Ce qui se passe à Beyrouth depuis jeudi accentue un peu plus la fracture entre les communautés libanaises. Est-il encore temps de se dire comment en est-on arrivé là? Ce qui se passe au Liban depuis septembre 2004, en fait, qui a vu le «prolongement» par le Parlement, pro-syrien, du mandat du président Emile Lahoud, dépasse l'entendement, et met le pays du Cèdre en porte-à-faux. M.Lahoud -dont la mandat s'est achevé le 23 novembre 2007- est parti laissant derrière lui une vacance présidentielle qui frise l'absurde s'il n'y avait pas, au bout de compte, le spectre d'une guerre qui risque, cette-fois-ci, de remettre en question l'existence même du Liban. Depuis 33 ans, et la guerre civile de 1975-1990, le Liban n'a plus retrouvé la sérénité lui permettant de reconstruire son homogénéité afin de lui donner de dépasser le caractère multiconfessionnel sur lequel est basé l'Etat libanais. Cette particularité freina en fait, dans une large mesure, la construction d'un Etat unifié dans lequel la religion n'aura plus de place, ni de rôle à jouer. Or, la pyramide du pouvoir au Liban, est fondée sur une Constitution élaborée par la puissance occupante d'alors, la France, qui organisa des clivages marqués par le communautarisme qui, au fil du temps, ont rendu douteux la mise en place d'une politique unifiée, au service du Liban et des populations libanaises. C'est tellement vrai que l'Accord de Taef (Arabie Saoudite) et qui mit fin à la guerre civile en 1990 qui prévoyait la révision de la Constitution pour éliminer tous les articles qui font, ou ont fait, obstacle à la construction d'un Liban unifié est toujours en attente de son amendement. Le fait que cette révision n'ait jamais pu être programmée en dit long sur les divisions qui continuent de miner en profondeur le pays du Cèdre. Avant d'être international comme l'indiquent certains analystes et commentateurs, le problème du Liban est d'abord une question interne qui n'a pu, pour des raisons diverses, trouver les réponses qui satisfassent l'ensemble des communautés libanaises. Il est ensuite, le résultat, plus largement, des retombées du dossier israélo-arabe, d'une part, des tentatives géostratégiques états-uniennes et israéliennes, d'autre part. Les manoeuvres extérieures ont influé négativement sur le climat politique libanais, certes, mais la mésentente et les clivages entre les communautés libanaises ont grandement contribué au maintien d'un statu quo qui ne sert aucune partie au Liban. Et ce qui s'est passé jeudi et hier à Beyrouth -avec les combats de rues, entre les partisans de la majorité pro-occidentale au pouvoir et ceux de l'opposition soutenue par la Syrie et l'Iran- a accentué d'autant plus la fracture entre les parties libanaises, qui semblent avoir cédé à la facilité de la violence avec tout ce que cela peut induire sur le devenir, immédiat, du Liban. La difficulté d'élire le président du Liban - Michel Sleimane, sur le nom duquel le consensus a pourtant été fait - montre combien les forces en présence sont actuellement fermées au dialogue, qui reste cependant incontournable si l'on veut sauver le Liban d'une explosion de laquelle il risque de ne plus se relever. C'est en fait le dilemme auquel sont confrontés les Libanais quelle que soit l'obédience de laquelle ils se réclament. De la manière avec laquelle les Libanais vont résoudre leur contentieux dépendra sans doute le futur du Moyen-Orient, en général du Liban en particulier. En effet, le Liban reste le maillon faible du monde arabe et l'éventuel éclatement du pays du Cèdre sur une base confessionnelle donnera le top à celui d'autres pays de la région, à commencer par l'Irak où la partition de cet Etat est en bonne voie, avec la quasi indépendance du Kurdistan irakien et la montée en puissance des chiites les plus radicaux du pays. En fait, la stratégie élaborée dans les années 70 par l'ancien secrétaire d'Etat américain, Henry Kissinger, de création de micros Etats arabes au Moyen-Orient et la dislocation des grands ensembles trouve son aboutissement dans les événements qui secouent le Liban. D'autant plus, que le pays du Cèdre concentre aujourd'hui, à lui seul, tous les paradoxes et conflits qui sont ceux du monde arabe. Analyser la question libanaise en la rattachant à une problématique ingérence syrienne et/ou iranienne, tout en passant sous silence les interventions directes, ou feutrées, de pays comme la France -qui tient à garder son précarré libanais- des Etats-Unis, qui veulent renforcer leur hégémonie sur la région, ou Israël qui allume en sous-main les feux de la fitna, c'est ignorer délibérément les fondements de la crise libanaise qui se nourrit en même temps des contradictions internes libanaises, que des pressions et interventions extérieures. Et ce sont ces interventions extérieurs, - voir le vote notamment par le Conseil de sécurité le 2 septembre 2004 de la résolution 1559 où il est instamment demandé «à toutes les forces étrangères qui y sont encore de se retirer du Liban» qui visent directement la Syrie - après le prolongement du mandat du président Emile Lahoud, qui ont le plus déstabilisé le Liban. On notera seulement, qu'un tel texte n'a jamais été adopté par le Conseil de sécurité tout au long des années d'occupation du Liban par l'armée israélienne, et encore moins aujourd'hui quand cette même armée occupe les territoires palestiniens. Ceci pour dire que le contentieux libanais ne peut, d'aucune manière, se régler au profit d'une force, et encore moins à celui d'une puissance étrangère, que ce soit la Syrie, l'Iran, et/ou les Etats-Unis et Israël. Et tant que des parties libanaises se laissent manoeuvrer par des forces extralibanaises, il est peu probable de voir leur position se rapprocher, alors que les uns et les autres n'ont cessé de jeter de l'huile sur le feu au seul profit de ceux qui travaillent à la désunion durable du Liban et plus largement du monde arabe dont des parties suivent aveuglement -au détriment des intérêts de leurs peuples- l'un ou l'autre des mentors lesquels ne veulent pas que du bien aux peuples et au monde arabe.