Le Soir d�Alg�rie : Comment vous est venue l'id�e de ce livre ? Behja Traversac : Dans la somme qu�il a consacr�e � la M�diterran�e, Fernand Braudel disait qu�il voulait �recr�er la vaste pr�sence � de cette mer. C�est cette id�e de re-cr�ation, l�id�e de la pr�sence, en l�occurrence de la pr�sence des histoires indicibles, des histoires des gens et des soci�t�s que nous voulions voir �crire au travers de cette relation exceptionnelle entre un fils et sa m�re. Observer ces histoires, non plus au travers d��tudes scientifiques, non plus au travers de la fiction, mais par le r�cit de la vie r�elle, de l�intime de cette vie et ce qu�il en r�v�le de g�n�ral, de collectif, de �p�dagogique �. Observer par une adresse � ce que l�on a aim�, � ce que l�on aime. Ce passage par l�intime nous para�t �tre un franchissement des fronti�res habituelles. Ce sont des histoires abrit�es dans la maison, fi d�r, prot�g�es entre ses murs, des histoires que nous esp�rions subjectives, heureusement subjectives. Cette part de notre humanit� entre haltes et d�tours, entre doutes et certitudes, entre public et priv�, entre soi et les autres, nous paraissait pouvoir s�incarner au travers de la relation entre un fils et sa m�re. Une part d�Histoire, observ�e par le regard d�hommes du Maghreb sur leur m�re. Le�la Sebbar et moi-m�me avions envie, ou plut�t �tions convaincues, que c��tait une des mani�res les plus authentiques de lever le voile sur ce que furent les rapports complexes qu�entretenaient les familles, les communaut�s, les cultures, les religions� entre elles et avec l�espace et le temps dans lesquels elles vivaient. C��tait, pour nous, une fa�on de relater �le monde�, le monde vaste. Un d�voilement qui rec�lait une grande richesse humaine. Nous avions d�j� initi� cela en 2007, au travers de la relation entre filles et p�res dans le livre intitul� Mon p�re. Ces deux livres ont eu le m�me objectif, la m�me structure et sont empreints de la m�me �motion. Tristesse, nostalgie des territoires d�enfance, regrets, culpabilit�, admiration� sans doute ! Mais toujours, toujours passion. On ne peut pas lire ces deux livres sans un sentiment de profonde interrogation sur son �tre, sur l��tre de l�autre, sur ce qui nous a �chapp� ou que l�on a oubli�, sur ce � quoi nous n�avons peut-�tre jamais pens�, ou voulu penser� Je voudrais ajouter que chaque texte s�ouvre sur une photo de la m�re. Nous avons voulu cette alliance du texte litt�raire et de l�image. Pour renforcer la pr�sence, lui donner le regard� m�me alt�r� par le temps ou la qualit� de l�image. Mais il est l�, incisif ou tendre� Sur quels crit�res ont �t� choisis les auteurs ? Tout d�abord, ils devaient s�inscrire dans la pluralit� de l�histoire sociale du Maghreb. Il nous importait donc d�envisager, sans pr�jug� aucun, leur appartenance aux diff�rentes cultures qui ont fa�onn� le Maghreb, tout au moins les cultures qui y sont encore vivantes de nos jours. C�est dans cet ancrage multiple de la figure de la m�re que ce livre vient consigner la m�moire collective. Et cela �tait capital pour notre projet car une soci�t� n�est compr�hensible que si elle s'observe sous toutes ses facettes : ethnique, culturelle, sociale, religieuse� Chacune d�elles raconte une part d�histoire et chaque part est inexplicable sans toutes les autres parts. Ensuite, puisque nous consid�rions que c��tait un livre litt�raire, nous avons choisi des hommes de lettres. Ecrivains, po�tes, philosophes, historiens, journalistes� Cela n�a pas toujours �t� simple, certains ont dit oui, puis ont recul� devant ce que cela impliquait de personnel, peut-�tre de douloureux� Si le Maroc est peu repr�sent�, ce n�est absolument pas d�lib�r�, c�est que nous n�avons pas pu convaincre ou plut�t nous avons respect� la d�cision des auteurs contact�s. Il faut dire aussi