L'avènement du professionnalisme dans le football algérien a été perçu comme une bouée de sauvetage afin de le débusquer de sa léthargie et de le sortir d'une crise financière et infrastructurelle qui a fini par avoir raison de toute velléité de développement dans cette discipline. Une chute libre qui a eu pour conséquence directe le recours à “l'importation” et la mise sur pied par les instances du football d'une sélection nationale issue presque à 100% de joueurs formés outre-mer. Une solution, certes, salutaire (qualification au Mondial) mais qui ne saurait être durable car l'on ne peut pas compter éternellement sur ce qui se produit ailleurs en Europe, notamment sans risquer de perdre notre “indépendance footballistique”. Le retour aux années de gloire, fin des années 1970 et début des années 1980, ne peut se produire sans la relance du football local. C'est ainsi que sous l'impulsion d'une fédération de football dynamique, les pouvoirs publics ont fini par accepter de dégager un plan pour la relance du football à travers le professionnalisme. Une option qui a besoin du soutien de l'Etat, ce qui est du reste prévu dans la loi de finances complémentaire avec une série de mesures en faveur des clubs (cession d'assiettes de terrain, prêt de 10 milliards, exonération d'impôt…) mais aussi de l'apport des investisseurs, privés notamment. La transformation de leur statut de clubs amateurs en clubs professionnels, qui sous-entend bien sûr la constitution de sociétés commerciales, milite justement dans un cadre où désormais les investisseurs privés peuvent acheter des actions pour intégrer le conseil d'administration des clubs ou carrément en devenir propriétaire à travers une participation majoritaire. Cependant, à part quelques clubs chanceux comme l'USMA ou la JSMB, les clubs n'ont pas tellement réussi à attirer les investisseurs privés. C'est un début très laborieux à ce niveau. Pourquoi ? Les raisons sont multiples, à commencer par le fait que les groupes économiques n'ont pas encore bien perçu les retombées du fait d'associer leur image aux clubs de football en ce qui concerne les parts de marché. C'est du reste l'avis de Mustapha Mekidèche, expert international, qui estime que “c'est là un problème de visibilité par rapport à l'organisation des clubs et du professionnalisme dans le monde du football en général. Ce sont des investisseurs privés qui optent en général pour des opérations de sponsoring ou autre activité pour promouvoir leur image mais je pense qu'ils n'évaluent pas encore totalement la liaison, parce que c'est nouveau, parce que c'est un marché neuf en Algérie. En fait, ils n'ont pas encore une évaluation exacte par rapport à leur image de leur participation à de telles sociétés commerciales. Je pense qu'avec l'organisation des marchés et la concurrence, la transparence, l'image de l'entreprise et les valeurs qu'elle défend vont de plus en plus apparaître comme un élément de la promotion de leur propre croissance. C'est en raison également du fait que nous n'avons pas beaucoup d'entreprises leaders. En dehors du groupe Cevital, Hamoud Boualem et le groupe Haddad, on voit plus l'apport des groupes étrangers que des partenaires locaux”. Mekidèche : “Il y a un problème de visibilité…” “Je pense que cela va venir, il faudrait que les clubs soient présents sur le plan international et puissent être véhiculés par les grandes télévisions du monde, ce qui peut également inciter les grands groupes à associer leur image au football. Ceci devrait donc booster le professionnalisme dans le monde du football.” Pour M. Mekidèche, il existe actuellement une certaine prudence de la part des investisseurs privés qui observent une attitude de wait and see. “Pour le moment, il y a effectivement une certaine prudence mais les choses peuvent aller très vite à ce niveau. Des risques et des opportunités d'une telle démarche de marketing n'ont pas été mesurés pour le moment par le secteur privé qui lui-même est en cours d'émergence et d'organisation. Il faudrait aussi que les dirigeants du football jouent pleinement leur rôle pour attirer justement ces pourvoyeurs de fonds”, explique-t-il. Mais comment ? “Et bien, il faut que les clubs aillent dans le formel et qu'ils aient une gestion comptable