Le sulfureux journaliste et écrivain algérien, Mohamed Sifaoui, exilé en France depuis une dizaine d'années, s'attaque frontalement au chef de l'Etat dans son dernier pamphlet Bouteflika : le roitelet, le mégalomane, le chef de clan, l'intrigant, paru fin mai aux éditions françaises Encre d'Orient. Entretien choc ! - Pourquoi avoir choisi cette période précise (contexte de succession, de réformes…) pour publier cet ouvrage ? J'ai expliqué en introduction de Bouteflika, ses parrains et ses larbins, que la décision d'écrire ce livre a été prise au début de l'année 2009 après que Abdelaziz Bouteflika, au lieu de respecter la Constitution, a préféré la violer et s'installer dans une présidence à vie avec l'aval du DRS (qui en doute ?) et de la majorité des généraux. La décision de le publier durant «cette période précise» a été motivée par plusieurs facteurs. Premièrement : au regard des éléments que j'ai pu recueillir durant ces deux dernières années d'enquête, j'ai décidé de publier, entre mai 2011 et septembre 2012, quatre ouvrages traitant de l'Algérie. J'ai commencé par un pamphlet afin qu'on comprenne quelle est la position du citoyen algérien que je suis, devant la corruption endémique, la gabegie et la mauvaise gouvernance qui règnent en Algérie. Deuxièmement, s'agissant de la «succession», j'ai compris que les frères Bouteflika (Saïd et Abdelaziz) avaient cru, ne serait-ce qu'un instant, que l'Etat algérien pouvait se transformer en makhzen ou en monarchie puisqu'on poussa l'outrecuidance jusqu'à sonder sournoisement l'opinion sur une éventuelle succession qui permettrait au frère du locataire d'El Mouradia d'être monarque à la place du monarque. Cette culture d'Iznogoud est, à mes yeux, inacceptable et, de ce point de vue, Saïd Bouteflika devrait juste cesser de rêver. Troisièmement, il est évident que même si les Algériens ne se révoltent pas, pour l'instant, ils aspirent au changement et à la démocratisation effective du pays. Je voulais, fort modestement, être le porte-voix de tous ceux qui n'arrivent pas à faire entendre cette revendication.
- Avez-vous tenté de publier ce livre en Algérie ? Le jour où je saurais que le pouvoir algérien use de moyens légaux pour demander réparation – en cas de diffamation par exemple – j'envisagerais de publier mes critiques en Algérie. Quand je sais que certains représentants du pouvoir sont venus me voir à Paris, usant parfois de chantage ou de pression, pour me dissuader de publier ce livre, je me dis qu'est-ce que cela aurait pu être si un éditeur algérien avait accepté de le publier ? Je sais qu'il existe plusieurs éditeurs sérieux et honnêtes, mais je n'ignore guère qu'ils subissent tous des pressions quand il s'agit de publier des livres polémiques mettant en cause le Président ou le système, voire l'armée. Je crois que ces dirigeants n'ont pas encore compris qu'en termes d'information et de communication, ils sont au Moyen-Âge. Voyez un exemple : le distributeur français attend depuis deux semaines l'autorisation pour rendre le livre disponible en Algérie. Je pense que l'année prochaine, il attendra toujours cette même autorisation. Qu'à cela ne tienne ! J'ai décidé de permettre aux Algériens d'accéder à cet ouvrage via internet, puisque je suis en train de le faire traduire en arabe et, d'ici la rentrée de septembre, ce livre sera proposé gracieusement, dans ses versions arabe et française, à tous les lecteurs algériens, entre autres, qui souhaiteraient le télécharger via le Net.