que nous connaissons plus d�auteurs alg�riens. Il y a toujours une part d�al�as dans ce genre d�entreprise, vous savez. Qu�ont-ils en commun ? Comme je viens de le dire, d�abord l��criture. Ensuite, leur lien, soit parental, soit personnel, soit les deux bien s�r, avec le Maghreb. Lien de naissance, lien de longue r�sidence : une histoire qui se rattache au Maghreb, la sienne propre ou celle de ses parents. Ils ont aussi en commun l�envie, le d�sir du livre de la m�re. D�sir du retour, ce nostos, par lequel elle revient des lieux du pass� pour sceller l�amour du fils ou son adieu au fils. Tout est dit dans ces quinze mille signes de chacun. Tous ont dit que ces pages-l� �taient un sol et une �poque, un �tre et un instant de vie, en attente depuis longtemps et qui, enfin, trouvaient � s�exprimer ou � se r�-exprimer. Ils vivent d�sormais dans ce livre. Commun�ment rassembl�s par les mots, par la beaut� du langage litt�raire, ils naviguent entre deux mondes : celui de la m�re, disparu, et celui du fils, si diff�rent. Des mondes qui sont venus s��chouer ainsi dans ce livre, en livrant leurs secrets, leurs splendeurs et leurs mis�res. Ce qui diff�rencie les auteurs est monumental et infime. Le monumental tient au destin singulier de chaque m�re et de chaque fils. Le point d�ancrage, l�arr�t sur image que chacun a fix� dans son imaginaire ne ressemble pour chacun � aucun autre ; quelle que soit la �similitude� des sentiments filiaux, chacun les a v�cus du dedans de lui-m�me, un pont entre la m�re et l�enfant, inaccessible aux autres, un chemin entre soi et soi. Mais cette diff�rence est, dans un certain sens, infime : m�me si tout les distingue, forc�ment, rien ne ressemble plus � une m�re qu�une autre m�re et un fils � un autre fils. Dans la pl�nitude ou le conflit, dans l�amour ou dans la haine, dans la gratitude ou le reproche, dans la honte ou la fiert�, il est rare que cette relation soit gel�e dans une pause, il est rare qu�elle se vive dans l�indiff�rence. La ferveur est toujours au coin de la rue. Le verbe des fils, magistral, montre exemplairement cette double facette du rapport � la m�re, faite de dissemblance et d�analogie. Y�a-t-il une sp�cificit� de la m�re �maghr�bine� ou de la m�re maghr�bine vue par son fils ? Vaste et double question ! Sinc�rement, je ne sais pas si l�on peut cat�goriser les m�res en tant que m�res. Mais il est certain que les rapports de chaque m�re � son fils ne sont ce qu�ils sont que par le contexte socio-historique dans lequel l�une et l�autre vivent ou ont v�cu. L� se manifestent les diff�renciations r�gionales. Une �pouse, qui, dans sa soci�t�, n�existe en tant que telle que lorsqu�elle a enfant� d�un fils n�a sans doute pas la m�me relation � sa prog�niture qu�une autre o� ce facteur ne joue pas ou joue peu. En mettant au monde un fils, elle n�est pas seulement reconnue en tant que �vraie� femme et m�re, mais elle acqui�re un pouvoir symbolique (et concret) qui la propulse d�un r�le mineur de simple �pouse � l�avenir marital incertain, � une place �fortifi�e�, plus assur�e pour elle et pour son �clan�. Dans les soci�t�s o� la survalorisation d�un enfant de sexe masculin est omnipr�sente, on constate un attachement extr�mement fort entre la m�re et le fils. Cela transpara�t dans beaucoup des textes de ce livre. �Chez nous, une m�re devient ce qu�elle engendre. Dans un subtil m�lange de peaux, elle se fond dans le corps auquel elle donne vie et lui trace une silhouette id�ale��, dit Magyd Cherfi. Quant au fils, je rejoindrai volontiers cette phrase de Sophie Bessis qui a pr�fac� le livre : �Pauvres �pouses, pauvres amantes qui passent, alors que l�autre demeure comme un fragment d��ternit�.