conforme aux normes et en finir avec la politique de la chkara. Ils faut que les clubs acceptent les règles de la transparence sur le plan de la gestion et de la fiscalité, et cela est un peu nouveau, n'est-ce pas, chez nous ! Avec l'avènement du professionnalisme, il est attendu que les transactions informelles disparaissent et cela constitue un enjeu important, c'est un problème culturel”, dit-il. Pour notre interlocuteur, l'exemple de Djezzy est éloquent par rapport à l'impact d'une telle opération sponsoring. “Prenons l'exemple de Djezzy. Soyons francs et disons que les pertes de marchés sont dues à la mauvaise image qu'ont véhiculée les Egyptiens lors du match Egypte-Algérie au Caire et le mauvais accueil réservé aux Algériens. Ce n'est tout de même pas une circulaire des pouvoirs publics qui a fait perdre à Djezzy des parts de marché mais les conséquences d'un tel événement footballistique auquel Djezzy a associé son image.” En outre, pour Issad Rebrab, président-directeur général du groupe Cevital, le fait de n'avoir pas racheté un club et profité de la nouvelle politique prônée dans le football relève d'un choix : “Nous préférons l'option du sponsoring.” En fait, le président-directeur général du groupe Cevital, Issad Rebrab, dans une déclaration à Liberté, a bien voulu expliquer les raisons qui l'ont poussé à ne pas choisir l'option d'achat d'actions dans les clubs de football et éventuellement devenir propriétaire d'un club. “Je pense que l'avènement du professionnalisme dans le monde du football est une très bonne chose. Cela permettra à nos équipes de passer à un mode de gestion professionnel, seul garant d'un développement durable. C'est donc une nouvelle politique que nous saluons. Pour ce qui de notre apport en tant que groupe privé, nous pensons que le moyen le plus propice pour nous est d'aider les clubs à travers des opérations de sponsoring. C'est ce que nous avons fait depuis longtemps déjà avec plusieurs clubs à travers le territoire national. Notre groupe est national et nous préférons donc aider des clubs à travers tout le territoire national sans se limiter à une région ou une wilaya”, explique Issad Rebrab qui exclut de facto l'éventualité de voir son groupe devenir propriétaire de tel ou tel club. Et d'ajouter : “C'est pour cela qu'au-delà des clubs que nous sponsorisons, nous avons jugé utile d'apporter notre aide à la sélection nationale de football que nous soutenons également à fond à travers notre partenariat avec la FAF.” En outre, Issad Rebrab estime que “les clubs ont besoin d'être aidés dans cette période de transition par les pouvoirs publics et par la Télévision nationale qui exploite les droits de retransmission des matches de football”. Le peu d'engouement des investisseurs privés est également mis en exergue par le président de la Ligue nationale de football qui a récemment exhorté de nouveau les clubs à ouvrir leur capital au privé. “Nous avons demandé à des clubs d'augmenter leur capital et d'ouvrir les portes au secteur privé désireux d'acheter des actions. Il n'est pas normal que de grands clubs dont je tairais les noms aient un capital à 1 million de dinars ou un peu plus. Ils valent bien plus”, indique le vice-président de la FAF. Et d'enchaîner : “Maintenant s'il faut que nous légiférions pour forcer la main aux clubs nous le ferons.” Est-ce à dire donc que certains dirigeants de club, bloquent carrément la route au privé pour entrer dans le capital ? La question mérite d'être posée lorsqu'on constate que malgré le changement du statut, les directions des clubs sont restées les mêmes. “Certains dirigeants pour se maintenir ont tout fait pour décourager les investisseurs privés. Ils ont peur d'être débarqués de leur poste et perdre les privilèges dont ils jouissent depuis longtemps. Le professionnalisme discuté par les pouvoirs publics et tel que perçu ne les arrange pas. Ils veulent tirer profit des mesures prises en faveur des clubs sans accepter le nouveau mode de gestion des clubs, mais il est clair que l'Etat n'est pas dupe par rapport à cela. Les clubs sont appelés soit à laisser le privé investir soit à disparaÎtre car dans le monde du professionnalisme, il est bien dit qu'une société déficitaire est vouée à mettre la clé sous le paillasson.”