- En 1999, vous faisiez partie du staff de la campagne électorale du candidat Bouteflika. Pourquoi un tel revirement ? Staff de campagne ? Votre affirmation est plus qu'exagérée. Je vais être clair et franc : en tant que citoyen, lorsqu'à la fin de l'année 1998, j'ai appris que Abdelaziz Bouteflika allait probablement devenir chef de l'Etat, j'avais applaudi. J'ai eu la naïveté de croire que l'ancien ministre des Affaires étrangères était celui qui allait redonner espoir au peuple après dix années de turbulences et de terrorisme islamiste. J'ai très vite déchanté. A l'époque, j'étais correspondant en Algérie d'un hebdomadaire français qui m'avait chargé de suivre de très près toute la campagne présidentielle. J'ai utilisé les liens personnels que j'avais avec un homme politique qui soutenait Bouteflika pour me retrouver aux premières loges durant les différents périples du «candidat». C'est la raison pour laquelle, par la suite, une rumeur a fait état de ma participation au sein du staff de campagne. Entre décembre 1998 et avril 1999, j'ai serré la main une seule fois à Bouteflika (c'était après un meeting à Batna), j'en ai fait autant avec Saïd Bouteflika que j'avais eu l'occasion de croiser lorsqu'il était simple syndicaliste à l'université, j'ai échangé une seule fois avec Ali Benflis (au siège de campagne) et je crois que ce sont les seuls contacts que j'ai eus avec le véritable staff de campagne. Votre question, j'en suis convaincu, est probablement due à une désinformation qu'on a fait circuler sur moi comme on avait d'ailleurs dit que j'aurais été un homme à Toufik, patron du DRS, alors que je ne sais même pas comment il est fait physiquement. En Algérie, malheureusement, on a tendance à croire que lorsqu'un journaliste serre la main à un responsable civil ou militaire, il lui appartient de fait. J'ai eu énormément de contacts avec des militaires, des officiers du DRS, des acteurs de la vie politique, mais je n'ai jamais vendu mon indépendance d'esprit à qui que ce soit : tout ce que j'ai pu écrire, toutes les positions que j'ai eu à défendre étaient et sont toujours les miennes même si, d'aventure, elles peuvent, dans tel ou tel contexte, convenir à tel ou tel responsable et/ou institution ou alors à tel ou tel clan. Enfin, si j'avais été membre du staff de campagne, j'aurais soutenu les vues réconciliatrices de Bouteflika. Or, pour avoir critiqué justement l'impunité qu'il allait offrir aux tueurs islamistes, ses proches m'ont fait subir un véritable harcèlement. Un mois après la cooptation de Bouteflika à la tête de l'Etat, je fus convoqué par un colonel du DRS que les médias algériens connaissent puisqu'il s'agit du fameux colonel Zoubir qui gérait, à l'époque, la communication. Ce dernier me fit savoir, dès le mois de mai 1999, que je devais cesser de critiquer le projet de «concorde civile». Devant mon refus d'obtempérer, il commença à torpiller mon travail auprès du journal français pour lequel je travaillais en usant de méthodes sournoises et il me fit convoquer par la police à plusieurs reprises. Dès le mois de septembre 1999, je fus convoqué par un juge d'instruction, M. Zerouala, qui s'occupait des «délits de presse». Ce dernier m'auditionna à deux reprises pour deux articles, le premier paru en 1996 et qui était très critique contre Ahmed Ben Bella, et le second paru en 1999 qui fustigeait les négociations avec l'AIS. Lors de la seconde audition, j'appris de la bouche du juge d'instruction que j'allais être condamné à une année de prison ferme. Quarante-huit heures plus tard, n'ayant aucune confiance dans la justice algérienne ni dans le régime que commençait à consolider Bouteflika, je pris la décision de m'exiler. Et depuis octobre 1999, je n'ai plus remis les pieds en Algérie. Entre nous : pensez-vous que c'est là le parcours d'une personne qui a fait partie du «staff de campagne» de Bouteflika ? Vous savez comme moi et comme tous les Algériens que tous ceux qui se sont vraiment compromis politiquement avec Bouteflika ont un pied à Paris et un pied à Alger. Moi, j'ai les deux pieds à Paris, je ne peux pas remettre les pieds en Algérie et j'estime faire partie de ceux, très nombreux, qu'on a poussés volontairement vers l'exil en érigeant l'injustice comme mode de gouvernance, l'autoritarisme comme dogme officiel de l'Etat, la corruption comme vertu première et l'intrigue comme sport national.