� Si Le Livre de ma m�re d�Albert Cohen reste un hymne in�gal� � la m�re, les textes d�di�s ici aux m�res des auteurs sont �galement �crits de la main qui prolonge leur corps f�brile, leur c�ur qui bat, leur �motivit� et notre trouble devant l�insondable sentiment qui les lie � ces femmes qui les ont faits chair et sang. Ali B�cheur cl�t ainsi son remarquable texte : �� un monde o� je ne sais plus o� aller ma�ma. O� vivre, et comment. Mais ce que je sais, et �a je le sais d�un savoir de chair, c�est d�o� je viens. De toi.� En quoi pareil ouvrage a-t-il une dimension sociologique et m�me historique ? Si l�on se rem�more notre objectif de d�part, si l�on lit non seulement avec l��il du litt�raire, mais aussi avec l��il du sociologue et/ou de l�historien, la r�f�rence � l�histoire et � la sociologie est �vidente. Ces textes sont �situ�s�. Ils comportent implicitement ou explicitement des dates, des lieux, des toponymies m�me ; ils �voquent le rapport de voisinage, l��cole, les rituels, la cuisine, le politique, etc. Songeons � la place depuis laquelle parlent les fils, alors que la m�re a v�cu dans les ann�es quarante ou cinquante, en Alg�rie, en Tunisie, au Maroc. Les photos, c�te � c�te, sont � elles seules une �tude sociologique � faire. Autour de la m�re, en elle, pour elle, avec elle, circule une pens�e foisonnante sur les m�urs du temps. Le temps de l�Histoire et des territoires de ces femmes et de leurs hommes. Le temps de leurs confrontations et de leurs ententes. Le temps des guerres et des instants de pl�nitude. Subtile est ici la relation de l�Histoire. Jamais cat�gorique, elle tire sa force et sa justesse du d�sir imp�rieux d��tre au plus pr�s du �vrai�. Texte apr�s texte, les auteurs ont habill� l�histoire de leur m�re des bouleversements de leur �poque. �La mort, les massacres, la haine. Les corps saccag�s. Tout fut corrompu. Il fallut partir��, raconte Jean- Jacques Gonzales. Et cette phrase de Georges Morin dont la m�re, infirmi�re, sauva la vie d�un jeune combattant de l�Ind�pendance : �C��tait effectivement au c�ur de la vieille ville qu�on l�avait emmen�e, avec un tel luxe de pr�cautions qu�elle avait compris, avant m�me d�arriver, qu�il s�agissait d�un maquisard !� La sociologie est, d�une certaine mani�re, encha�n�e � l�Histoire. On rel�ve des r�f�rences permanentes � la mani�re dont vivaient et cohabitaient les individus et les communaut�s. Si Benamar M�di�ne �voque le rite de la circoncision : �C�est ma m�re qui me baptisa et je re�us de mon grand-p�re maternel le pr�nom. Il m�a couvert de son burnous et a r�cit� la sourate initiatique. Le rite de la circoncision m�a fait masculin.� Roger Dadoun, lui, se souvient du deux-pi�ces autour de la mis�rable cour collective o� sa m�re f�tait le shabbat : �Son royaume �tait de ce monde, de ce bas-monde, de ce tr�s bas-monde� travers� de mis�res et de frustrations, de cris, d�injures et d�une si opaque laideur, que nous, p�re, m�re et six enfants� nous ne pouvions en rien y rem�dier, et encore moins y �chapper.� La sociologie est l�, � port�e de lecture. En quoi les textes se compl�tent- ils ? Je ne sais pas s�ils se compl�tent, mais ils circulent, se croisent, s�interpellent, se h�lent comme de vieilles connaissances perdues de vue mais jamais perdues de souvenir. C�est en cela peut-�tre qu�ils constituent un puzzle o� les parties s�agencent de telle sorte qu�elles permettent la jonction entre les diff�rents r�cits. Symboliquement et historiquement, ils t�moignent de passages, de perc�es, de passerelles par lesquels s�engouffrent les faits, les rituels, les mani�res d��tre, de raisonner, qui ont construit les proximit�s, volontaires ou non. Il y a ceux qui sont n�s l�-bas et qui gardent la d�chirure de l�enfance disparue comme on garderait un troph�e. Peut-�tre parce qu�elle a disparu quelque part ailleurs que l� o� ils vivent aujourd�hui. Il y a ceux n�s l�bas, mais partis � l��ge adulte. Il y a ceux n�s l�-bas et