Le colonel Youcef El Khatib, commandant de la Wilaya IV historique, commente dans cet entretien, qu'il a bien voulu nous accorder, la récente polémique opposant Yacef Saâdi à Louisette Ighilahriz, ainsi que le tollé soulevé par les déclarations de l'ancien président, Ahmed Ben Bella, sur l'histoire de la Révolution. - Pouvons-nous avoir vos impressions à propos des récentes déclarations de Ben Bella sur son parcours personnel et l'histoire de la Révolution en général ? Si vous voulez m'entraîner dans un terrain miné par la politique, je ne vous répondrai pas. Maintenant pour l'intérêt de la Révolution, je vous affirme, à mon tour, que les seuls Algériens qui avaient conçu, préparé et déclenché la Révolution en 1954 sont des personnalités historiques déjà connues. Il s'agit de Ben Boulaïd, Didouche, Bitat, Ben M'hidi et Krim. Tous les cinq se sont mis d'accord pour installer Boudiaf au poste de coordinateur. Ali Mellah était à la tête du sud du pays qui n'était pas considéré comme étant une région lors du déclenchement de la Révolution. Je sais qu'il y avait un contact avec le trio du Caire (Egypte). Ben Bella, l'un des représentants du MTLD à l'étranger et faisant partie de ce trio, avait été informé. Mais je réitère que seuls les six hommes historiques sont les responsables du déclenchement de la guerre de Libération nationale. Je reviens à propos de ce que je disais, la Révolution et le déclenchement de la guerre de Libération nationale étaient une affaire de gestion collective, mais jamais une affaire d'un seul homme comme le prétend Ben Bella. A cette époque-là, je dois vous avouer que j'étais un jeune étudiant et n'étais pas adhérent à un parti politique. Ces six hommes historiques, qui avaient la charge de préparer et de déclencher la guerre de Libération nationale, avaient souffert du zaïmisme. Toutes les décisions du Congrès de la Soummam avaient d'ailleurs été prises à l'issue d'un débat franc, d'une manière démocratique, dans l'intérêt de l'Algérie et de son peuple. La gestion collective de la Révolution était le principe fondamental du Congrès de la Soummam, il n'y avait pas de zaïm. Personnellement, je crois fermement à ce principe fondamental jusqu'à aujourd'hui. - Au sujet de la polémique entre Louisette Ighilahriz et Yacef Saâdi, quel commentaire faites-vous ? Je dirais que ce n'est pas le moment d'étaler en public tous ces malentendus. Je trouve que Yacef Sâadi a eu tort de faire de telles déclarations. En ma qualité de commandant de la Wilaya IV historique, je pourrai dire qu'un tel homme, je ne le connais pas. Néanmoins, je m'informerai auprès des personnes qui avaient côtoyé cet homme durant la guerre de Libération nationale. Yacef Saâdi a commis une erreur, car il ignorait plein de choses qui se passaient sur son territoire. Il ne pouvait pas connaître personnellement toutes les personnes qui activaient. Donc, il n'avait qu'à demander des informations sur Mme Ighilahriz à ses proches compagnons, pour s'informer sur son passé. Elle a souffert des tortures infligées par les parachutistes. - L'ouverture des archives de la guerre détenues par la France devrait peut-être lever une grande partie des équivoques et des contrevérités ? Personnellement, j'ai hâte de découvrir les archives afin de connaître tous les détails de notre Révolution. Ces archives se trouvent à Vincennes (France). Nous avons demandé le rapatriement de ces archives relatives à l'histoire de notre pays aux présidents Mitterrand, Chirac et Sarkozy. En vain. Au nom de notre fondation, nous avons sollicité le président Sarkozy et l'ambassadeur de France en Algérie pour le même sujet, notamment dans ce qui est en rapport avec la Wilaya IV. Vous savez, pour accéder à ces archives, des dérogations sont exigées. En Algérie, des archives existent. Au temps du président Zeroual, j'avais pu moi-même en consulter certaines. - Ne craignez-vous pas que ces archives, une fois révélées, puissent donner à découvrir des vérités lourdes, dont les conséquences ne pourraient peut-être pas être assumées ? Pour ma part, je vous dirais que la France coloniale avait toujours traité, pendant la guerre, les moudjahidine qui activaient à tous les niveaux de responsabilité des centres de décision, depuis la base jusqu'à l'échelle suprême de la Wilaya IV historique, de bureaucrates. En effet, nous avons toujours rédigé nos rapports mensuels, en application des décisions du Congrès de la Soummam. Nous avions immortalisé des faits dans ces documents, afin que notre commandement puisse être informé de toutes nos actions à travers l'ensemble du territoire de la Wilaya IV. Hélas, beaucoup de documents ont été détruits dans des incendies et d'autres ont été accaparés par des soldats français qui les gardent à ce jour dans leurs archives. L'intérêt de notre fondation est de recueillir tous les témoignages des 8 régions qui composaient la Wilaya IV historique (Bouira, Boumerdès, Blida, Tipasa, Aïn Defla, Médéa, Tissemssilt, Chlef), mais surtout analyser et corriger tous les témoignages que nous avons pu recueillir et qui ont marqué l'histoire de la Révolution dans notre wilaya. C'est mon devoir de patriote.