Bien qu'elle ne soit pas une sans-papiers – vu tous les textes que l'on publie sur elle, dont celui-ci –, la Joconde, avant d'être une énigme, est une émigrée. Mais, elle a beau être exilée de son pays natal et être devenue en quelque sorte citoyenne du monde, ses compatriotes italiens continuent à la chérir, en se disant peut-être, au fond d'eux-mêmes, qu'elle serait mieux près de la Louve qu'au Louvre. Parmi eux, un certain Silvano Vincenti, historien de son état, mérite la palme de la «jocondophilie» pour son enthousiasme ravageur. Cela fait des décennies qu'il poursuit la belle de ses assiduités rétroactives. Il y a trois mois environ, il annonçait le lancement d'une opération sans précédent : pas moins que l'exhumation du squelette de la célèbre souriante, dont l'acte de décès retrouvé indique qu'elle se nommait Lisa Gherardini, était Florentine, née en 1479 et décédée en 1542 pour être enterrée, à l'âge de 63 ans, au couvent de Sainte-Ursule. L'idée de ce cher Silvano est de fouiller au géoradar les 1000 m2 de ce cimetière, retrouver les restes de la Joconde et la soumettre à des tests. Objectif : reconstituer sa morphologie faciale et retrouver son véritable visage que Léonard de Vinci aurait mélangé à celui de son apprenti. Silvano Vincenti ne précise pas comment il reconnaîtra le squelette. Quand même pas avec son sourire ? Mais on peut lui faire confiance. Il a déjà fouillé les tombes de Giotto, du Caravage, de Pétrarque et de Pic de la Mirandole, grandes figures de la culture italienne, et il se préparerait à déloger de Vinci de son repos éternel ! Ce projet fantasque de croque-mort a dû échouer, puisque Silvano a enfourché une autre monture. Se réclamant du soutien de la Province de Florence, il vient de demander que la Joconde soit prêtée pour une exposition en Italie en 2013. Le Louvre a aussitôt réagi, affirmant que la Joconde ne sortait pas, pour cause d'extrême fragilité. Assignée à résidence ! Mais, au fond, on craint peut-être une prise d'otage par le docteur Vicenti. D'ailleurs, la seule fois où l'œuvre a été volée, c'était en 1911 par un Italien. Qui sait ? La passion mène à tout. Cela dit, aussi risible soit celle-ci, elle est quand même une passion et l'on aimerait qu'il y ait des âmes assez folles chez nous pour s'éprendre à ce point de la Vénus de Cherchell ou de «La Mariée» de Mohamed Racim ! Il est cependant terrible que la Joconde soit devenue ce paravent qui cache tant d'œuvres aussi (ou plus) magnifiques. Voir courir vers elle les cohortes de visiteurs, en ignorant d'autres trésors de l'art que le Louvre abrite, est un spectacle à la fois fascinant et désolant. Son sourire ? Mais qu'a-t-il donc de si mystérieux ? Quand on ne se prive pas de regarder ses semblables, on peut en trouver chaque jour de plus plaisants, de plus originaux et de plus étranges encore. C'est sans doute cela que Léonard de Vinci voulait nous dire, et connaissant la nature humaine, il a peint le sourire de sa pensée.