rest�s l�-bas. Il y a ceux n�s en France ou arriv�s dans la petite enfance� Ils sont d�origine musulmane, chr�tienne, juive, la�que� Un panorama riche de sa diversit�, de sa connivence, de la rumeur de soci�t�s emport�es par les vents de l�Histoire. Porteur d�une m�moire commune, ce livre rec�le plus qu�une compl�mentarit�, une densit�, une pr�sence quasi sacr�e de ces m�res, ic�nes silencieuses, dont les mots, les larmes, les rires bruissent ou �clatent au travers de la parole des fils. Des fils arrim�s � l�universelle qu�te de la m�re� incomparable. Dans cette aventure int�rieure, ce face-�-face finalement avec eux-m�mes, les auteurs de ces textes tiennent path�tiquement le fil de l�origine charnelle, comme pour le prendre � t�moin, lui faire dire ce qui en eux ne sera jamais dit. Comment l'ouvrage est-il re�u � travers les premi�res r�actions ? Plut�t tr�s bien. Les auteurs le trouvent beau et �mouvant. Les libraires l�ont beaucoup command�. Il est trop t�t pour conna�tre vraiment son accueil par le public. Nous avons d�j� en programmation plusieurs caf�s litt�raires : � Paris, � Lyon, � Montpellier, � Tours, au Salon de Provence� et d�autres � venir. Comment avez-vous travaill� avec Le�la Sebbar pour r�unir un spectre aussi vari� d'auteurs ? Nous nous sommes d�abord mises d�accord sur l�objectif que nous souhaitions assigner � ce livre, � sa conception g�n�rale, � son volume. Ensuite, Le�la, qui conna�t tout le monde � Paris, a commenc� � prendre les contacts. Je l�ai relay�e et j�ai aussi pris quelques contacts moi-m�me. Nous avions fix� la barre � une trentaine d�auteurs issus du Maroc, d�Alg�rie, de Tunisie. A partir du moment o� nous avions d�cid� du profil des auteurs, de leur nombre, c��tait ensuite un travail de persuasion qui, je dois le reconna�tre, n�a �t� un peu compliqu� que pour deux ou trois auteurs et, plus d�ailleurs sur les d�lais de remises des textes que sur le principe lui-m�me. Nous avons travaill� toutes les deux en parfaite coordination et en parfaite entente. Nous avons toutes les deux les m�mes exigences de travail et de ponctualit�. Nous tissons toujours des liens tr�s cordiaux et m�me amicaux avec la plupart des auteurs. Un mot sur la maison d'�dition Ch�vre feuille �toil�e� La maison d��dition est n�e le 18 janvier 2000 � Montpellier. Nous sommes trois � la porter quotidiennement : Edith Hadri, Marie-No�l Arras et moi-m�me. Ma�ssa Bey, qui est aussi pr�sidente de l�association Paroles et Ecriture � Sidi-Bel-Abb�s, que nous avons cr��e simultan�ment aux �ditions, nous apporte son pr�cieux concours en dirigeant une de nos collections, �Les chants de Nidaba �. Nous avons trois collections essentielles : une collection romanesque �Les chants de Nidaba� ; une collection essais �D�un espace, l�autre� et une collection beaux livres �L��charpe d�iris�. Nous publions �galement une revue semestrielle, Etoiles d�encre destin�e � l��criture des femmes en M�diterran�e. Nos livres et la revue sont pr�sents dans les librairies d�Alger. Nous sommes pr�sentes tous les ans au Salon international du livre d�Alger (Sila). Propos recueillis par Bachir Agour Bio Behja Traversac Behja Traversac est n�e � Maghnia, en Alg�rie. Elle vivait � Alger o� elle a travaill� en tant que sociologue jusqu�en 1991. Elle dirige actuellement les Editions Ch�vre feuille �toil�e � Montpellier et est co-r�dactrice en chef de la revue Etoiles d�Encre. Elle dirige la collection D�un espace, l�autre. SIGNET M�re Quand on lit Ma m�re d�Albert Cohen, un monument dans le genre, on peut craindre que personne n�atteigne cette �motion dans l��vocation de celle qui donne la vie et souvent l�amour pour la parcourir. Eh bien, ce livre, Ma m�re, dans lequel 29 fils parlent de leur m�re, l�ve la crainte. Il y a autant de fa�ons de parler de sa m�re qu�il y a de fils qui en