Dans les pavillons de SOS village d'enfants de Draria, les choses fonctionnent un peu comme dans un foyer algérien. La prise en charge d'un enfant (de 3 à 13 ans) coûte environ 650 DA par jour. Je les aime plus que tout au monde. Ce sont mes enfants, vous comprenez !» s'émeut, les larmes aux yeux et la main sur la poitrine, Fatiha. Elle est l'une des premières «mamans» de SOS village d'enfants. Dans ce village, situé à Draria sur les hauteurs d'Alger, la famille n'est pas synonyme de gènes en commun. Et l'amour encore moins. Dans cette résidence, il y a de vastes pelouses, au milieu desquelles trônent une dizaine de pavillons multicolores. La quiétude des lieux n'est troublée que par quelques klaxons venus de loin, ou par les éclats de voix et les bruissements des pas d'enfants. Cartables au dos, des collégiens cheminent sur les allées de pierres, qui relient les maisonnettes entre elles, d'une allure pressée. Dans un claquement de porte, Meriem, 17 ans, déboule dans le living-room de l'un des pavillons. Ses yeux pétillants de vivacité s'illuminent lorsqu'elle aperçoit celui qu'elle considère comme son «papa». «Aâmi Aïssa !» s'écrit-elle, en l'enlaçant et en lui donnant une bise sonore sur la joue. Sous ses airs sévères, Gérard Aïssa Ruot, représentant de SOS Kinderdorf International en Algérie, ne peut réprimer de larges sourires à chaque fois qu'il passe la porte de l'une des maisonnettes du site. Les 170 enfants, qui vivent dans ce village si particulier, ont eu ce que l'on appelle avec pudeur «une enfance difficile». Un passé douloureux qui les a privés de la vie «normale» d'une famille biologique. Un refuge pour les passés douloureux A SOS village d'enfants de Draria, on accueille des orphelins, au propre comme au figuré. Agés de 3 à 19 ans, «exceptionnellement moins», explique M. Ruot, ils sont tous, depuis quelques années, placés dans ce foyer par un juge pour mineurs. Certains ont grandi, jusqu'à 3 ans, dans une pouponnière. Abandonnés à la naissance par une mère célibataire, ou nés sous X, ils n'ont cependant pas été adoptés dans le cadre de la kaffala. D'autres bambins, à la suite de la perte de l'un ou de leurs deux parents, se sont retrouvés seuls au monde. Mais nombre d'entre eux ont encore un parent en vie. Ce qui n'a rien changé à leur sort. Maltraités, jetés à la rue, abusés, ou rejetés par leur famille élargie, ils ont traîné d'orphelinats à «institutions spécialisées». Où les fratries sont souvent séparées. A SOS villages d'enfants, ces liens sacrés, indispensables à une enfance épanouie, sont préservés. D'ailleurs, 54% de ces résidents sont de vrais frères et sœurs, qui ont la chance de grandir ensemble. «Il y a autant d'histoires et de drames qu'il y a d'individus. Mais le plus important dans la prise en charge de l'enfance abandonnée n'est pas tant ce qui leur est arrivé. La finalité de cette famille d'accueil est plutôt de leur donner les capacités de se reconstruire. Puis, de se bâtir un avenir pour voler de leurs propres ailes», confie, les yeux irradiant de tendresse, M. Ruot. De l'amour ! Ici, en offrant un foyer à de jeunes enfants, on «recolle» les cœurs. Ou est-ce l'inverse ? Mais quel autre meilleur ciment que l'amour d'une mère afin d'aider les chérubins ? Ces mamans de substitution, des éducatrices, sont formées, deux ans durant, à être des mères professionnelles. Afin de prétendre à cet honorable grade, il faut toutefois remplir certains critères. Avoir, par exemple, plus de 32 ans, être – idéalement – célibataire et libre de tout engagement familial. Mais last but not least, la condition sine qua none, la plus importante de toute est, évidemment, d'aimer les enfants. «Quoi que l'on en dise, il est impossible de le faire sans éprouver cet amour inconditionnel pour eux», confirme Fatiha, tout occupée à superviser le retour à la maison de ses petits. «Je suis la maman de 8 enfants, de 3 à 14 ans», dit-elle, non sans fierté. Là, ce sont les plus jeunes qui reviennent de l'école. Tels de petits troublions, les deux fillettes et le garçonnet foncent dans leur chambre, ôtent leurs blouses, se changent, rangent soigneusement leurs effets, tout cela sous les yeux bienveillants, mais vigilants, de leur maman. Car, oui, de l'amour, il y en a dans ces familles recomposées. Mais cette affection va de pair avec la rigueur et la discipline. «Il en faut pour gérer toute cette