- Votre ouvrage ne recèle pas vraiment de «scoops» ou d'analyses pertinentes sur l'ensemble du fonctionnement du système et de sa complexité. Est-ce un choix délibéré de se concentrer uniquement sur des anecdotes connues de la rue et des bons salons d'Alger ? Car on pense tout de suite à une variante de l'ouvrage de Mohamed Benchicou, Bouteflika : une imposture algérienne… Quand vous apprenez à travers mon livre que le second personnage de l'Etat, Abdelkader Bensalah, ne peut pas, sauf à violer la Constitution, assurer l'intérim en cas de vacance du pouvoir en raison de ses origines marocaines (selon le livre de Sifaoui, le président du Sénat n'aurait été naturalisé qu'en 1965, à l'âge de 24 ans)... N'est-ce pas là une révélation intéressante qui aurait mérité un vrai débat, sinon une clarification de la part du président du Conseil constitutionnel ? Quand vous apprenez que la Sécurité militaire, au temps de Mohamed Betchine, avait effectué une «perquisition clandestine» dans le domicile qu'occupait Bouteflika dans une ville européenne et qu'on découvrit que celui qui dirige aujourd'hui l'Algérie «roulait» pour des puissances arabes contre les intérêts de son propre pays. N'est-ce pas là une révélation, pour le moins troublante ? Lorsque vous lisez que «l'épouse cachée» du Président est prise en charge par l'ambassade d'Algérie en France, ne pensez-vous pas qu'il y a là une information que les Algériens ont le droit de connaître ? Mais aussi quand vous lisez, dans un livre, que l'ancien consul général en France, Meziane Chérif, nommé par la présidence de la République, profite des prestations sociales (près de 600 euros par mois) de l'administration française alors que son salaire est de l'ordre de 13 000 euros par mois, pensez-vous qu'une telle information est anecdotique ? Pour moi, les informations et révélations contenues dans mon livre sont graves et loin de relever du domaine de l'anecdote. Mais je vous le précise : si ces révélations ne vous suffisent pas, je vous promets qu'il y en aura d'autres beaucoup plus graves qui seront révélées dans l'ouvrage à paraître avant la fin de l'année. Vous en saurez plus sur des gens comme Chérif Rahmani (ministre de l'Aménagement), SmaïlMimoune (ministre du Tourisme), Ahmed Ouyahia (chef du gouvernement), le général Abdelkader Kherfi (DRS), le général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah, pour ne citer qu'eux. Le prochain livre est une enquête pure, sans état d'âme, dans laquelle il y aura en annexes une série de documents. Enfin, vous citiez le pamphlet de Mohamed Benchicou paru en 2004. Je ne me situe ni en concurrence ni en opposition avec ce livre. J'ai tenu d'ailleurs à rendre hommage à cet ami qui a subi l'arbitraire pour avoir osé simplement exprimer, à sa manière, sa propre opinion. C'est dire que mon pamphlet se veut complémentaire aux différents ouvrages produits par Benchicou. C'est juste une voix en plus.
- Votre travail donne la part belle aux services secrets et à leur directeur, le général de corps d'armée Mohamed Mediène. N'y a-t-il pas là un flagrant parti pris ? Permettez-moi de vous le dire un peu brutalement, mais très sincèrement : vous vous trompez lourdement. D'abord, je cite de manière très défavorable au moins deux hauts responsables du DRS : les généraux Kherfi et Tartag. Et beaucoup d'Algériens savent que ce ne sont pas là des noms de quelques lampistes. S'agissant du général de corps d'armée Mohamed Mediène, je l'ai clairement, à tout le moins, désigné comme coresponsable de la situation politique actuelle. Où l'ai-je dédouané ? Dans les affaires de corruption. Et là, je dis les choses clairement en les assumant publiquement, si Mohamed Mediène est aussi propre qu'il a été décrit, y compris par plusieurs de ses détracteurs, il faut lui rendre hommage, car, dans ce climat de corruption quasi généralisé, il ferait partie, toujours selon les témoignages très crédibles que j'ai recueillis, des cadres les plus honnêtes de la nation. L'année dernière, j'ai rencontré discrètement, dans une capitale européenne, un général à la retraite. C'est l'un des plus grands adversaires de Mohamed Mediène. Nous avons discuté pendant deux heures. Cet homme n'a cessé de critiquer les choix du patron du DRS tant et si bien que je me suis dit, voilà un qui va tout me dévoiler sur ce fameux général Toufik. Je lui ai donc posé la question sans ambages : qu'en est-il des affaires ? L'homme me répondit en me regardant dans les yeux : «Ecoute, je peux tout reprocher à Toufik, mais pas ça ! Il a plusieurs défauts et probablement deux qualités. Il est honnête et patriote.» Je sais que vous m'auriez critiqué – et vous auriez raison de le faire – si, pour jeter un vrai pavé dans la mare, j'aurais inventé des «affaires» pour fustiger le patron du DRS : ça aurait fait «chic» auprès de plusieurs opposants, voire auprès de quelques chapelles françaises. Mais ce n'est ni mon éthique ni ma façon de travailler. Evidemment, je peux me tromper sur la personnalité de Mohamed Mediène et il est possible, nous ne sommes jamais à l'abri, qu'on m'ait menti à son propos. N'empêche, je lance un appel à travers vos colonnes : si des patriotes intègres disposent d'éléments probants mettant en cause Mohamed Mediène (ou d'autres généraux) dans des affaires de corruption et si aucun média ne peut ou ne veut les publier, je m'engage à le faire, y compris à travers les médias les plus puissants.
