Ouyahia a dû faire rire dans les chaumières, mais aussi faire dresser bien des cheveux dans les cercles avisés quand il a affirmé, lors de son passage télévisé à l'émission «Hiwar Essaâ», que l'Algérie ne connaît pas de crise politique. Alors que le pays est secoué par des émeutes et des grèves successives qui, au-delà des revendications spécifiques exprimées par les différents secteurs d'activité, appellent toutes et en urgence des changements en profondeur du système, le Premier ministre ne trouve pas mieux à dire que ce mécontentement populaire de contestation — qui d'ailleurs ne semble pas près de fléchir — ne repose que sur la seule raison sociale. Du coup, il nous renvoie à l'argumentaire déjà usité par le pouvoir pour expliquer la colère de la rue et qui veut que si les Algériens sortent manifester, c'est uniquement pour réclamer un peu plus de bouffe pour rester dans la logique de l'immaturité politique du peuple développée par le sérail. Ainsi, si on prend son courage à deux mains pour se mobiliser, pour occuper les espaces publics, pour en découdre violemment avec les forces de l'ordre, c'est juste pour améliorer l'alimentaire. Les émeutes de Bab El Oued, qui avaient commencé quelques jours avant la révolution tunisienne – c'est à se demander si nos voisins ne se sont pas inspirés des soulèvements de la jeunesse du vieux quartier algérois – avaient, on s'en rappelle, été d'abord liées aux augmentations des prix de l'huile et du sucre, avant d'être recadrées dans un contexte politique plus raisonnable. Mais si le président de la République en personne semblait avoir pris conscience du sens exact qu'il fallait donner à l'exaspération populaire avant que la crise ne prenne des proportions ingérables — d'où les décisions prises à son niveau pour calmer les esprits comme l'ouverture du champ politique et médiatique qui n'ont hélas à ce jour connu aucune suite palpable ou la levée de l'état d'urgence qui n'a pratiquement servi à rien — on mesure la dramatique dimension du conservatisme primaire affiché par le Premier ministre lequel, en restant recroquevillé sur les schémas éculés de la stabilité et de la sécurité du pays, a paru à court d'arguments pour relever les nouveaux défis de l'Algérie, qui ont pour nom liberté et démocratie. Il faut dire que sur ce terrain, à cette même place une semaine avant, le leader du MSP, parti islamiste qui ne cache pas ses intentions de voiler la société algérienne si jamais il arrivait au pouvoir, avait donné l'impression d'être plus à l'écoute des clameurs de la rue. Certaines voix se sont élevées pour dire carrément que Soltani a été plus «démocrate» que Ouyahia, en allant dans la direction des changements réclamés par les Algériens, encore que pour les deux personnalités politiques, le mot démocrate ne revêt pas la même signification. Visiblement timoré, manquant d'assurance dans ses propos oscillant dans un verbiage démagogique qui ne fait plus recette –pour une fois on l'a vu se présenter dans une émission télévisée avec des fiches préparées à l'avance, preuve qu'il craignait d'être bousculé sur des thèmes maîtrisés seulement en surface – l'invité de la soirée a semblé hors temps. Tandis que sa popularité a encore lourdement chuté, Ouyahia, qui passe pour être l'homme le moins apprécié par les Algériens en raison de son arrogance et de sa suffisance, aura donc complètement raté son passage qui devait, pourtant, être pour lui une occasion inespérée pour se remettre en scelle après une assez longue période de louvoiement pendant laquelle il a préféré se taire au lieu de sortir dans l'arène pour gérer les événements. Exactement comme l'a fait «celui qui garde la maison» pour le paraphraser et qui l'amène à décliner toute responsabilité au cas où on s'aviserait à l'impliquer dans tout ce qui ne marche pas dans le pays. Non ! Le Premier ministre est au service exclusif de l'Etat et, à ce titre, il nous inciterait à faire preuve d'indulgence à son égard. Sauf qu'il nous donne l'image d'un dirigeant politique davantage attaché aux intrigues du sérail, comme la flèche empoisonnée lancée contre le MSP qui risque de faire exploser l'Alliance présidentielle qu'aux projets démocratiques que veut construire l'Algérie à travers une vraie alternance. Au demeurant, Ouyahia estime qu'il a signé un long bail avec le pouvoir et que si refondation du système il y aura, elle ne se fera pas sans lui. L'après-Bouteflika, il y pense même s'il confie son ambition à peine voilée au destin avec un grand D qui saura choisir. La question fondamentale, cependant, que nos citoyens se posent, après l'avoir suivi à la télévision, est de savoir si avec un tel dirigeant assimilé par l'opposition à une force sclérosante qui parle plus du passé que de l'avenir, il y a encore un espoir en des lendemains enchanteurs. Dans les hautes sphères du pouvoir réel, en tout cas, là où on a pris l'habitude d'imaginer un consensus sur le premier magistrat du pays, l'unanimité virtuelle sur le personnage ne semble apparemment plus de mise. Et ça, c'est déjà un changement si cela se confirme.