complot, mais il s'est heurté à l'hostilité du courant dit d'opposition, ou encore proche de la Syrie, un pays au moins suspecté dans cette série d'assassinats. Les cinq ministres chiites, dont celui du Hezbollah qui continue à affronter périodiquement Israël à la frontière sud du Liban, ont suspendu lundi leur participation au cabinet. Ils entendaient protester ainsi contre la décision de la majorité gouvernementale qui a réclamé un tribunal international pour juger les auteurs de l'assassinat de l'ancien Premier ministre, Rafic Hariri ainsi que l'élargissement de la compétence de la commission d'enquête de l'ONU aux attentats qui secouent le Liban depuis octobre 2004. Le Conseil supérieur chiite, la plus haute instance de cette communauté au Liban, a soutenu sans réserve jeudi la position de ses ministres. Il a en outre dénoncé la « passivité » du gouvernement dans l'affaire de la disparition de l'imam Sadr, malgré son engagement déclaré à résoudre l'affaire. La piste syrienne a été encore une fois retenue par le Conseil de sécurité qui a maintenu jeudi la pression sur elle en prorogeant le mandat de la commission d'enquête de l'ONU sur l'assassinat de Rafic Hariri et en réitérant son exigence d'une pleine coopération de Damas à l'enquête. Dans sa résolution 1644 adoptée à l'unanimité, le Conseil reconduit pour six mois, jusqu'au 15 juin 2006 « dans un premier temps », le mandat de la commission qui expirait jeudi. Outre la prorogation du mandat de la commission, Beyrouth avait demandé son élargissement pour englober une série d'attentats commis au Liban contre des personnalités politiques ou des journalistes antisyriens. La résolution « prend note » d'une autre demande libanaise, la création d'un tribunal international pour juger les personnes qui seront accusées du meurtre de Rafic Hariri. Le texte, rédigé par la France et coparrainé par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, rappelle la validité de la résolution 1636, qui sommait Damas de coopérer à la suite de l'enquête sur l'assassinat de Hariri, sous peine de sanctions. Bien que démissionnaire, M. Mehlis continue de présider la commission jusqu'à la désignation de son successeur. Les trois coparrains ont dû batailler pour obtenir un vote unanime. Ils ont édulcoré le texte initial, qui prévoyait de charger la commission d'enquête également sur les autres attentats commis au Liban. Cette idée s'est heurtée à l'opposition de la Russie, la Chine et l'Algérie. Ces pays souhaitaient éviter de donner l'impression que le Conseil présumait d'une implication de la Syrie dans les autres attentats, alors que Damas ou pour plus précis, des Syriens n'ont été pointés du doigt par la commission Mehlis que pour l'assassinat de Rafic Hariri, selon des diplomates. Dans les amendements apportés au texte initial, l'ambassadeur syrien, Fayssal Mekdad, a vu « la preuve que la Syrie a beaucoup d'amis au Conseil ». Réitérant que « la Syrie est innocente », il a promis la pleine coopération de son pays à l'enquête. Quant à l'ambassadeur américain à l'ONU, il considère que le vote « envoie à la Syrie le signal fort que nous continuons d'exiger d'elle une pleine coopération. Il est clair qu'ils (les Syriens) ne l'ont pas encore fait ». Mais tout compte, se demande-t-on, qui a gagné, et qui a perdu ? La question peut paraître déplacée et inopportune, mais l'on retiendra surtout que l'enquête peut durer encore des mois, voire des années, et peut-être même qu'elle n'aboutira jamais à des accusations en bonne et due forme, c'est-à-dire fondées. Mais la Syrie demeure sous pression comme si une véritable épée de Damoclès pesait sur elle. Une situation qui peut s'avérer coûteuse, voire ruineuse, puisque au-dessus de ses possibilités. Quant au Liban, il aura encore à attendre. Il peut même être accusé de vouloir rechercher un certain équilibre en déposant une plainte contre les agressions israéliennes, mais pas contre son occupation d'une portion du territoire libanais.