- Vous racontez la tentative d'intimidation de Mohamed Megueddem, ancien chargé de l'information à la Présidence sous Chadli : avez-vous reçu d'autres menaces depuis la sortie du livre ? Dès que Mohamed Megueddem, «chargé de mission» à la Présidence depuis 2004, a su que j'allais publier un livre sur le Président dans lequel je devais le citer, il a cherché à me voir. Nous nous sommes rencontrés à quatre reprises. Pour être très précis les 25, 26 et 27 mars 2011 ainsi que le 2 mai dernier. Ce monsieur a essayé d'abord de m'intimider, ensuite de me corrompre. Nous parlions du général Mohamed Mediène. Justement, il s'était réclamé de son amitié et a parlé en son nom pour essayer de me faire peur. Il se trouve – et je le dis très modestement – que je fais partie de cette catégorie d'Algériens qui n'ont pas peur des hommes. Je peux respecter un responsable de mon pays, mais je n'aurai jamais peur de lui, quand bien même il aurait une grande capacité de nuisance et une volonté de nuire. C'est dire que Megueddem me connaissait très mal… Depuis la sortie de mon livre, plusieurs témoignages très sérieux m'ont fait part de ses gesticulations et de ses menaces. Connaissant maintenant le personnage et ses méthodes, je le crois capable d'essayer de me nuire d'une manière ou d'une autre. J'ai donc pris mes précautions. J'ai déjà fait une main courante et j'ai chargé mes avocats de formaliser une plainte, en France, auprès du procureur de la République. Je leur ai remis les enregistrements audio et vidéo réalisés clandestinement avec Megueddem. Des témoins qui connaissent Megueddem et des personnes qui l'ont entendu proférer de graves menaces contre moi m'ont fait savoir qu'ils sont tout à fait disposés à répondre aux convocations de la police et de la justice en France ou en Algérie. D'ailleurs, je m'étonne comment un «chargé de mission» à la Présidence puisse disposer d'une carte de résidence en France. Je compte également, dans un second temps, le poursuivre devant les tribunaux algériens, ne serait-ce pour la forme, même si je n'ai aucune confiance dans l'indépendance de l'institution judiciaire. Libre à ceux qui soutiennent ce «chargé de mission» d'assumer ses graves errements.
- A vos yeux, le problème politique algérien peut-il se résumer à la seule personne du président Bouteflika ? Absolument pas ! Bouteflika, comme je l'appelle, est le président du conseil d'administration d'une société qui part en faillite. Faillite morale, politique, économique, culturelle, sportive, bref. Comme Bouteflika ne veut pas être un «trois quarts de président» et comme il est un adepte du pouvoir absolu et de la présidentialisation du régime, il n'a qu'à assumer toutes ses responsabilités. Il est de cette race de dirigeants pétris de certitudes. Il n'a aucune légitimité démocratique, mais le pouvoir doit lui revenir de plein droit, il n'a pas réussi à proposer aux Algériens un projet de société cohérent, mais il refuse de reconnaître ses échecs, il a dilapidé tous les acquis, démantelé scrupuleusement l'Etat, favorisé le régionalisme, fait de l'Algérie un pays xénophobe et intolérant, etc. S'il n'est pas le seul responsable, qu'il nous désigne alors ses complices. Bouteflika veut quitter le pouvoir en même temps que la vie parce que depuis sa tendre jeunesse, il a lié son destin personnel au pouvoir. Bouteflika veut des funérailles nationales ! Qu'on lui promette ses funérailles nationales, mais de grâce qu'il parte afin qu'on passe de la non légitimité à la légitimité démocratique à l'issue d'une nécessaire période de transition. Que mon propos ne soit pas mal compris : je souhaite vraiment que Bouteflika vive encore 50 ans, mais loin de la présidence de la République ! De grâce il y va de l'avenir de l'Algérie et des Algériens. Je souhaite de tout mon cœur voir le changement s'opérer sans heurt ni chaos. Or, l'attitude de Bouteflika est dangereuse, car il semble accorder beaucoup d'attention à son propre destin qu'à celui de l'Algérie et des Algériens. Je suis très sincère quand je dis : j'espère voir les responsables de mon pays partir dignement que de les voir quémander demain un asile à l'Arabie Saoudite. Qu'il prenne exemple sur Liamine Zeroual. Qu'on soit d'accord ou pas avec la politique menée par cet ancien chef d'Etat, il s'est révélé finalement comme un homme de principes possédant une grande dignité.
