Quel rôle peut jouer la femme algérienne dans le mouvement de transition politique qui traverse la société ? Une question à laquelle ont tenté de répondre hier, Dr Maya Sahli, professeur de droit et experte auprès de la Commission des droits de l'homme de Genève, et Dr Choumaïla Laïb, lors d'un débat organisé hier par le Centre de recherche sur la sécurité (CRSS), devant un parterre d'initiés, d'étudiants, de membres de la société civile, de journalistes et de Mme l'ambassadrice d'Autriche à Alger. Mme Maya Sahli estime qu'au vu des textes, la femme algérienne fait toujours l'objet de «marginalisation et d'exclusion» et «reste invisible» si l'on se réfère au nombre des élues ou de celles qui exercent des postes de responsabilité. Sur les 1500 communes, seules quelques-unes sont des maires. Au niveau de l'APN et du Sénat, leur nombre est insignifiant. Dans le corps des walis, il n'y en a qu'une seule, sur un total de 48, alors que dans la diplomatie, 4 femmes sont du rang d'ambassadeur et 4 autres de celui de consul général. Pour Mme Sahli, de nombreux obstacles empêchent la «visibilité» des Algériennes, en dépit du fait qu'elles occupent tous les métiers jusque-là réservés aux hommes et sont les plus nombreuses à l'université. «Les pesanteurs socioculturelles et les traditions font que les femmes sont souvent exclues et marginalisées des prises de décision. Le principe de citoyenneté mérite d'être révisé», explique la conférencière. Elle reproche aux partis politiques de ne pas attirer et encourager les femmes à envahir le terrain de la politique. «Au sein des partis, j'ai rencontré des activistes et non des militantes confinées dans la case section féminine, que je considère comme un segment d'exclusion. Ces femmes ne sont jamais impliquées dans les débats sur les budgets, la démocratie, ou tout simplement sur la vie politique du parti. J'ai réalisé une enquête auprès de tous les partis et je suis arrivée à la conclusion que ces derniers ne permettent pas l'expression réelle aux femmes.» Selon l'intervenante, la ratification par l'Algérie de la convention internationale sur les droits politiques des femmes et de celle relative à la lutte contre les discriminations à l'égard des femmes «imposaient de fait le réaménagement de la législation, notamment l'introduction de l'article 31 bis en 2008, pour garantir les chances d'accès aux postes électifs aux femmes dont les modalités devaient être définies par une loi organique, elle-même qui est une autre garantie d'application du texte». Cette loi, affirme-t-elle, a été élaborée par une commission dont elle était membre et qui a rendu son rapport en juillet 2009. «Celle-ci proposait un quota de 30% de femmes sur les listes électorales, et des sanctions contre les partis qui ne respectent pas cette disposition, qui vont de l'annulation de la liste à la perte de la subvention de l'Etat. Cette mesure est transitoire en attendant mieux parce que les partis qui sont censés être des écoles politiques sont devenus des écoles de course au pouvoir.» La conférencière regrette la «régression» qui affecte le terrain des droits des femmes par rapport aux années 1970 et 80. Un recul, dit-elle, qui impose le recours aux textes de loi afin de forcer l'accès des femmes à la sphère publique. «L'objectif est de faire en sorte que la femme soit non seulement actrice mais également conceptrice des prises de décision.» Pour sa part, le professeur Choumaïla Laïb préfère axer son intervention sur la dimension socioculturelle de la question, étant donné, dit-elle, que la femme reste un acteur principal de la transition. Elle explique qu'il y a cette homogénéité de la conception du genre «basée sur des dualités entre la modernité et la tradition, l'acquis et l'innée, la religion et la laïcité et enfin entre la théorie religieuse et la pratique». Elle s'interroge si sur le terrain, la participation politique est une demande d'un large pan de la société ou d'une élite, très réduite. «La promotion du rôle des femmes en politique passe inévitablement par l'élimination de toutes ces dualités sachant que le changement ne peut s'opérer sans la participation de tous les citoyens.» L'intervenante s'est interrogée si les textes suffisent pour changer les évènements, surtout s'ils ne peuvent interpréter la demande sur le terrain. Pour elle, une bonne loi est celle qui satisfait les besoins de la société. «Le défi est en finalité le projet de société et non la loi. Celle-ci n'est que le prolongement social», souligne-t-elle. Elle rappelle que l'absence de la femme des centres de décision ne date pas d'aujourd'hui. «Durant la guerre de Libération, la femme n'a pas eu accès aux postes politiques. Sa présence a de tout temps été négligée en dépit du nombre de plus en plus important des diplômées. Peut-on concevoir une politique basée sur l'égalité des chances sans citoyenneté pleine et entière ?» conclut-elle avant de donner la parole à Mohand Barkouk, directeur du CRSS. Un débat assez houleux a suivi les deux conférences. Tout le monde s'est accordé à reconnaître que la transition démocratique ne peut s'opérer sans la participation effective et concrète des femmes, tout en mettant l'accent sur les pesanteurs socioculturelles qui pèsent sur la société. Ceci démontre qu'il y a encore du chemin à faire pour arriver à imposer l'égalité des chances entre les hommes et les femmes dans l'accès à la prise de décision. A ce titre, Mme l'ambassadrice d'Autriche a d'ailleurs exprimé son «étonnement» de ne pas voir émerger les revendications des femmes lors des évènements qui ont secoué le pays au début de l'année. «Je me demandais où étaient les femmes et leurs revendications lors des manifestations. Aujourd'hui, je sais qu'elles sont présentes partout…», note la diplomate.