tribu, ainsi que beaucoup d'organisation», dit Fatiha dans un sourire. Et que ce soit les horaires ou le contenu des repas, les heures de coucher ou de réveil, ou les emplois du temps, l'on ne badine pas avec l'hygiène de vie à SOS villages d'enfants. «Là, ils vont goûter en regardant la télévision. Puis, place à la séance d'études, durant laquelle les petits font leurs devoirs et les mamans suivent le bon déroulement de leur scolarité. Pour les plus âgés, des cours de soutien sont dispensés», indique M. Ruot. Réussite scolaire avant tout ! S'il est une chose essentielle dans ces lieux, ce sont bien les études. Cursus qui débute dans le jardin d'enfants ouvert au sein du village même. Dans un souci de faire côtoyer les tout-petits avec «l'extérieur», on y accueille des bambins du voisinage. Puis, une fois l'âge du primaire atteint, c'est tout naturellement que les enfants sont inscrits à l'école publique du quartier. N'y rencontrent-ils pas de problèmes dus à leur adresse ? Ne sont-ils pas stigmatisés par leurs camarades de classe ? «Les tensions que nous avons eu à déplorer sont surtout venues des questions indiscrètes, voire indélicates, des professeurs», raconte M. Ruot. D'ailleurs, une dizaine de résidents du village étudient, exception qui confirme la règle, dans une école privée. Agés de 7 à 9 ans, ils sont internes dans un établissement spécialisé à Tizi Ouzou. «Ils étaient difficiles, turbulents et n'arrivaient pas à progresser sans une attention particulière», révèle le «patriarche». «Aujourd'hui, ils s'en sortent et c'est ce qui importe», ajoute-t-il dans un claquement de langue. Car comme tout papa qui se respecte, sa fierté est la réussite de ses enfants. «L'année dernière, nous avons enregistré 100% de réussite», renchérit-il. Et pour l'ensemble des parents du village, chaque bonne note, chaque brevet, chaque baccalauréat, chaque diplôme et chaque embauche, sont autant de trophées brandis fièrement à la face de la mauvaise fortune. Une conjuration de la fatalité, du malheur. Ainsi, aussi sûrement qu'un oiseau qui fait son nid, toutes ces petites chenilles, blessées par la vie, se métamorphosent au cœur de ces cocons. A force d'attention, d'amour et de protection, de vigoureux papillons s'envolent, épanouis, vers un ciel radieux. Un cordon ombilical jamais vraiment coupé… La séparation ? Elle commence à la puberté, lorsque les adolescents quittent la maison maternelle, afin de rejoindre l'un des appartements encadrés. Qui ne sont, par chance, qu'à quelques pas les uns des autres. Les visites sont, de ce fait, régulières. Puis, une fois à l'université, les jeunes prennent un peu plus d'autonomie et d'indépendance. Ils emménagent à plusieurs dans des appartements loués par SOS. Non sans la supervision de leur encadreur. Le lien avec le village est d'ailleurs permanent, indéfectible. Car le cordon ombilical qui unit la famille recomposée ne saurait être tranché. «Je ne peux vous expliquer à quel point il est dur de les voir quitter la maison. C'est un déchirement à chaque fois», confie une maman. «J'y suis tellement attachée que durant mon congé, j'ai pris l'habitude d'en emmener avec moi en vacances», raconte Fatiha. Elle ajoute à brûle-pourpoint : «Les fêtes ne sont pas complètes pour moi tant que mes grands ne sont pas là, avec nous !» Après la case études, vient la case travail et la vie d'adulte. Et comme toutes les familles, la grande tribu ne peut qu'aider ses enfants à entamer avec sérénité leurs premiers pas «dans le monde des grands». «SOS soutient les jeunes couples en finançant le mariage et en louant, une année durant, un logement au ménage», explique-t-on. Eh oui. Comme dans tous les contes de fées, il y a un «happy ending». Un dénouement heureux, comme celui qu'a connu Mohamed, l'aîné de cette fratrie élargie. La trentaine, il est aujourd'hui marié, heureux papa de jumeaux. C'est d'ailleurs chez sa «maman SOS» et ses frères et sœurs, qu'il passe, avec femme et enfants, toutes les fêtes. Comme dans une vraie famille. Ne dit-on pas : «Où est le cœur, là est la maison !» Origines des enfants -Enfants de parent monoparental 233, soit 52,95%. -Enfants en danger moral 160, soit 36,36%. -Enfants nés de parents inconnus X 21, soit 4,77%. -Enfants victimes de la tragédie nationale 14, soit 3,18%. -Enfants de parents privés de droits civiques 9, soit 2,05%. -Enfants étrangers 3, soit 0,68%.