- L'un de vos chevaux de bataille en France est la «menace islamiste» : est-ce que la marginalisation des islamistes durant les récentes révolutions arabes n'altère pas votre credo ? Je me suis spécialisé dans les mouvements islamistes en consacrant plusieurs années de ma carrière à ce sujet. Quoi qu'on puisse en dire, la menace est toujours réelle, même si son intensité a baissé. Le mouvement islamiste a toujours su, tel un caméléon, s'accommoder des conjonctures, y compris celles qui lui étaient en apparence défavorables. Je suis en train de suivre de très près les manœuvres du mouvement tunisien Ennahda de Rashed Ghanouchi. A terme, je pense que les islamistes dits « modérés », c'est-à-dire ceux liés aux Frères musulmans, prendront le pouvoir dans certains pays arabes, il faudra donc suivre ce qui se passera dès lors que cet événement, tout à fait possible, se réalisera. Par ailleurs, je suis très inquiet de la situation en Libye, mais également au Yémen. Bref, croire que les islamistes lâcheront prise facilement parce qu'il y a actuellement une revendication démocratique, serait à mon sens une erreur de jugement. Le rempart contre l'Islam politique est la mise sur pied d'un projet de société moderniste, démocratique, progressiste, ouvert et tolérant qui permette l'émergence, dans le cas de l'Algérie, d'une société musulmane attachée à sa culture et à sa religion, mais par ailleurs non prisonnière des dogmes moyenâgeux et des pratiques obscurantistes. Les islamistes, y compris prétendument modérés, construisent des sociétés en diffusant la haine de l'autre, alors qu'une société moderne se construit à travers l'affirmation de soi et en utilisant ses propres tréfonds culturels et non pas en important des modèles égyptiens, saoudiens, etc. Je crains, s'agissant de l'Algérie, qu'on veuille offrir le pays à des derviches tourneurs, type Belkhadem, Soltani, Mezrag ou Djaballah. C'est dire que le sujet continue de m'interpeller et rien n'indique que cette question est derrière nous.
- Franchement, d'après votre expérience en France, un journaliste algérien pourrait-il survivre dans l'Hexagone sans «se spécialiser» dans l'islamisme, le benladisme, l'antisémitisme ou la critique automatique du régime de son pays d'origine ? Franchement oui ! Je vais vous parler de mon expérience personnelle. Rien ne m'a empêché de m'exprimer défavorablement, en 2007, au sujet de l'élection de Nicolas Sarkozy. Etant également membre du bureau national de SOS Racisme, rien ne m'a empêché d'intenter, en mon nom personnel et auprès de mon association, une action en justice contre Jean-Marie Le Pen, lorsque cet ancien tortionnaire a voulu salir le drapeau algérien en l'utilisant dans une affiche de campagne. Aucun éditeur ne m'a censuré lorsque j'ai voulu écrire un pamphlet contre le polémiste xénophobe Eric Zemmour. Rien ne m'a empêché récemment encore de m'exprimer sur l'affaire Dominique Strauss Kahn. Et enfin rien ni personne ne m'ont empêché de critiquer le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, lorsqu'il y a eu l'année dernière l'affaire de la flottille pour la paix. C'est dire que cette idée, qui sous-tend qu'un Algérien qui vit en France est systématiquement instrumentalisé contre sa religion ou contre son pays, relève ni plus ni moins de la désinformation. Disons les choses clairement : sous le règne de la médiocrité, beaucoup d'Algériens, surtout ceux proches du système, n'aiment pas voir leurs compatriotes réussir à l'étranger. Beaucoup de gens du système développent ce que les psychanalystes appellent un sentiment de «haine de soi». Ils s'obligent par conséquent à laisser croire que si un tel ou tel autre passe à la télévision française, c'est qu'il serait lié à des «forces obscures» décrites comme soit «hostiles aux musulmans», soit «hostiles à l'Algérie». En ce qui me concerne, les choses sont claires : tous les milieux d'extrême droite et tous ceux qui sont hostiles au musulmans ou aux Algériens se sentent en guerre contre moi, car je n'ai eu de cesse de les dénoncer et de les combattre publiquement. Pour être encore beaucoup plus complet, ce livre est le produit d'une décision strictement personnelle et ses motivations sont claires : caresser le souhait de voir notre pays sortir du règne de la médiocrité et entrer de plain-pied dans la démocratie.