parlent. Ce qui est remarquable, c�est que la transgression du tabou, tenace chez nous, de description du visage maternel n�est vraiment pas un d�voilement, si l�on ose aventurer ce terme. L�intimit� reste enti�re m�me quand la m�re quitte l�ombre pour venir se mettre sous la lumi�re du fils qui cherche sa trace dans sa vie � lui quand ce n�est pas dans sa chair. Vingt-neuf fa�ons diff�rentes de dire la m�re, musulmane, juive, chr�tienne, mais, avant tout, m�re appartenant d�une fa�on ou d�une autre � la M�diterran�e et son histoire. Un livre dont on ne sort pas indemne car c�est un miroir qui nous est tendu. On reconna�t ses propres images et ses propres peurs. On reconna�t aussi son propre bonheur devant la m�re. Bachir Agour Au nom de la m�re Ma m�re, l'ouvrage collectif coordonn� par Le�la Sebbar et Behja Traversac aux �ditions Ch�vre feuille �toil�e, rassemble les textes in�dits de vingt-neuf auteurs sur le th�me de la relation fils-m�re. Tous les contributeurs sont �hommes M�diterran�e� tels que d�finis par la pr�faci�re Sophie Bessis. N�s au Maroc, en Alg�rie, en Tunisie ou en lien avec ces pays, ils sont �crivains, journalistes, universitaires, philosophes, historiens, po�tes, psychanalystes... Ils appartiennent � deux, voire trois g�n�rations, le plus �g� Jean Daniel est n� en 1920, et Aymen Hacen, n� en 1981, figure parmi les benjamins. L'ouvrage s'inscrit dans l'esprit d'un pr�c�dent ouvrage collectif, Mon p�re, paru en 2007, t�moignant de la relation fille-p�re. Il proc�de de la m�me d�marche que C'�tait leur France, un recueil de textes publi� en 2007 chez Gallimard, tous deux �galement coordonn�s par Le�la Sebbar. Voici donc ce troisi�me volet de ce que l'on pourrait qualifier d'anthologie des passions. Mais si, pour chacun des auteurs, la relation m�re-fils est toujours passionnelle, l'�motion est � chaque fois diff�rente. Les portraits sont souvent des r�cits de vie de celles qui furent femmes avant d'�tre m�res. C'est cette image de femme, �la plus belle fille de Monastir�, que retient Guy Sitbon, pour �voquer Juliette, femme de caract�re, �l�gante et rebelle. Si pour l'auteur, l'histoire de Juliette est �troitement li�e � la vie de la soci�t� monastirienne, pour Marcel Benamou, celle de sa m�re refl�te la communaut� juive marocaine dont elle entretient la m�moire. Instruite, heureuse et accomplie, elle est pour les siens la courroie de transmission de la culture juive et de ses rites religieux. La m�re de Roger Dadoun, La Reine du shabbat est, elle aussi, gardienne du rite dont elle assure la p�rennit� au c�ur d'une vie mis�rable dont elle rend pourtant gr�ce � Dieu. Elle est pour Georges Morin indissociable d'El Djaza�r tout comme La m�re de l�-bas d'Alain Vircondelet, �le totem qui rassure�. Elle demeure � la fois l'image de la rupture et de la fondation. Celle qui porte dans l'exil la flamme et l'esp�rance. Cet exil qui marque le destin d'Ahmed Kalouaz et de sa m�re, et dont il lui sait gr� : �Tu tiens d'une main la poign�e d'une valise, et de l'autre la main d'un enfant.� C'est une m�re furieuse de vivre et opini�tre que nous d�voile Jean-Jacques Gonzales, une m�re li�e � son fils par le geste, tous deux se tenant par le bras �pour lutter ensemble contre un sol qui se d�robe�, avant que lui-m�me ne la tienne � bout de bras. Les r�les parfois se confondent entre le fils-p�re et la m�re-fille. Albert Bensoussan le sait, lui qui avoue : �Le r�ve de tout fils est d'�tre le p�re de sa m�re.� La tendresse se fait douleur lorsque le corps de la m�re souffre. Elle est pour Emile Brami cette �carcasse martyris�e�, atteinte d'une forme grave d'Alzheimer devant laquelle le fils dit son impuissance et son d�sarroi : �Ces pertes d'identit� successives sont autant d'humiliations que nous lui avons fait subir.