Le Maroc de l'après-1er juillet serait-il différent de celui d'avant l'adoption de la nouvelle Constitution ? Pas si sûr. Rabat (Maroc). De notre envoyé spécial
Alors que le palais royal et les partis politiques, qui ont soutenu la nouvelle Constitution, se préparent déjà pour des élections législatives anticipées, le Mouvement du 20 février, lui, repart à la lutte. Lors d'une conférence de presse tenue, hier à Rabat, il a annoncé l'organisation de marches populaires dimanche prochain dans toutes les villes du royaume pour «l'instauration d'une monarchie parlementaire». Les animateurs de la conférence de presse disent ne pas renoncer au combat pour «la dignité, la liberté et la justice sociale». Imaid Chokaïri, figure du Mouvement à Rabat, a déclaré que le Mouvement du 20 février «militera sans relâche pour un changement réel qui permettra la consécration de la démocratie et de la liberté, et qui garantira la dignité au peuple marocain, aux lieu et place d'une Constitution octroyée est préfabriquée dans le palais et qui permet au roi de garder les pleins pouvoirs». Pour lui, le régime marocain «refuse de montrer une bonne volonté ni pour répondre aux revendications légitimes du peuple marocain ni pour établir la démocratie demandée». Le rejet de la nouvelle Constitution est catégorique. Les animateurs de la conférence de presse estiment que «seule une Assemblée constituante avec un pouvoir constituant dans le cadre du système royal pourrait réussir le passage d'un régime despotique vers une démocratie. Le visage d'une monarchie démocratique serait incontestablement une monarchie parlementaire». «Nous avons un seul parti qui est le pouvoir avec une multitude des têtes qui se déclinent sous forme de partis politiques qui sont liés directement au palais et qui bénéficient de la rente», a analysé Yousra Saher, autre animatrice de la conférence de presse. Sûr de la justesse de son combat et de la légitimité de ses revendications, le Mouvement du 20 février, qui a sérieusement déstabilisé le pouvoir monarchique au Maroc, se dit rassurant quant aux futures mobilisations populaires. «Nous sommes convaincus que les Marocains saisiront cette dynamique politique pour mettre le Maroc sur la voie démocratique», assure Abdelhamid Amine, vice-président de la l'Association marocaine pour les droits humains et qui apporte un soutien actif au Mouvement. Cependant, et si le mouvement s'inscrit dans une logique de mobilisation populaire pour imposer un changement démocratique dans le royaume, la classe politique traditionnelle, elle, s'affaire dans les coulisses à se préparer aux élections législatives qui devraient se dérouler probablement au mois d'octobre. Le parti de l'Istiklal qui dirige l'actuel gouvernement se dit confiant. «Nous sommes sûrs que les prochaines législatives confirmeront notre majorité au sein du Parlement et donc de garder la présidence du gouvernement», nous confie un cadre du parti de Abbas El Fassi. Pas évident, réplique l'Union socialiste des forces populaires (USFP), mais à condition de se donner le temps pour «mieux préparer cette élection». Son secrétaire général, Abdelaouhad Erradhi, par ailleurs président de l'actuel Parlement, estime que son parti doit reprendre sa place de leader dans l'échiquier politique marocain. «Nous sommes dans une position confortable et si on se donne le temps nécessaire, nous allons remporter la majorité au Parlement», dit-il. «Celui qui n'est pas prêt aujourd'hui ne sera pas prêt dans deux ans», tacle le Parti du progrès et du socialisme (PPS), par la voix de son responsable aux relations internationales, Mustapaha Labraïmi. Entre les uns et les autres, le Parti pour la justice et le développement (PJD) de Abdelillah Ben Kirane tente de se frayer un chemin vers la victoire aux législatives. Le parti a pu «se banaliser» en devenant un parti ordinaire et qui ne fait pas peur aux Marocains. Copiant sur le modèle et l'expérience turcs, ce parti d'obédience islamiste a pu se placer dans l'échiquier politique national et son poids commence sérieusement à se faire sentir. Il est la troisième force politique. «c'est un parti qui a fait le choix de l'entrisme au sein des institutions. Il s'est avéré redoutable. sa présence au sein de la commission qui a rédigé la nouvelle constitution a pesé notamment sur les questions identitaires» explique un analyste local. La donne islamiste La monarchie, de peur de voir les islamistes se radicaliser, a pu ramener dans le jeu «politique et électoral» ce courant en tentant de le dompter. Le PJD n'ignore pas ça, mais il fait tout pour tirer le maximum de profit politique. Cependant, il n'est pas le seul parti à opérer sur le terrain de la religion, car le mouvement Adel Oua Ihssan (justice et spiritualité), non reconnu, de cheikh Yassine, rivalise sérieusement avec le PJD. Sa présence active au sein du Mouvement du 20 février lui fait gagner en popularité et souvent aux dépens du parti modéré. Il est favorable à une monarchie parlementaire. Il a soutenu la revendication de l'officialisation de la langue amazighe et a accepté d'agir aux côtés des courants d'extrême gauche et des mouvements féministes. Sans doute pour des raisons tactiques. Mais «l'essentiel est que de nombreux Marocains se mettent d'accord sur un minimum démocratique et se battent ensemble, et ensuite les soumettent aux règles démocratiques. Cette alliance dans la lutte ne veut pas dire que nos projets politiques s'effacent», analyse l'opposant Fouad Abdemoumni. En somme, le bouillonnement qui agite la vie politique marocaine n'est qu'à son début. Deux courants se livrent une bataille décisive. Le Mouvement du 20 février, fort d'un soutien populaire et de nombreuses organisations politiques et sociales, veut accélérer le processus du changement démocratique. En face, le palais royal et ses soutiens au sein de la classe politique traditionnelle ont fait le choix de donner aux «réformes un temps marocain». Les prochains jours nous montreront vers quel camp se penchera la balance.