Les historiens se disent “affectés” par la polémique soulevée par Yacef Saâdi, ancien responsable de la Zone autonome d'Alger (ZAA), tout en s'opposant à la représentation officielle de la Révolution algérienne jugée “un peu trop parfaite”. “Du côté de la France, ils ont intérêt à ce que le grand silence sur la torture en Algérie pendant la colonisation se maintienne, mais de l'autre côté (en Algérie, ndlr), il y a refoulement par la honte. Les déclarations faites récemment par M. Yacef Saâdi contre l'honorable Louisette Ighilahriz n'honorent pas.” Ces propos ont été tenus, hier, à Alger, par Amar Belkhodja, historien et ancien journaliste, lors de la journée d'étude sur “la femme algérienne face à la violence coloniale durant la guerre d'Indépendance”, organisée par le département histoire de l'université des sciences humaines et sociales. L'auteur de “Barbarie coloniale en Afrique et Colonialisme : Les crimes impunis” a été scandalisé par la polémique ayant alimenté la presse nationale ces derniers jours, surtout par les propos qu'aurait tenus Yacef Saâdi, ancien responsable de la Zone autonome d'Alger (ZAA) et sénateur du tiers-présidentiel, le 26 avril dernier, en marge de la projection du documentaire Fidaïyate, consacré aux résistantes de la guerre de Libération nationale. “M. Yacef Saâdi accuse une femme qui a eu le courage d'écrire ce qu'elle a subi, qui est handicapée par la torture qu'elle a subie”, a encore soutenu M. Belkhodja, en brandissant le livre de Louisette Ighilahriz (Algérienne, éd. Fayard/Calman-Levy, 2001), ajoutant amèrement : “C'est vraiment déplorable ce qui vient de se passer”. Abordant ensuite les écrits et sorties médiatiques de Yacef Saâdi, le chercheur a observé un changement d'attitude, ces derniers années, de l'ex-chef de la ZAA vis-à-vis de “ses compagnes de guerre” qui, dira-t-il, “n'accorde pas ce respect qu'il avait” aux moudjahidate. L'historienne Malika El-Korso, de son côté, s'est dite “affectée” par la polémique soulevée par Yacef Saâdi. “On est en train de salir la Révolution algérienne, on est en train de salir les femmes”, a-t-elle déclaré, non sans noter que de l'autre côté de la Méditerranée “ils se disent : ils sont en train de laver le linge sale entre eux”. D'après l'universitaire, qui travaille au Lahisco (laboratoire de l'Histoire du passé de la colonisation française sous le regard du présent, créé en 2009) du département histoire, “nous en sommes arrivés là (car) il y a désaffection concernant le guerre de Libération nationale”. “On a tellement mis les cadavres dans les placards qu'ils surgissent à présent”, a souligné Mme El-Korso, en s'opposant à cette représentation officielle un peu trop parfaite de la Révolution algérienne, alors que “toutes les révolutions” dans le monde renferment à la fois un côté sublime et des dépassements. S'adressant principalement aux historiens et aux étudiants en histoire, l'intervenante a plaidé pour l'adoption d'“une critique historique”, affirmant que “nous sommes des historiens, pas des juges. Ne prenez pas pour argent comptant les mémoires (ou témoignages écrits, ndlr) et les écrits journalistiques”. à une année de la commémoration du cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie et à une année de l'ouverture, par l'état français, de la totalité des archives de la guerre de Libération nationale, beaucoup de silence a été “construit” sciemment ou pour des raisons de traumatisme autour de la question de la violence coloniale. Celle-ci, a expliqué Malika El-Korso, ne se réduit pas à la torture, mais intègre aussi les représailles collectives, les massacres, les enfumages de maisons, les incendies de villages, les arrestations, les exécutions, etc. Une violence où les femmes figurent parmi les premières victimes : seins coupés, corps brûlés, viols… “La violence coloniale n'est pas apparue en 1954, mais bien plus tôt, en 1880”, a-t-elle indiqué. Selon elle, la violence commise par le colonisateur a touché les femmes et les hommes algériens. “Les femmes combattantes ont eu droit à des tortures spécifiques, mais celles qui témoignent évoquent, pour la plupart, la torture de façon pudique”, a-t-elle précisé, puis d'appeler les historiens à “lever les tabous” en la matière. Hafida Ameyar