� Corps souffrant aussi, celui de la m�re de Tahar Bekri morte de maladie lorsqu'il avait 10 ans. La mort de la m�re constitue le fils qui ne se souvient pas l'avoir vue rire, tout comme elle d�termine l'univers mental et affectif de Nourredine Sa�di qui �voque un �trou de m�re� pour d�signer l'absence de celle qui mourut l'ann�e de ses 3 ans. Que dire de la m�re de Boualem Sansal chass�e par sa belle-m�re qui lui confisque ses gar�ons. L'auteur la d�couvre pour la premi�re fois � l'�ge de 6 ans et d�roule depuis le fil de cette rencontre pour devenir son enfant. C'est dans un mouvement altern� entre la vie et la mort que Hacen Aymen dresse de sa m�re un portrait po�tique sur les paroles d'une chanson d'Oum Kalthoum. Autre souffrance pour Zohra, la m�re de Lazhari Labter, nourrici�re li�e aux odeurs et aux go�ts : �Est-ce d'avoir trop regard� dans les yeux le malheur que tes yeux sont si tristes ?� interroge l'auteur tanc� par les regrets. Ne demeurent que les trois pri�res du fils pour La mamma de Youcef Seddik dont le silence et la pudeur masquaient �des d�serts de souffrance�. Et Alice, m�re d'Hubert Haddad, bless�e jusqu'� devenir �folle recluse, l'insens�e d�plorant sa jeunesse saccag�e�. Bless�e toujours, la m�re de Mohamed Kacimi, humili�e et r�pudi�e avant d'�tre reprise. Elle demeurera dans la m�moire de son fils la sentinelle qui prot�ge et qui rassure. Dans l'adversit�, les femmes sont fortes et courageuses. La passag�re de Mourad Yelles se bat pour imposer son mari et ses convictions au sein de la soci�t� coloniale. Elle se battra encore pour reconstruire �le pays qui l'abandonne pourtant �, tout comme se battra Louise, la m�re de Jean-Claude Xuereb pour sortir d'une condition mis�rable, elle qui fut la premi�re de sa famille � obtenir le Certificat d'�tudes primaires. Elle a pour Bernard Zimmermann, cette �nergie animale, une passion pour la vie : �Les deux p�les de son �tre : la r�volte et la joie�. Elle est m�me �rus�e comme le diable� cette m�re tyrannique de Magyd Cherfi, alternant pour attacher son fils dans un amour exclusif �la menace et le chantage du c�ur�. Pr�sence tout aussi tyrannique de la m�re de Vincent Colonna � travers l'interdiction faite � son fils de r�pondre � la �commande perverse� de son �diteur. Le fils obtemp�re mais dans la version interdite, l'on entend �manque et enfance sans amour�. A l'inverse de ces louves, la m�re de Jean-Pierre Castellani para�t � l'�coute, en retrait, silencieuse : �La seule plainte que j'ai entendue sortir de ta bouche, c'est la nuit de ta mort.� Les silences ont fa�onn� la relation d'Arezki Metref avec A�chouche sa m�re. Femme alti�re, distante, �Gardienne du secret de la tribu�, elle a la stature tragique des h�ro�nes du th��tre antique. Issue d'une famille de lettr�s engag�s en politique, elle-m�me lettr�e en fran�ais, elle en h�rite des r�flexes anxiog�nes qui d�terminent le lien m�re-fils, notamment dans son rapport � l'�criture. C'est aussi une sorte de singularit� aristocratique qui caract�rise Lella, la m�re de Djillali Bencheikh qui en dresse un portrait par touches modul� sur les d�clinaisons de son nom. Les fils �crivains souffrent de l'illettrisme de leur m�re qui ouvre une br�che dans leur intimit�. K�bir- Mustapha Ammi l'imagine �crivaine, �dialecticienne avis�e�, ma�tresse dans l'art de raconter tandis qu' Ali B�cheur pr�f�re aux mots le lien de chair, �un n�ud de visc�res, r�alisant avec Ma�ma et Benamar Mediene r�v�le avoir v�cu enfant sa passion de la lecture dans la culpabilit� : �L'�cart se creusait avec ma m�re.� Car c'est l'osmose qui d�termine sa relation filiale : �Son �me est pass�e en moi.� Relation fusionnelle aussi pour Jean Daniel : �Ma m�re �tait moi, j'�tais elle.� Meriem Nour Ma m�re, 29 auteurs racontent leur m�re. Dirig� par Le�la Sebbar et Behja Traversac Ch�vre feuille �toil�e, Montpellier